Vocation atlantique du Maroc et irrédentiste tropisme algérien
Hassan Alaoui
Alger n’a jamais démordu de déposséder le Royaume du Maroc d’une grande parcelle de l’Océan atlantique pour accéder à cet espace vital. Elle mène une guerre, sourde, latente, ouverte ensuite et fabrique même une vocation maritime en s’alliant à la Mauritanie avec un projet d’encerclement par le sud des frontières du Maroc, criminel en ce qu’il veut couper ce dernier de l’Afrique et, surtout, accéder à l’Atlantique. Ce n’est pas une ambition nouvelle démesurée, mais un plan qui remonte aux années soixante-dix du siècle passé, lorsque le groupe américain El Paso Natural Gas et la Sonatrach algérienne en vue de l’importation aux Etats-Unis de 10 milliards de mètres cube de gaz naturel algérien par an. Une manne pour l’économie algérienne qui n’aura pas duré si longtemps, le régime de Boumediene n’ayant en fin de compte jamais rempli les conditions nécessaires pour ce contrat du siècle. Il reste qu’il nous révèle a posteriori les ambitions atlantiques du pouvoir algérien, reprises aujourd’hui par un Tebboune, qui ambitionne de conquérir bravement l’Atlantique…
En 1974, il y a de cela cinquante ans, dans la perspective d’un référendum au Sahara que l’on prononçait mezzo voce dans les couloirs des Nations unies, à la demande du général Franco, un recensement des populations appelées à voter, était effectué avec un caractère hâtif et désordonné. On décomptait ainsi plus ou moins quelque 69.000 habitants inégalement établis sur le territoire qui n’a jamais été terra nullius, autrement dit inhabité au moment de sa colonisation en deux étapes par l’Espagne : en 1884 et en 1934. Le « peuple sahraoui » fabriqué donc par l’Algérie à partir de 1973 et encore moins le polisario, crée la même année à Zouérate ( Mauritanie) par le DRS algérien dirigé par Kasdi Merbah, né au demeurant à Fès, et le général Viguri , homme de main de Salazar et de Franco, n’existaient même pas. Il reste que les dirigeants du polisario , potiches et marionnettes entre les mains de l’armée algérienne, sont pour la plupart originaires du Maroc ou, au pire, d’anciens étudiants des facultés du Royaume et qui, jusqu’à leur récupération par les Services de Houari Boumediene à partir de 1973, menaient des manifestations à Lâayoune notamment pour réclamer la libération du Sahara par l’Espagne et sa restitution au Royaume du Maroc.
Lorsque le Maroc accéda à son indépendance en 1955, il déposa quelques mois après une requête aux Nations unies pour revendiquer la libération totale de son territoire, notamment le Sahara. De la même manière, en 1963, il saisit la 4ème Commission et reposa le problème de la libération de ses territoires et la même année, dans la foulée de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dont il était l’un des principaux fondateurs, Ahmed Balafrej – alors ministres des Affaires étrangères du Royaume – imposa la modification de la clause sur l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme qu’il contestait avec force.
Le Sahara que les gouvernements algériens successifs convoitent avec acharnement, veulent accaparer depuis cette époque a toujours constitué l’axe nodal de la confrontation géopolitique avec le Maroc. Il est à leurs yeux ce que la Prusse avait été pour Bismarck, autrement dit une ambition territoriale démesurée. A telle enseigne qu’un certain général du nom de Catroux n’envisageai la grandeur de l’Algérie française – ou de la France en Algérie – qu’en grignotant le territoire du Maroc, allant jusqu’à fixer arbitrairement la frontière maroco-algérienne sur la Moulouya. Et comme l’écrit Abdallah Laroui, le même général Catroux, tout honte bue, « soutint la révolte de Bou Hmara aux fins d’isoler du reste du Maroc Oujda et les Monts de Bani Iznassen avant de les occuper (…) avant d’aller séduire les adversaires de Cheikh ma-el-Aïnine à Smara, finançant par la même occasion tous les voyageurs espions comme Charles de Foucauld, Doutté, Gentil, Brives qui ont préparé la conquête du Maroc politiquement et militairement ».
Le retour à cette séquence historique n’est pas fortuit, il nous impose un regard rétrospectif nécessaire pour rappeler comment le Maroc a été à la fois « conquis » et morcelé. Comment sa « conquête » est partie de l’Algérie, menée par des stipendiés de la colonisation française et, surtout, comment ensuite le pouvoir militaire algérien, après l’indépendance en 1962, s’est inscrit dans la continuité coloniale et a repris le même schéma expansionniste, non seulement grignotant mais amputant le Royaume du Maroc de pans entiers avec cette complicité irrédentiste d’un Catroux et autres soudards français.
La France a amputé le territoire du Royaume de vastes provinces du sud-est, Tindouf ( Tindoufin) pour commencer, Bechar, Saoura, Tidikelt, le Touat, Gourara, Kenadssa, etc..
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Appel de la mer
Il nous faudra sans doute revenir de nouveau à Raymond Aron et à son schéma âprement défendu des années durant sur la doctrine de l’atlantisme pour tenter une comparaison avec le contexte que notre pays connait aujourd’hui. A coup sûr le discours prononcé par le Roi Mohammed VI à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche inaugure à la fois une nouvelle thématique et un style inédit. C’est une profession de foi que le Souverain a déclinée avec didactisme et sa pédagogie habituelle, la conviction chevillée corps, l’irréfragable volonté de porter de nouveau un projet qui sied à la dimension nouvelle de ce Royaume du Maroc qui n’en finit pas d’étonner.
Depuis quelques temps, en effet, les observateurs, peu enclins à la complaisance, avertis aussi n’ont de cesse de mettre en exergue la montée en puissance du Maroc sur la scène régionale, continentale voire internationale. De l’hebdomadaire français « Le Point » au « New York Times », les témoignages fleurissent et n’en finissent pas de mettre en exergue le modèle de règne du Roi Mohammed VI, présenté comme le bâtisseur de ce Maroc nouveau, qui suscite intérêt et une irascible curiosité plutôt bienveillante. Alors que la planète compte pas moins d’une trentaine de conflits déclarés ou latents, qu’une véritable crise de valeurs frappe un grand nombre de pays, parmi lesquels certains connus pour leur solidité institutionnelle et considérés comme d’infaillibles démocraties, le Royaume du Maroc est plus que jamais au défi multidimensionnel : celui de la stabilité, de la sécurité, du développement, des libertés et surtout de la défense de son intégrité territoriale. Il avance sur la voie du progrès, au demeurant semée d’embuches pour cause d’un voisinage dont feu Hassan II, tout à sa lucidité, disait que « nous ne l’avions guère choisi, mais qu’il nous était imposé ».
La planète est en effervescence, les foyers de guerre se multiplient avec récurrence, dans le monde arabe, en Afrique et même plus près de nous, dans ce Maghreb transformé en ballon d’essai pour les harcèlements armés menés par l’Iran, le Hezbollah via l’Algérie et le polisario. Dans cet engrenage, la sagesse du Roi Mohammed VI vient nous apporter la preuve audacieuse que, nécessité faisant loi, une autre vision doit s’imposer aussi : celle du développement, quand bien même, celui-ci se trouverait entravé par l’absence corollaire de la démocratie, des violations des droits de l’Homme, les crises du climat, de l’immigration, de la montée en puissance des fascismes multicolores, tropiques et continentaux, aussi bien africains qu’européens. La vocation atlantique du Royaume du Maroc est le trait essentiel de son ancrage dans le monde occidental, son flanc privilégié, celui qu’aucun Etat du Maghreb ou du monde arabe ne saurait revendiquer. Lorsqu’en novembre 2006, Mohammed VI s’était rendu en tournée en Amérique latine, notamment au Mexique, en Argentine, au Brésil, au Pérou et au Chili, une manière de percée était effectuée par un voyage historique et porteur d’une nouvelle dynamique qui ne faisait que confirmer la dimension atlantique du Maroc. L’océan atlantique apparaissait alors non pas comme un obstacle infranchissable, mais comme une passerelle vers ce nouveau monde qui a tant fasciné les pays et les gouvernements en face.
Le grand large comme l’on dit, n’était autre chose que cet océan atlantique dont la nature a doté le Maroc sur une façade attrayante par sa dimension géographique et aujourd’hui géostratégique. Adossé sur cette réalité, le Maroc n’a peut-être pas su par le passé mettre en valeur ses richesses naturelles et potentialités, par une politique construite et assumée de nation maritime. La prise de conscience de cette richesse, nous la devrons à présent au Roi Mohammed VI qui est le héraut de cette construction inédite de la multilatéralité océanique du Maroc. Tant et si bien que notre pays n’aura plus rien à envier aux puissances maritimes comme l’Angleterre, la France, l’Amérique, le Brésil ou autres dont le territoire recouvre une longue et significative façade par laquelle prospèrent et les florissants commerces et les échanges de l’humanité.
C’est un appel de la mer que le Roi a lancé, d’autant plus justifié qu’il tombe à point nommé. Nous assistons à une redistribution des cartes, un mouvement inédit des perspectives mondiales, sur fond de crises et de conflits latents et déclarés. Nous disons : le Maroc a sans doute négligé sa façade atlantique, autrement dit sa dimension horizontale, privilégiant sa vocation verticale avec le continent européen qui est à son histoire ce que le colonialisme fut à son apogée : une domination des pays de l’Europe, la mainmise sur les richesses du continent, la soumission de ses peuples et, suprême ironie, un cycle tantôt d’entente complice, tantôt d’hostilités voire de guerre entre eux. Le Royaume du Maroc n’échappa guère à la colonisation, il dut en subir au moins deux, l’une de la France et l’autre de l’Espagne, si bien qu’il a du négocier successivement, non sans difficulté son indépendance, étape par étape. Force nous est de souligner que la décolonisation du Maroc – notamment su Sahara – s’est réalisée « morceau après morceau » comme disait Jacques Berque.
L’indépendance acquise en novembre 1955, après le retour d’exil du Roi Mohammed V, les choix stratégiques de ce dernier étaient la démocratie, le multipartisme, l’économie libérale et l’ouverture sur l’Europe et les Etats-Unis. Choix à la fois rarissimes dans une époque dominée par la guerre froide et la montée en puissance de l’Union soviétique.
L’obsession atlantique de l’Algérie est une fièvre psychanalytique. Et celle, a contrario, du succès du Maroc que Dieu a doté de deux mers, et d’une vocation impériale donne des boutons à Tebboune…