Y a-t-il une critique littéraire au Maroc?
Dossier du mois
La parole aux écrivains et critiques
Lamia Berrada (journaliste / écrivaine)
Maroc diplomatique : Y a-t-il une critique littéraire au Maroc et à quels critères obéit-elle?
Lamia Berrada-Berca : Pour ma part, je pense qu’il existe une critique littéraire au Maroc, aussi embryonnaire ou peu visible soit-elle. La question étant de se demander plus précisément, en effet, quelle en est la nature et quel rôle joue-t-elle exactement. Or, je ne pense pas évoluer au Maroc depuis suffisamment longtemps pour donner un aperçu juste et exact de ce domaine, dans lequel évoluent quelques journalistes d’une part, et quelques chercheurs et universitaires de l’autre. Cependant, en tant qu’auteure, je peux témoigner de par la petite expérience que j’en ai déjà, du fait qu’elle n’est pas comparable à la dimension de la critique littéraire telle que j’ai pu la connaître en France ou telle qu’elle existe dans d’autres pays occidentaux. Ayant été professeur de Lettres modernes d’une part, étant auteure aujourd’hui de l’autre, je dois d’abord rappeler que j’entretiens un rapport double au texte littéraire : du côté de la création d’une part, et de l’analyse textuelle de l’autre. J’envisage le texte comme un ouvroir de sens dont il s’agit d’explorer et de comprendre le tissage et le fonctionnement interne. Je le considère de par ma formation d’enseignante comme objet d’analyse avant tout, avec le désir d’en décrypter le sens et les enjeux, manifestes ou cachés, dans un face-à-face qui demeure horizontal, car mon travail est motivé par une démarche, un désir d’exploration tous azimuts, alors que le critique entame sa lecture avec une vision déjà surplombante dans laquelle il cherchera à s’exprimer en juge, en s’appuyant sur un réseau assez complexe d’outils objectifs et d’appréciations subjectives, pour en dégager au final un jugement “critique”. Est-ce que tous les critiques au Maroc maîtrisent suffisamment les outils littéraires pour évoquer ensuite avec suffisamment de bagages, de justesse d’appréciation, et de finesse d’interprétation, les livres qu’ils chroniquent? Est-ce qu’ils assument tous leur subjectivité, en contribuant à montrer qu’une critique est aussi le fruit d’un regard engagé dans le texte, qui ne se contente pas de demeurer à l’extérieur ou en surface, mais qui constitue le résultat d’une “rencontre”, réussie ou non, aboutie ou non, avec ce texte? Est-ce que le critique demeure, à l’inverse, à juste distance du texte, en ne le confrontant pas systématiquement au livre qu’il aurait aimé lire, et qu’il fait naître en creux, à partir de celui qu’il a lu? Est-ce que le critique prend toujours la peine de juger en argumentant, c’est-à-dire en témoignant des choix et des ressentis, qu’il est de sa totale liberté d’avoir, du moment qu’ils ne sont pas gratuits? Est-ce que le critique prend soin de ne pas prêter abusivement à l’auteur certaines intentions, qu’il n’aurait pas vérifiées auprès de lui, en s’autorisant à parler à sa place, sans rappeler qu’il s’agit là d’un ressenti personnel, et non d’une position de l’auteur lui-même? C’est à toutes ces questions que le travail de critique est confronté, voilà pourquoi il est si complexe…
Quel genre de critique littéraire existe-t-il au Maroc?
Au regard de ce que je viens de dire, il me semble que la véritable critique littéraire occupe un champ extrêmement réduit au Maroc aujourd’hui, car peu de personnes ont, me semble-t-il, réellement conscience des exigences qu’elle implique. On retrouve donc dans le paysage la coexistence d’une critique littéraire et d’une non-critique. Je me borne à constater que la critique est menée très sérieusement par certains journalistes et universitaires – je constate d’ailleurs à ce sujet que beaucoup de femmes ont investi ce domaine avec succès en témoignant d’une grande pertinence et d’une vraie honnêteté intellectuelle –, et qu’il existe ensuite un registre totalement éparpillé entre des bornes-relais d’information d’une part, qui se contentent de relayer l’info de la publication sur leur site généraliste et ne cherchent d’ailleurs pas à s’accaparer le rôle d’un média d’opinion, les avis postés par des blogueurs passionnés qui assument pleinement leur subjectivité et jouent le rôle de prescripteurs auprès de leur propre audience, et les papiers mis en ligne par des journalistes sur des sites web culturels, dont la qualité de regard varie. La place accordée à la culture semble s’accroître d’ailleurs sensiblement, et c’est tant mieux, car les papiers, même brefs, consacrés aux livres contribuent à élargir le champ de vision des lecteurs tout en démocratisant le rapport et l’accès au livre par le biais d’internet… En France, ce phénomène qui se développe sensiblement est d’un réel intérêt, car il propose un autre regard que celui de la critique institutionnelle, bouffée par le marché éditorial habituel, en s’intéressant délibérément à des ouvrages peu reconnus, peu médiatisés, publiés par des maisons d’édition indépendantes qui osent prendre des risques, et ces blogs jouent pour certains titres le rôle de défricheurs de pépites…
À part la critique journalistique qui est faite pour annoncer et présenter un livre, la critique littéraire en bonne et due forme n’est donc pas vraiment présente. Est-ce faute de personnes spécialisées?
Effectivement, trop de supports au Maroc reprennent encore, basiquement, le contenu des communiqués de presse des maisons d’édition, ou de la quatrième de couverture des ouvrages pour meubler le contenu du papier annonçant la parution d’un titre… D’autres contournent la question en procédant à des entretiens où la parole littéraire continue d’être assumée par l’auteur lui-même. Les compétences existent, car il existe quelques vrais critiques, mais elles gagneraient à devenir plus nombreuses dans le domaine, incontestablement! Les supports demeurent insuffisants pour servir de plateforme critique, ou gagneraient dans ce cas à être réaménagés. Le choix de donner plus de place à la culture est corrélé au fait de donner une valeur à ce qu’elle signifie. Or, la plupart d’entre eux sont loin de considé- rer la critique littéraire comme une rubrique essentielle. Eu égard déjà au fait que la production littéraire dans le pays est faible, et qu’elle ne légitime peut-être pas aux yeux des supports l’existence d’une rubrique installée… Pourtant, la littérature n’est ni plus ni moins qu’un miroir, et le roman ce fameux “miroir que l’on promène le long d’un chemin”, disait Stendhal, interroge de près la société.
Peut-être qu’en effet la critique telle qu’elle est exercée au Maroc demeure encore trop allusive et superficielle dans son analyse, hormis lorsqu’il s’agit de critique universitaire, et en grande partie, il faut le souligner, parce que les espaces accordés à la critique de presse écrite sont ridiculement limités et qu’il se révèle difficile pour le critique de se livrer à une analyse plus fouillée dans ce qui tient lieu d’un véritable exercice de synthèse, ayant pour seul but de fournir un éclairage utile et global au lecteur lambda… On a le sentiment qu’elle doit d’abord obéir à ce principe d’efficacité, quitte à opérer des raccourcis parfois brutaux et simplificateurs qui peuvent écorner certains aspects du texte…
La fonction de l’écrivain n’est-elle pas aussi de lire les autres, de décortiquer les œuvres littéraires produites et de porter un regard sur la littérature afin de créer le débat?
En ce qui me concerne, je partage l’avis selon lequel il me semble important de demeurer connecté aux écritures de ses pairs, et de s’interroger ensuite par rapport à ce qu’elles produisent en nous, et ce qu’on y lit, de ce qu’elles reflètent de l’époque contemporaine, de cet espace-temps que l’on habite au même titre qu’eux, car si nous ne pouvons instaurer de véritable dialogue avec les auteurs qui nous ont marqués et influencés, et que l’on conserve précieusement dans nos “sentimenthèques”, comme disait Alberto Manguel, nous avons en revanche la possibilité de dialoguer avec d’autres auteurs. Écrire à partir de ce qu’ils écrivent, c’est faire entendre l’écho du débat qui se produit aussi en nous, c’est se laisser surprendre, se laisser entraîner à parcourir d’autres univers, et les traverser, s’en sentir traverser aussi… Mais la démarche de l’écrivain qui écrit sur l’œuvre d’autres écrivains se révèle assez différente de la position du critique. Et c’est en cela aussi qu’elle est intéressante. Il me semble que l’un et l’autre ont, de toute façon, quelque chose de bien spécifique à apporter, chacun, au dialogue avec l’œuvre. En tant qu’auteure, lorsque j’écris ou que je modère un autre auteur, j’ai la sensation d’avoir accès à son univers de l’intérieur, et d’interroger son rapport à la création en étant directement interpellée là où je sens que pour moi quelque chose se joue, au niveau de la langue ou de la narration… Cela ne donne pas forcément lieu à une meilleure lecture, ou à une lecture au contraire pervertie, elle est tout bonnement induite par un rapport différent, à ceci près que dans la modération verbale, il y a une interaction qui me paraît essentielle parce qu’elle permet toujours à l’auteur lui-même de resituer, de contextualiser, de développer certains points saillants, et le travail pour dégager le sens du texte se révèle être alors fruit d’une rencontre que l’on rend visible entre celui qui écrit et celui qui lit. Je pense, en France, à un écrivain dont j’aime particulièrement l’écriture en tant qu’auteure, et dont l’analyse critique est d’une justesse et d’une précision redoutables, mais également d’une très belle sensibilité, car elle est motivée par une empathie qui donne une lecture humanisée du texte : Carole Zalberg…
Y a-t-il vraiment une littérature marocaine sachant qu’elle n’a pas une grande Histoire et qu’elle est encore en débat contre elle-même afin de se trouver un aspect qui lui serait propre?
D’abord, il n’y a pas Une littérature marocaine, mais des écrivains marocains qui écrivent une littérature marocaine plurielle, à l’image de ce qu’ils représentent, chacun, en tant qu’individu dans la société. Il existe de fait une littérature arabophone d’une part, une littérature francophone de l’autre, sachant qu’elles coexistent l’une et l’autre de manière parallèle, sans quasiment jamais se rencontrer… Peu de passerelles de traduction existent entre ces deux littératures, et je le déplore. Peu de résonances aussi entre les auteurs, sachant que peu d’entre eux naviguent avec la même aisance d’un bord à l’autre des deux rives… Et en l’occurrence c’est loin d’être mon cas, puisque je suis une auteure francophone exclusivement. À vrai dire, la question ne se situe pas selon moi dans le souci d’inscrire la production littéraire sous une identité précise, que j’aurais à définir. La question se situerait selon moi plutôt dans le débat que la littérature marocaine porte entre son désir de représentation réaliste, et sa capacité à s’en affranchir, et la question devient alors celle des enjeux qu’elle porte aujourd’hui… Quelle langue la littérature marocaine se sent-elle le désir de parler? Quand on impose, que l’on suppose, que l’on suppute de façon affirmée que l’écriture doit répondre à telle ou telle grille de lecture du réel et que l’on oublie que l’écriture est d’abord la traduction d’un univers personnel, d’un rapport au monde, d’une interaction qui se joue dans les plis de l’être, que perçoit-on réellement de ce qu’implique le texte, qui porte à travers les mots bien autre chose que «juste» des mots? Et quelle littérature produit-on lorsque cette intériorité fait défaut? La littérature est bien, qu’on le veuille ou non, et de manière aiguë, le reflet de la façon dont la société construit ses individus… On a ainsi tendance à beaucoup se questionner sur l’identité de la littérature maghrébine alors que la littérature est un monde en soi, et qu’il ne peut plus y avoir de littérature maghrébine-type aujourd’hui, définie par des invariants, mais des expressions singulières, mouvantes, qui se construisent en se nourrissant des rapports qu’elles entretiennent elles-mêmes avec toutes les autres écritures du monde… J’aimerais d’ailleurs souligner un autre point, mais qui s’inscrit dans le même ordre d’idées, celui de favoriser justement les conditions de la “rencontre” avec un texte en élargissant le regard. Il me semble à ce titre vital pour un critique d’être nourri et innervé, irrigué dans ses lectures par des types d’écriture variés, et d’avoir à se confronter à des horizons littéraires totalement différents, d’avoir la curiosité de se frotter à la littérature-monde, latino-américaine, africaine, slave, asiatique, arabe… et d’élargir le spectre de ce que la littérature englobe et envisage pour se dégager lui-même d’un certain carcan de normes, et être enclin au voyage, prêt à suivre l’horizon d’attente que propose le texte… s’il en propose un…
Maroc diplomatique : On a tendance à dire que la bonne littérature marocaine est celle qui s’est faite pendant les années 70 et que depuis il n’y a plus vraiment de grands livres. Qu’en pensez-vous?
Je pense pour ma part que la littérature marocaine n’a jamais été aussi belle et aussi puissante, aussi rayonnante que lorsqu’elle était un laboratoire de formes, une exploration des genres, et un registre de voix singulières où l’individualité se prolongeait dans l’écriture comme une sorte de profération, comme un cri, comme une profession de foi… Je pense à l’incandescence du phrasé de Khaïr-Eddine, au Tahar Ben Jelloun du roman-poème-laboratoire de Harrouda, à la puissance réaliste de Choukri, à la lucidité aiguë de Chraïbi, à la quête poétique et ontologique de Khatibi… Il n’y avait, semble-t-il, pas de bornes, pas de limites, pas de normes pour ces auteurs, mais une recherche, une quête. Ce sont à mes yeux des écritures viscéralement engagées dans l’être, voilà pourquoi elles résonnent jusqu’à aujourd’hui avec tant de force. Tant d’évidence. Elles sont les cicatrices d’une époque où les utopies étaient un horizon à hauteur d’homme, et où les individus étaient reliés à la “langue de soi”, sur le plan des idées comme des sentiments. C’est ce que le Maroc a perdu ensuite, selon moi: la créativité de ces voix singulières… La littérature marocaine d’un discours qui invente le réel en même temps qu’il le commente, qui l’interroge en même temps qu’il le représente, qui le subvertit tout en le dépassant… Parmi cette société qui s’autorise aujourd’hui à écrire à nouveau, en laquelle on sent un désir puissant d’expression, de vraies belles énergies existent aujourd’hui. Je n’ai pas le sentiment d’avoir encore été percutée par la vision d’un Luiz Ruffato, cet écrivain brésilien qui apporte une vision si personnelle et si novatrice dans l’expression, ou par un Antonio Lobo Antunès… De ces auteurs dont les livres en effet sont des uppercuts qui s’imposent à tous, sans discussion possible. À l’image de ce qu’incarnait Khaïr-Eddine… Il existe de belles plumes contemporaines cependant, en poésie comme en fiction romanesque, qui s’aventurent incontestablement dans une langue personnelle où l’on reconnaît une empreinte, un style… j’ai le sentiment que l’on “reconstruit” des espaces singuliers, peu à peu… L’avenir le confirmera, mais il est plein de promesses et totalement ouvert!
Il y a une certaine effervescence culturelle et un foisonnement de la production littéraire de talents et de plumes qui émergent. Pourtant il y a un manque d’intérêt de la part des lecteurs. Est-ce un dénigrement ou un rejet de tout ce qui est local ou est-ce que la culture est quelque chose de superficiel pour les Marocains?
Que dire? Si l’on se rapporte strictement aux chiffres, ils sont alarmants, pour ne pas dire accablants… 1 DH dépensé par Marocain dans la lecture, en comptabilisant la presse (si je ne m’abuse), c’est édifiant! Il faut déjà prendre en compte le fait que la société marocaine compte encore environ 30% d’analphabètes (selon les chiffres de 2013), et qu’au-delà, la proportion d’illettrés demeure très importante parmi tous ceux qui, au sortir de la Fac, ne maîtrisent pas suffisamment la langue… 76% des élèves ne maîtriseraient pas la lecture et l’écriture après les 4 premières années de leur scolarité, a indiqué récemment le ministre de l’Éducation, Rachid Belmokhtar… S’il existe une production littéraire qui s’accroît – mais je ne sais pas dans quelle proportion on peut l’estimer de manière précise –, il faut demeurer très réaliste : une vingtaine d’ouvrages par an paraissent, contre environ sept cents ouvrages en France pour la seule rentrée littéraire de septembre… Je ne crois pas en revanche qu’il y ait rejet ou dénigrement de cette production locale ; je pense au contraire qu’il existe un réel désir, une réelle soif de connaître, un besoin de découvrir que l’on ressent et une véritable dynamique citoyenne de jeunes, à travers des initiatives telles que celle de Yassir Bachour et de son club Conscience Estudiantine de la Faculté des Sciences de Aïn Chock qui organise depuis trois ans le concept “Une heure de lecture” in situ dans les espaces publics, des étudiants de la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Hassan Ier de Settat (FSJES UH1) qui a investi le tramway de Casablanca en décembre dernier avec l’opération bibliotram “Qra Tewsel”, ou encore de la très belle initiative de l’Association des jeunes Citoyens “Ktabi Ktabak” qui crée des bibliothèques dans les halls des résidences et des immeubles à l’usage de leurs habitants qu’ils alimentent eux-mêmes en déposant un livre chaque fois qu’ils en empruntent un. Il y avait même dimanche 5 avril un concert de slam organisé au Boultek qui avait exigé comme droit d’entrée que l’on vienne avec un livre… Le projet “Dekhla B’Ktab” a été lancé par le collectif d’étudiants «Chi Haja» et vise à collecter un grand nombre de livres qui servira à créer des bibliothèques dans les régions reculées du pays en organisant des soirées et des rencontres culturelles et artistiques. Je salue ces initiatives parce qu’elles émanent des étudiants eux-mêmes, et qu’elles sont symboliques du fait que la jeune génération réalise aujourd’hui pleinement le devoir de s’emparer et se saisir de la culture comme d’un outil d’émancipation… Du côté des “professionnels”, l’éditrice Nadia Essalmi a mis en place le dimanche matin à la BNRM de Rabat le projet “lire pour grandir” où des auteurs se succèdent pour animer des rencontres de lecture avec les plus jeunes… On n’en est pas, comme l’artiste Raul Lemesoff l’a fait en Argentine, à détourner un Ford Falcon de 1979 pour le transformer en bibliothèque ambulante et gratuite, parcourant la capitale du pays en long et en large en démontrant que le livre est une arme d’instruction massive… Mais un terreau d’initiatives se développe aujourd’hui dans l’espace public… Et cette petite porte qui s’ouvre est d’une importance capitale!
Que faut-il faire pour susciter une critique littéraire digne de ce nom?
Permettre déjà à chacun de s’emparer d’un texte, de s’approprier un rapport personnel à la lecture, à une œuvre… Car avant de penser la critique littéraire comme champ professionnel, il est important de rappeler l’usage critique que chaque lecteur peut exercer lui-même, au quotidien, sans son propre rapport aux œuvres… Si l’on enseigne la langue comme un instrument créateur, comme un outil au service d’une pensée, si l’on transforme l’élève en “écrivant” en pratiquant des ateliers d’écriture libres, on construit délibérément la démarche d’un futur critique, acquis au pouvoir de la langue et à ses constructions symboliques… Voilà comment construire de vrais “regards”… Et comment créer également une audience, acquise à ce que signifie le métier de critique littéraire. La réalité est vaste et complexe dans la mesure où chaque maillon de la chaîne compte : auteurs, critiques, lecteurs, libraires… À chacun de susciter le débat, de se montrer attaché à la valeur de ce qu’implique la diversité des regards pour aboutir à une lecture qui se révèle riche. Aux librairies de créer des moments de partage autour des textes et des auteurs, en multipliant les rencontres croisées… Aux supports de journaux d’instaurer un rituel pour ancrer ce désir de pensée et rappeler aux lecteurs qu’ils sont, en lisant, eux-mêmes, créateurs d’une pensée… Il faudrait pouvoir, en somme, créer de l’espace de pensée suffisant… Des espaces d’interaction. Des entre-deux où le débat ferait sens… C’est aussi simple à dire que difficile à faire… je le sais!