La libération de Laurent Gbagbo redistribue les cartes du jeu politique
Les juges de la Cour pénale internationale ont ordonné, mardi le 15 janvier, la remise en liberté immédiate de l’ex-Président ivoirien Laurent Gbagbo, jugé aux côtés de son bras droit, l’ex-ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, pour crimes contre l’humanité dans la crise post-électorale qui a secoué la Côte d’Ivoire, entre 2010 et 2011. A deux ans d’une présidentielle qui cristallise les débats, cette libération pourrait reconfigurer la scène politique dans le pays.
La Cour pénale internationale (CPI) s’est prononcée, le 15 janvier 2019, en première instance, en faveur de l’acquittement des accusés, après plusieurs années de procès, et a ordonné leur remise en liberté immédiate.
« La Chambre fait droit aux demandes d’acquittement présentées par Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes, fidèles à M. Gbagbo) concernant l’ensemble des charges » retenues contre eux et « ordonne la mise en liberté immédiate des deux accusés », a déclaré le juge président Cuno Tarfusser. Et pour cause, les juges ont estimé que le procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve.
En Côte d’Ivoire, la nouvelle de l’acquittement et de la libération a donné lieu, à la fois, à des manifestations de joie mais aussi de colère, dans certains quartiers de la capitale Abidjan et dans certaines villes de l’intérieur du pays.
Cependant, cette remise en liberté immédiate a été suspendue, dans un premier temps, à la demande du procureur, dans l’attente d’un nouvel appel, puis confirmée, le jour suivant, par la chambre qui a rejeté, à la majorité, la requête du procureur de maintenir l’ex-président et son ancien ministre en détention. Toutefois, la Cour pénale internationale a, une nouvelle fois, suspendu la libération immédiate des acquittés, le vendredi 18 janvier, après un deuxième appel de la procureure Fatou Bensouda à la suite duquel, la Chambre d’appel a décidé du maintien en détention de l’ex-président ivoirien et de son co-accusé, jusqu’à l’audience du 1er février.
En Côte d’Ivoire, la nouvelle de l’acquittement et de la libération a donné lieu, à la fois, à des manifestations de joie mais aussi de colère, dans certains quartiers de la capitale Abidjan et dans certaines villes de l’intérieur du pays.
De son côté, le gouvernement ivoirien a pris acte de la décision de la CPI et a appelé « l’ensemble des populations au calme, au pardon et à la réconciliation ».
Si cette libération est diversement appréciée dans les camps Gbagbo et Ouattara –Alassane Ouattara, actuel Président ivoirien opposé à Laurent Gbagbo, lors du second tour des élections de 2010 dont la crise post-électorale a occasionné 3.000 morts – c’est surtout le champ politique ivoirien, déjà mouvementé, qui risque d’en être ébranlé. En effet, si la remise en liberté de Laurent Gbagbo, suite à son acquittement «surprise», est effective avant l’élection présidentielle de 2020, elle viendra jeter un pavé dans la mare.
Porté au pouvoir en 2010 et 2015 par le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), une coalition de plusieurs partis politiques dont les poids étaient le RDR et le PDCI-RDA, le Président Alasanne Ouattara achève son second mandat à la tête du pays ; mais le paysage politique a bien évolué depuis sa réélection et le maintien de sa coalition au pouvoir en 2020 n’a rien d’une évidence.
De nouveaux rapports de force
La possibilité d’un retour de Laurent Gbagbo dans l’arène politique en terre d’Eburnie intervient à une période de grande recomposition des forces politiques en Côte d’Ivoire, sous fond de tension entre le RDR d’Alassane Ouattara –en route pour devenir, avec d’autres formations, le RHDP unifié– et son allié d’hier le PDCI d’Henri Konan Bédié.
En effet, au mois d’août, le premier parti politique ivoirien a quitté officiellement la coalition au pouvoir et a rejoint les rangs de l’opposition, après avoir soutenu la candidature du Président Ouattara, durant les deux dernières élections présidentielles.
Comme raison, le PDCI a évoqué des mésententes et des promesses non tenues en rapport avec l’alternance au coeur du deal entre les dirigeants des deux partis. Depuis, Henri Konan Bédié a entamé un rapprochement avec d’autres partis d’opposition, y compris le FPI de Laurent Gbagbo dans le but de créer une plateforme pour barrer la route au parti d’Alassane Ouattara à la prochaine élection.
Une autre «défection» ou presque dans le camp de la coalition au pouvoir, celui du président de l’Assemblée nationale, réputé proche de Bédié, à qui l’on prête des ambitions présidentielles mais qui n’a toujours pas pris de position officielle sur une prochaine candidature à la magistrature suprême, se tenant à l’écart des tensions entre le RDR et PDCI.
Mais si la fracture de l’ancienne coalition peut laisser penser que le parti présidentiel est affaibli, pour de nombreux observateurs, le Président Ouattara tient la barre et le prochain congrès du RHDP unifié –le 26 janvier 2019– qui se veut une plateforme d’union des partis politiques, devrait confirmer la force du groupement au pouvoir.
FPI, le retour en grâce ?
Le 7 août dernier, le Président de la république de Côte d’Ivoire a amnistié 800 prisonniers de la crise post-électorale parmi lesquelles une majorité de personnalités et de militants du Front populaire ivoirien (FPI). Cette décision, de nature à apaiser les tensions et poser les bases d’une réconciliation nationale, a été saluée par toute la classe politique ivoirienne, mais elle a surtout été perçue comme un coup de maître de la part d’Alassane Ouattara qui, en remettant Simone Gbagbo dans le jeu politique, a coupé l’herbe sous les pieds du PDCI qui lorgnait sur les sympathisants du FPI.
Il faut, toutefois, noter que cette amnistie ne concerne pas Laurent Gbagbo. En effet, l’ancien Président ivoirien a été condamné, en janvier 2018, à 20 ans de prison et à 329 milliards FCFA d’amende pour le braquage de l’Agence nationale de la (BCEAO), pendant la crise post-électorale. Il pourrait donc faire face à la justice ivoirienne, après l’épisode de la Cour pénale internationale.
Mais déjà, plusieurs observateurs affirment qu’il sera, indubitablement, au centre de la prochaine élection présidentielle. Les cartes de la politique ivoirienne sont donc rebattues, avec les mêmes acteurs de la présidentielle de 2010, mais avec de nouvelles positions et de nouvelles alliances.
Le suspense reste entier