EVE de Marmoucha, hymne à Mère Courage de l’Atlas
Mohamed MALKI
Visiblement, tel un météore médiatique d’exception, « TISSEUSES DE RÊVES », film documentaire franco-marocain de la réalisatrice Fatima Ithri Irhoudane, coproduit par 2M et diffusé par la même chaine au printemps 2016 dans le cadre de son créneau hebdomadaire –phare, « Histoires humaines », continue son envol promotionnel à l’international. En effet et après avoir reçu les suffrages d’une frange élargie du public national féru d’une cinématographie amazighe de bonne facture en gestation, le film entame une carrière mondiale sur des chapeaux de roue. Dernière distinction en date, l’obtention du « Prix Art, patrimoine et cultures de la Méditerranée » lors de la 20 édition du PriMed en novembre dernier à Marseille. Last but not least, La chaîne franco-allemande ARTE a pris le parti de le diffuser aujourd’hui dans le cadre de sa programmation consacrée à la célébration de la journée internationale de la femme.
« La femme est l’avenir de l’homme »-dit le poète. Vérité universelle et intemporelle. Au flanc des contreforts du Moyen -Atlas, la centralité féminine est réelle et prégnante. Au delà des terribles aléas de l’enclavement, de la précarité, des rigueurs du climat, les tranches de vie montrées par le film sont significatives et obsédantes. Elles donnent pourtant la preuve que la femme amazighe, nonobstant la souffrance à laquelle elle est soumise au quotidien, ne s’assume pas comme une laissée pour compte, et, loin de verser dans les sirènes de la résignation et du mektoub, elle n’a de cesse d’agir, contre vents et marées, pour infléchir le destin, le sourire aux lèvres et le cœur gonflé d’une quête du Graal, persévérante et chevillée au corps. Le temps de la narration est à l’image d’une temporalité rurale. Les images d’Epinal défilent lentement comme les grains d’un chapelet oppressif: corvées de bois et d’eau sous la blanche poudreuse ou la canicule, rigueurs de la transhumance et d’un pastoralisme de subsistance, déperditions scolaires endémiques, les veillées où la tablée ,faisant valoir le référentiel mémoriel, convoquent mythes et symboles fondateurs de l’identité amazighe pour se donner du courage et colorier en rose leurs horizons d’attente.
Film résolument féministe ? De prime abord, et à tout le moins sur le plan formel, on est tenté de répondre par l’affirmative, tant la présence de la gent masculine est quasi-nulle. C’est méconnaître le fonctionnement du microcosme social amazigh qui, féru de la notion de parité, proscrit toute velléité de sexisme et croit dur comme fer que la femme est « la moitié du ciel ».Sauf que les impératifs de la division du travail-surtout en en milieu transhumant- dessine les contours d’une stratification communautaire ou chacun des deux sexes assume ses tâches de façon autonome, sinon décloisonnée et ce, pour fins de maintien de la cohésion sociale et de la solidarité. Le mot vient à point nommer pour illustre l’idéal suprême de ces Mères Courage d’Almis Marmoucha et d’alentour. Cette solidarité productive et créatrice de sources de revenus complémentaires qui constitue l’alternative idoine pour améliorer-sinon optimiser- les conditions de vie et assurer un mieux-être à la collectivité. C’est le crédo de ces « tisseuses de rêves », le sens qu’elles donneront à leur vie et à leur action désormais inscrite dans la durée et structurée par l’idéal de la convivialité et du partage.
Assurément, « Tisseuses de rêves » est un grand film, âpre et humain. Une œuvre nue, dépouillée des grands effets décoratifs et sentimentaux qui, automatiquement, agissent sur la plupart des spectateurs. Il n’empêche que les séquences attendrissantes et éminemment discursives qu’il recèle agissent –au niveau de la réception-sur la sensibilité émotionnelle et la raison parce que porteuses de sens légitimant une cause de justice, d’égalité sociale et de soif de liberté et de bonheur.
L’interprétation est au dessus de tout éloge .Ce n’est pas assez dire de Taâbort, Rkia et Yamna, la petite bergère, assoiffée de savoir mais qui se retrouve, hélas à son corps défendant, en rupture de ban de l’école, qu’elles sont ici admirables comédiennes, parce que naturelles et authentiques .Anti héroïnes, par excellence, elles sont, totalement et simplement toute une âme de gens du peuple, avec leur bonté, leur solide bon sens, leurs touchants de naïveté et leur rude droiture. Il faut à cela plus que du talent ; il faut le génie du cœur.
Brève, la fin est elliptique mais résolument suggestive. Cette fin, les spectateurs auront tout le loisir de l’arranger comme ils le voudront, au gré de leur optimisme ou de leur pessimisme. Des instantanés d’une éloquence symbolique. Il en va ainsi de la main de petite écolière, Yamna, qui l’attire vers la maison et l’expression de son regard dessillé est rayonnante d’une reconnaissance infinie .Elle comprend, comme nous le comprenons, que cette misère au grand cœur capable de miracles dans l’élan du tissu de solidarité, c’est cela le bonheur véritable véritable, la plus grande richesse…Un cœur plein d’amour apporte les plus beaux enchantements. Et, au-delà des déboires, des pauvretés et des dérisions, de la malchance ironique, du sort injuste, du froid et de la faim, une tendre douceur peut parfois ouvrir ses yeux aveugles pour voir resplendir dans une vision onirique, ces grandes lumières de la vie, enfin de tout ce qui permet de garder et de pérenniser ses rêves. C’est peu dire que la résonnance des mélopées d’ahidous et des tamaouayt accentue la dimension festive de cette construction permanente d’un bonheur omniprésent et collectif, antidote imparable contre l’adversité.
« Tisseuses de rêves » est en passe de devenir un film -culte du cinéma amazigh qui, au Maroc, en tout cas, imprime ses marques dans l’avancée qualitative que la cinématographie nationale connait depuis une décennie. Cet opus s’annonce comme un prescripteur de tendance qui met en avant, outre l’exploration de voies esthétiques authentiques et innovantes, le principe du respect et de la valorisation du socle pluriel des universaux artistiques et civilisation els de notre pays, garants de son unité, sa richesse et sa spécificité patrimoniale. Cette « exception culturelle » marocaine que le monde, autour de nous, questionne et s’empresse de valider comme modèle à méditer et à suivre. A cet égard, les prix que « Tisseuses de rêves » s’est vu attribuer en Europe et la visibilité dont il a fait montre dans des festivals prestigieux à Boston, New York, Washington, en Argentine et au Mexique, entre autres, laissent entrevoir des perspectives de volonté de redécouverte de nos fondamentaux intrinsèques qui, par les temps qui courent, peuvent représenter un rempart à l’ostracisme et à l’exclusion de l’Autre.
FICHE TECHNIQUE. « Tisseuses de rêves »,52 mn, produit par Laetitia RODARI, Sophia PERLE (AMC Productions et MPS) et Sarim FASSI FIHRI. Image : Abellah ELMOUKADEM, Eric REGNAULT. Son : Ahmed FAIQ et Thomas ROCHE .Montage : Laetitia RODARI, Nacer SADI-Berbère TV. Musique originale : Nour-Edine OURAHOU. Une coproduction 2M, Berbère TV et TL7.Avec le soutien du CNC, du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud, de la Région Auvergne. TL7.