Normalisation avec Israël, le Maroc signera-t-il ?
Moins d’un mois après la signature des accords d’Abraham par les Émirats arabes unis et le Bahreïn, les spéculations vont bon train quant à un potentiel rapprochement entre le Maroc et Israël. Qu’en est-il vraiment ? Le Maroc serait-il le prochain pays à normaliser ses relations avec Israël comme l’avance depuis quelques semaines la presse internationale ?
Se présentant comme un artisan de la paix, Donald Trump n’a cessé d’affirmer que « cinq ou six pays arabes supplémentaires » parmi lesquels figureraient Oman, le Soudan et le Maroc, suivront prochainement l’exemple des deux États du Golfe. Une information largement relayée par la presse internationale comme le Washington Post ou encore Times of Israël et certains journaux marocains qui ont fait écho de ces rumeurs, participant ainsi à la pression médiatique qu’a subi le Royaume sur la question. Une aberration selon Samir Bennis, conseiller politique à Washington, selon qui en Occident, on a tendance à considérer que tous les pays arabes ont la même histoire, la même mentalité et les mêmes objectifs « comme s’il n’y avait pas de différence entre le Maroc, l’Arabie Saoudite et le Qatar ». En effet, les responsables américains sembleraient oublier que le Maroc, de par son histoire, a des intérêts divergents en plus de ne pas se situer dans la même zone géographique, il ne s’agit pas d’un ensemble homogène. Une confusion causée notamment par la relation spéciale qu’entretient le Maroc avec sa diaspora juive. Mustapha Sehimi, politologue, nous explique l’importance de la dimension humaine avec l’existence de quelque 800.000 Israéliens d’origine marocaine. Cette communauté est aujourd’hui très attachée au Maroc où elle avait ses racines. « Sa Majesté Mohammed VI est salué et considéré de manière particulière (…) parce qu’il a consacré dans l’identité et la culture marocaine, la part de l’héritage hébraïque dans, la Constitution de juillet 2011. Quel autre pays arabe assume ce legs ? »
S’il ne fait aucun doute sur les relations privilégiées du Maroc avec sa communauté juive, cela ne signifie pas pour autant que le Maroc s’apprête à normaliser ses relations avec Israël. D’ailleurs, le Maroc subirait une importante pression médiatique et politique sur ce dossier. En janvier, Mike Pompeo, Secrétaire d’État américain, était venu rencontrer Sa Majesté le Roi Mohammed VI, deux jours après sa visite en Israël. Le montage médiatique qui a été fait de ce rendez-vous aurait induit les Marocains en erreur. « Cela est fait exprès pour donner l’impression que le Maroc va fléchir et normaliser (…) « Malheureusement, certains ne sont pas au courant de ce qui se passe et suivent la presse internationale », constate Samir Bennis. Sa Majesté n’a finalement pas reçu Pompeo, la réunion a été annulée, il s’est finalement réuni avec le chef de gouvernement El Othmani, Bourita et Hammouchi. Au lieu de rester deux/trois jours comme prévu, son séjour a duré quelques heures seulement. « Si le Maroc subit des pressions, il est souverain dans la prise de ses positions, de manière indépendante, sur la base de ses intérêts stratégiques et nationaux », nous rappelle Abdelhafid Oualalou, vice-président de l’Association marocaine de soutien au peuple palestinien.
Mais l’obstination de certains est telle que de faibles arguments sont remis sur la table. Dans l’opinion marocaine, l’idée selon laquelle le Royaume pourrait réaliser une percée dans la question du Sahara en normalisant les relations avec Israël ne tient pas compte de la dynamique du conflit au Conseil de sécurité et du fonctionnement des Nations Unies. Même si les États-Unis sont le porte-plume des résolutions sur le Sahara, ils ne peuvent à eux seuls imposer leur point de vue aux autres membres du conseil ou changer le cours du processus politique engagé en 2007. Que les États-Unis veuillent faire avancer la position marocaine ou adopter une position favorable à l’Algérie et au Polisario, ils se heurteraient à la résistance d’autres membres du conseil, explique Samir Bennis.
Sur le plan diplomatique, la déclaration du ministre Bourita « On ne peut être plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes » après la présentation du Deal du Siècle, avait fait polémique, les Marocains pensant qu’il s’agissait d’une manifestation de soutien envers Israël. Une phrase qu’il faut toutefois interpréter dans son contexte, expliquent nos intervenants. En effet, Mustapha Sehimi nous rappelle que le plan américain contient notamment le principe de la solution de deux États, qui est en accord avec la position de Rabat sans pour autant se rallier au Deal du siècle. Par ailleurs, le Maroc sait qu’il a affaire à un président imprévisible. « Il est resté sur la réserve, avec une position nuancée afin d’éviter toute tension », confie Samir Bennis, « Le Maroc n’est pas n’importe quel pays, nous avons une élite avec des penseurs et des intellectuels qui savent très bien ce qui se passe. Malheureusement, beaucoup d’analystes interprètent mal, ils ne savent même pas ce qui se passe sur le terrain ».
Une normalisation entre Israël et le Maroc ? Pas pour demain, selon nos intervenants. L’attachement du Royaume à la cause palestinienne n’est plus à démontrer. En effet, « le Royaume s’est toujours mobilisé dans le concert des nations pour rejeter explicitement le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem (…) La voix de SM Mohammed VI porte à l’international d’autant plus qu’il est président du Comité Al Qods et qu’il veille de manière sourcilleuse et interpellatrice à ce que l’intégrité de la Ville Sainte ainsi que son cachet civilisationnel soient préservés », précise Mustapha Sehimi. Pour Sébastien Boussois, chercheur en Sciences politiques associé au CECID (ULB), élargir les accords dits de paix à d’autres pays arabes plus lointains comme le Soudan, la Mauritanie, et le Maroc entre autres avec Israël, risque de s’avérer plus compliqué que prévu en raison des priorités et des urgences nationales (pandémie, terrorisme…). « Plus spécifiquement, le Roi Mohamed VI, commandeur des croyants, et aussi président du Comité Al Qods, qui par définition veille à l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël, avec pour capitale Jérusalem, avant toute reconnaissance ou toute négociation, ne marchera pas dans les pas de Trump et résiste déjà aux ingérences émiraties ».
Maroc-Israël, des relations secrètes ?
Mais tout cela n’empêche pas pour autant le Maroc d’entretenir des relations officieuses avec Israël de longue date. Tout le monde se souvient en effet de la fameuse rencontre de feu Sa Majesté le Roi Hassan II avec Shimon Peres, ancien Premier ministre israélien à Ifrane en 1986. Peres avait alors discrètement volé à bord d’un avion militaire israélien vers le Maroc pour y rencontrer le Monarque. Selon Bennis, même entre États ennemis, les contacts sont conservés, ils sont certes secrets et personne n’est au courant de ce qui se passe, mais ils sont là « ça s’est toujours passé comme ça dans les relations internationales (…) Mais de là à franchir le pas de la normalisation, je ne pense pas que le Maroc soit prêt à le faire ». Par ailleurs, le Maroc tient fortement compte de l’opinion publique qui s’oppose catégoriquement à toute normalisation avec Israël, et ce, même si certaines franges plaident en faveur de celle-ci pour des raisons personnelles et pour servir leurs propres intérêts. Il ne fait donc aucun doute pour nos intervenants, « le Maroc a toujours soutenu la cause palestinienne, il s’agit d’une cause nationale après l’intégrité territoriale », déclare Abdelhafid Oualalou.
Peace, Salam, Shalom ?
La cause palestinienne figure en effet parmi les premières causes nationales des pays arabes. Ainsi, soucieux de ne pas s’attirer les foudres de l’opinion publique et des Palestiniens, ils se défendent, à l’instar de Rashid bin Abdullah Al Khalifa, ministre de l’Intérieur du Bahreïn qui aurait déclaré selon l’agence de presse Reuters : « Ce n’est pas un abandon de la cause palestinienne… Mais un renfort de la sécurité des Bahreïnis et de leur stabilité économique ». Mais pour les Palestiniens il s’agit d’une énorme trahison : Mahmoud Abbas a même déclaré « ils ont tourné le dos à la cause palestinienne, et ils viennent nous dire que nous devrions être heureux, car l’annexion a été suspendue ? C’est une tromperie ». En effet si les signataires pensaient avoir tiré le gros lot en croyant œuvrer pour l’arrêt de l’annexion, en isolant l’Iran, et en renforçant leur stabilité économique, Netanyahu n’a pas hésité à affirmer qu’il ne s’agissait en réalité que d’une suspension jusqu’à nouvel ordre de cette annexion.
Cela semble alors mal parti pour la paix dans la région. Comme titre le journaliste américain, Ronan Farrow, nous sommes plutôt globalement face à une « Paix en Guerre » avec une montée de la militarisation des récits et un recul de la diplomatie. Tous ces accords ne sont alors que de la paperasse sans importance, nous explique Sébastien Boussois qui constate une « israélisation à l’état pur des Émirats arabes unis » qui s’opère depuis des années. « Abu Dhabi veut avant tout profiter du génie israélien en matière de nouvelles technologies de l’information, d’armement, et d’outils de sécurité notamment cybernétiques pour assurer sa survie et se hisser toujours plus haut ». Officiellement, les deux pays n’entretenaient pas de relations diplomatiques jusqu’au 13 août 2020, mais en réalité, elles existent bel et bien depuis… 1996, année d’ouverture de bureaux de liaisons économiques entre les deux pays. Donc ce n’est pas un accord de paix, qui ferait suite à une guerre, car il n’y en a jamais eu, mais avant tout un accord de normalisation qui permettra d’accélérer, dans cette période de crise violente, les échanges économiques officiels et le commerce des armes. Depuis plusieurs jours, Abu Dhabi ne cesse d’ailleurs de se targuer dans les médias, par la voix d’Anwar Gargash, son ministre des Affaires étrangères, de recevoir une pluie de propositions d’investisseurs d’Israël. Donc le pari est gagné, conclut le chercheur.
Ainsi, une alliance entre les États arabes et Israël sous l’impulsion des États-Unis pour contrer la menace iranienne et développer une coopération militaire, ne reflète pas véritablement les principes d’un accord de paix. « Business is Business », c’est ce que l’on peut déduire de ces normalisations avec Israël. Si les États signataires n’y voient aucun danger pour la cause palestinienne, une chose est sure, cela ne fera que renforcer le crédit de Trump auprès des différents lobbies pour les prochaines élections, en remplissant une de ses promesses de campagne et nominé pour les Prix Nobel de la paix. Enfin, des questions demeurent, quid du chef de file du monde arabe, l’Arabie Saoudite, pourrait-elle suivre l’exemple de ses voisins au risque de créer un électrochoc dans la région ?