Latifa Ibn Ziaten : « Beaucoup m’appellent aujourd’hui deuxième mère »

Citée parmi les « 109 Mariannes », décorée à maintes reprises à travers le monde pour son action en faveur des jeunes et de la paix, Latifa Ibn Ziaten poursuit sa lutte à travers l’Association Imad pour la Jeunesse et la Paix, 9 ans après l’assassinat de son fils. MAROC DIPLOMATIQUE s’est entretenu avec la militante de la paix.

MAROC DIPLOMATIQUE : Où en est aujourd’hui l’association, quelle évaluation faites-vous de ses activités sur le terrain et son impact auprès des jeunes ?

Latifa Ibn Ziaten : L’association se porte très bien, elle grandit et va même plus loin que je ne l’imaginais. Malgré la Covid, on fait notre possible pour nous déplacer et avancer. Sur le terrain, on constate un changement auprès de certaines personnes notamment dans les milieux scolaires et les maisons d’arrêt. On parvient de plus en plus à les toucher et à transmettre un espoir, les valeurs du vivre-ensemble, l’amour de l’autre … une confiance s’est peu à peu installée et beaucoup m’appellent aujourd’hui « deuxième mère ». Un nom que j’accepte volontiers, j’ai gagné beaucoup d’enfants depuis que j’ai perdu le mien.

MD : Pensez-vous que les actes terroristes sont plus récurrents en France que dans d’autre pays occidentaux ? Pour quelles raisons selon vous ?

L.IZ. : En France, nous avons ce problème de ghettos qui ont brisé pas mal de jeunes. Cela me surprend chaque fois que je me rends dans des cités, de trouver des étrangers ou des enfants d’immigrés regroupés ensembles. Même si la plupart sont français, pour eux c’est comme s’ils venaient du Maroc, de la Tunisie, ou de l’Algérie car il n’y a pas de mixité dans ces cités, le jeune ne sait donc plus qui il est. Et c’est pareil dans certains établissements scolaires situés dans les quartiers notamment, il n’y a pas de mixité, cela va créer un sentiment d’abandon. D’ailleurs, lorsque je demande à des jeunes pourquoi vous agissez comme ça, ils me répondent « la République nous a oubliés, la société ne veut pas de nous ». Autre exemple, lorsque ces jeunes vont à l’école, les enseignants sont absents pendant plusieurs semaines et ne sont pas remplacés. Ils restent sans encadrement et au final ne gagnent rien… en fin d’année ils sont orientés et ne peuvent même pas choisir ce qu’ils veulent faire. Bien sûr, l’éducation des parents entre aussi en compte. Lorsque je suis un parent et que je vis dans une cité je dois chercher une solution pour quitter cet environnement et fournir le bonheur à mes enfants.

MD : Que pensez-vous des projets de loi sur le séparatisme ? Est-ce une solution ou au contraire cela va-t-il accentuer la frustration de ces jeunes ?

L.IZ. : Ce n’est pas une bonne solution, si l’on interdit aux gens de vivre librement, de mettre un voile ou de circuler c’est qu’on les prive de leur liberté. On est tout de même dans un pays de droit où l’on est libre de porter ce que l’on veut, une jupe, un jean ou un voile. Il faudrait plutôt discuter avec les personnes concernées au lieu de procéder immédiatement aux interdictions. Cela ne fait qu’augmenter le racisme, la haine, c’est dommage pour la France.

MD : Envisagez-vous de faire le même travail associatif au Maroc ?

L.IZ. : J’ai créé une antenne de l’association au Maroc, on m’a fourni un local mais je n’avais pas les moyens pour le remettre à niveau, c’est dommage, je vais faire mon possible pour m’en occuper au plus vite. Au-delà de ça, j’ai ouvert près de 8 bibliothèques avec des salles informatique dans les établissements scolaires, j’ai également mis en place une caravane médicale … j’aime mon pays le Maroc, on n’oublie jamais son histoire, ses racines, d’où l’on vient, c’est naturellement que je veux l’aider.

MD : Que ressentez-vous, en tant que femme qui jouit d’une certaine popularité, au quotidien ?

L.IZ. : Il faut toujours garder la tête sur les épaules, la femme a beaucoup de force et de résistance. En ce qui me concerne, j’ai connu beaucoup de souffrance et de joie durant ma jeunesse, mais on doit résister, Dieu nous a donné cette force pour être une mère, une sœur, une tante, une femme libérée… d’ailleurs, j’ai moi-même grandi avec une grand-mère qui me disait qu’une femme doit toujours garder la tête haute et avancer, se dire qu’elle va apprendre et non « je ne sais pas », j’ai beaucoup appris des femmes françaises aussi.

MD : Quel message avez-vous pour les femmes en cette semaine du 8 mars ?

L.IZ. : Les Marocaines sont formidables et ont des idées extraordinaires, elles sont intelligentes… Vous savez j’ai fréquenté toute sorte de femmes, dans les villes, les campagnes etc. elles doivent garder cette liberté en elles, qui doit leur permettre d’avancer dans la vie et les protéger. Elles doivent donner l’exemple aux autres aussi et avoir le sens du partage entre-elles.  Enfin, je les encourage à parler. Je prends l’exemple du Maroc, nous avons toujours un proche à qui nous confier, une tante, une cousine, un voisin… même si l’on ne parle pas aux parents. En France c’est différent, le où la jeune en difficulté se renferme sur soi quand il est en difficulté et il devient triste … cela engendre des problèmes de santé, de la délinquance… ils refusent ensuite de consulter car ils associent cela à la folie.

MD : Quel est le rôle de la femme dans cette lutte ?

L.IZ. : J’ai sauvé beaucoup de jeunes filles qui voulaient se rendre en Syrie, car soit elles se sentent pas belles, elles n’avancent pas à l’école, rencontrent des problèmes familiaux, de divorce, sont en état de choc, ou en manque d’amour. C’est là que l’on réalise que la présence d’une mère est importante, pour dialoguer, échanger, ne pas les laisser enfermées dans une chambre avec une tablette etc. la mère est la plus proche de ses enfants, pour cela certaines filles se cherchent car elles ne trouvent pas ça chez elles, et pensent trouver ça ailleurs et tombent dans de nombreux pièges.

 

 

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