Maroc-Espagne : Que coûterait une éventuelle rupture des relations ?
Alors que les tensions entre le Maroc et l’Espagne continuent de s’intensifier, suite, notamment, à la dernière sortie de l’Ambassadeur du Maroc en Espagne, Karima Benyaich, en réponse aux provocations espagnoles, il convient de se demander ce qu’il adviendrait des relations économiques entre les deux pays si rupture diplomatique il y a. MAROC DIPLOMATIQUE à demandé l’avis de l’économiste Nabil Adel, et de l’enseignant-chercheur en relations internationales à l’Université américaine de Dubai (AUE), Mohamed Badine El Yattioui.
Les tensions entre le Maroc et l’Espagne continuent de s’amplifier après les différentes sorties médiatiques des représentants espagnols et marocains. Si les relations diplomatiques entre les deux pays devaient être rompues, quel impact cela aurait-il sur le plan économique ? L’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc, les échanges entre les deux pays représentent quasiment un tiers du commerce extérieur marocain, constate Mohamed Badine El Yattioui, qui rappelle que l’Espagne a dépassé la France il y a environ six ans sur le plan commercial. Le Maroc est le premier client africain de l’Espagne et son deuxième client mondial en dehors de l’Union européenne. Il s’agit donc d’un partenaire essentiel. Au-delà du commerce, l’Espagne est le troisième contributeur en termes d’IDE, derrière la France et les Emirats Arabes Unis.
Que coûterait une éventuelle rupture des relations ?
Si le Maroc décide d’aller au bout de sa logique en atteignant un point de non-retour, les relations économiques ne seront pas automatiquement impactées estiment nos intervenants Nabil Adel et Mohamed Badine El Yattioui. Ce dernier explique que les investissements sont régis par le droit privé. « On aurait un ralentissement des investissements à venir mais les contrats déjà signés et les investissements ayant déjà eu lieu, ne vont pas s’interrompre du jour au lendemain ». Ainsi, « si nous avons des projets industriels entre le Maroc et l’Espagne avec des unités de production au Maroc, celles-ci ne disparaîtront pas », ajoute-t-il. En revanche, ce qui pourrait arriver, c’est que si le Maroc décide de rompre les relations avec l’Espagne, « les futurs investissements et projets en cours de négociation pourront très probablement être suspendus ».
Nabil Adel quant à lui, estime que l’impact serait un peu plus dur pour le Maroc que pour l’Espagne si cela devait se produire, mais il rappelle qu’une rupture diplomatique ne signifie pas arrêt des relations économiques. « Il va y avoir un rappel des ambassadeurs, des explications, mais je ne pense pas que cela va durer. Le scénario d’une rupture est extrêmement faible et aucun des deux voisins ne voudrait que les choses en arrivent jusque-là, compte tenu de l’enjeu. » Mais si cela se produisait, « le Maroc ferait valoir d’autres cartes que celles de l’économie, notamment sur le plan sécuritaire et migratoire, l’Espagne perdra donc beaucoup plus ».
Si les tensions semblent s’accentuer au fil des jours, notamment après la sortie de l’ambassadeur du Maroc en Espagne, Karima Benyaich, qui a réagi aux propos « inappropriés » des représentants espagnols, Nabil Adel estime que la crise se dirige davantage vers un déblocage, plutôt qu’un blocage, « le Maroc a obtenu ce qu’il voulait, à savoir qu’il soit entendu par un juge et c’est ce qui va se passer le 1er juin. »
Une aubaine pour les autres pays européens ?
Pour El Yattioui, ces tensions pourraient représenter une occasion de se rapprocher davantage du Royaume-Uni du fait de sa stratégie pro-active depuis le Brexit et en raison de son différend avec l’Espagne autour de Gibraltar. « Le Royaume-Uni va chercher à se positionner et ça pourrait être intéressant pour le Maroc. Il y a également la France qui voudra reprendre la première place, l’Italie et la Belgique qui voudront également se positionner, ou encore les pays de l’Europe de l’Est tels que la Hongrie et la Pologne. Il serait également intéressant de creuser la piste des Emirats, voir les produits dont ils ne disposent pas notamment au niveau agricole, et ne pas se contenter de recevoir des investissements ». Un argument que nuance toutefois l’économiste Nabil Adel, selon qui, « ce n’est pas demain la veille qu’un client britannique pourra remplacer un client espagnol, cela prend du temps pour se mettre en place », en rappelant que pour arriver à la teneur de ces relations avec l’Espagne, cela a pris plusieurs décennies.
Quel impact pour les Marocains en Espagne
Beaucoup se demandent ce qui pourrait advenir des Marocains résidant en Espagne. Pour El Yattioui, cela ne devrait avoir aucun impact. Les Marocains sur place ne seront pas touchés car un nombre important détient la nationalité espagnole, rappelle-t-il. Il ne pense pas non plus que l’Espagne aura une politique de vengeance et de même pour les Espagnols résidant au Maroc qui sont au nombre de 10.000. « Ce qui serait plus compliqué, c’est au niveau de la société espagnole, les Marocains pourraient subir des discriminations, du racisme … ».
Quid des partis politiques espagnols et les milieux d’affaires ?
En Espagne, la gauche est assez divisée, constate El Yattioui. Podemos qui soutient le polisario ne veut pas se rabibocher avec le Maroc. « Pedro Sanchez, le Premier ministre, est dans une position délicate car il est critiqué par sa majorité via Podemos et par l’opposition qui lui reproche d’avoir mal géré et sous-estimé la réaction marocaine ». En ce qui concerne les autres partis, « ils profitent de cette crise pour récupérer des électeurs pour les prochaines élections… et Vox se frotte les mains puisqu’il mène une véritable campagne raciste et anti-marocaine ».
Au niveau des milieux d’affaires, José Miguel Zaldo, patron espagnol, avait fait une tribune dans le média elEconomista. Il expliquait alors qu’il avait été le président du comité hispano-marocain et avait investi au Maroc dès 1989, nous rapporte El Yattioui. « Le Maroc est un allié stratégique, à part les Etats-Unis en dehors de l’UE, nous n’avons pas de plus gros partenaire commercial », déclarait-il dans une Tribune qui a fait beaucoup de bruit. « Aussi, il faut rappeler que les Espagnols ont été très ravis d’avoir pris la première place de partenaire commercial à la France il y a six ans, et ils veulent la maintenir. Ils considèrent à ce titre, que la réaction de Pedro Sanchez et Arancha Gonzalez est une preuve d’amateurisme. Ils n’ont pas suffisament évalué l’impact de leurs actes », conclut l’enseignant-chercheur.