Médecins résidents et internes, une réalité amère au sein des CHU
Le suicide de Yassine Rachid, un jeune médecin résident au CHU Ibn Rochd de Casablanca, le jeudi 25 août 2022, a créé un tollé parmi les futurs médecins et spécialistes. Une fin tragique qui fait surgir de nombreuses interrogations sur les conditions de travail des futurs médecins dans les établissements hospitaliers. Mais aussi qui met sous les projecteurs une réalité choquante qui remet en cause un système de santé “défaillant”.
Le projet de réforme du secteur de la santé place la valorisation des ressources humaines au centre de ces préoccupations. Cependant, cet objectif ne peut se concrétiser sans une rupture franche avec toutes les pratiques dégradant la dignité des étudiants et futurs médecins.
En effet, ces derniers subissent quotidiennement diverses formes d’injustices et d’abus d’autorité. Des pressions dont les répercussions se font sentir sur le médecin lui-même, mais aussi sur ces patients. Une enquête menée, à cet effet, par le journal le “Matin”, auprès des médecins internes et résidents du CHU Ibn Rochd de Casablanca, révèle un quotidien amer qui demeure jusqu’à présent méconnu des citoyens.
De multiples témoignages rapportés pointent du doigt les failles structurelles du système hospitalier et remettent en question son efficacité.
Les critiques des futurs médecins ont porté notamment sur les conditions de travail qu’ils qualifient de « catastrophiques » notamment pour les non pistonnés.
«La situation dans laquelle travaillent actuellement les médecins résidents et internes au sein du CHU de Casablanca est catastrophique à tel point qu’il est quasi impossible de ne pas en être affecté sur le plan psychologique et développer des maladies, parfois irréversibles.», ont-ils protesté. Et de poursuivre «le coup de piston est le seul et unique moyen pour échapper à la règle des injustices et discriminations.», ont-ils ajouté.
A cet égard, le président de l’Association des médecins résidents de Casablanca (ARC), Allaa El Aissaoui, sollicité par « le Matin », vient soutenir leurs allégations .
Il souligne, dans ce sens, que le CHU accueille des patients qui viennent des différentes villes, notamment Settat, El Jadida, Khouribga, Béni Mellal…Chose qui constitue une énorme charge de travail pour les futurs médecins.
“Le médecin résident, ne peut en aucun cas refuser des consultations. Il se trouve ainsi obligé de gérer entre 60 et 70 consultations par jour, sachant que le Centre hospitalier dispose déjà de 2.500 patients hospitalisés auxquels il faudrait assurer les soins nécessaires.”, dénonce-il.
Soulignant, par ailleurs, que ces médecins peuvent assurer des gardes de 24h jusqu’à 48h, ce qui affecte leur rendement et risque de les exposer, en cas de faute, en raison du manque de concentration, à des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’invalidation de leur cursus.
Abus d’autorité, chantage…des blouses blanches exploitées
Outre la surcharge du travail, les médecins internes, ayant passé le concours d’internat, ainsi que les médecins résidents ayant validé les années d’internat, souffrent également de la surexploitation qui se manifeste essentiellement dans l’accomplissement de tâches ne relevant ni de leurs prérogatives ni de leur formation.
Sans parler des pratiques dégradantes de leur dignité. Chantage, harcèlement moral, abus de pouvoir, ne sont que quelques-unes parmi bien d’autres.
En effet, de nombreux médecins dénoncent vivement les différentes formes d’injustice et d’abus que les médecins-chefs de service exercent sur eux.
“Des médecins-chefs abusent de leur pouvoir et n’hésitent pas à faire du chantage en obligeant certains internes ou résidents à travailler beaucoup plus que la normale». ont-ils déploré.
Certains s’efforcent ainsi de supporter « la souffrance et le calvaire », le temps d’obtenir le diplôme de spécialité, tandis que d’autres finissent par tout abandonner.
Notant bien que le salaire touché par ces médecins restent médiocre face au poids du travail et de pression qu’ils supportent chaque jour. Sachant que les médecins internes travaillent durement en contrepartie d’un salaire mensuel de 3.500 DH. Tandis que les médecins résidents reçoivent le salaire d’un médecin public généraliste, actuellement fixé à 8.700.
Une situation qui entrave la réforme du secteur de la santé
Pour échapper à cette situation déplorable, bon nombre de médecins résidents et internes préfèrent quitter le Maroc pour aller poursuivre leurs études ailleurs, voici ce qui explique bel et bien les départs massifs des médecins à l’étranger, donnant ainsi lieu à une pénurie accrue de médecins généralistes et spécialistes dans le secteur public.
Signalant à cet égard que la réforme du secteur de la santé passe d’abord par la mise en place de stratégies effectives susceptibles de combler les failles des années antérieures, notamment celles liées aux ressources humaines. D’ailleurs, comment peut-on construire un système de santé solide qui assure à tous les citoyens un accès équitable aux soins de santé, si on épuise les médecins et on leur fait subir de la torture?
Il convient de rappeler que les actions prises par le gouvernement seraient toujours vaines, tant que ces comportements abusifs persistent.