« Société de la Connaissance : quels défis et quels enjeux ? »

INTERVENTION DE LUC CHATEL, PRÉSIDENT DU GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-MAROC À L’ASSEMBLÉE NATIONALE, AU CDS

Nous nous réjouissons du dénouement heureux de la crise qui a touché nos deux pays et qui nous a meurtri car il y a toujours eu une grande proximité entre les Français et les Marocains . Je me réjouis du rôle joué par les groupes d’amitié France Maroc qui ont rempli leur mission et contribué au rapprochement des deux parties et à l’issue que l’on connait. Le Maroc comme la France ont des échéances politiques importantes et notre groupe d’amitié France Maroc à l’assemblée œuvrera en faveur du rapprochement entre nos deux pays. Mr Benamour qui a posé des questions importantes dans son intervention m’a confié une mission difficile en me proposant de « plancher » sur le thème de « La société de la connaissance : quels défis et quels enjeux ? » Un thème qui est un défi en soi car c’est le challenge du XXI siècle qui mobilise des chercheurs dans le monde entier qui travaillent sur les questions de l’économie. Dans mes propos, je m’efforcerai de partager avec vous un certain nombre de réflexion sur ce qu’est la société de la connaissance et en quoi elle change notre vie quotidienne. Compte tenu de ce monde nouveau, nous réfléchirons sur les réponses et les défis auxquels doivent répondre les Etats, les Entreprises et les Citoyens à travers notamment la question de l’éducation et la préparation de la prochaine génération à ce monde qui nous tend les bras. Il y a quelques années , quand on parlait de la société de la connaissance , on parlait du futur .L’économie de la connaissance, c’était l’Odyssée de l’espace, c’était un monde futur qui allait, un jour, s’ouvrir à nous. Ce monde, c’est aujourd’hui le notre, c’est le monde présent ,celui dans lequel nous vivons. Ce n’est pas de la prospective ou un concept éthéré, c’est l’économie réelle portée par la connaissance ,l’immatériel , l’intangible , l’innovation boostés par les nouvelles technologies qui sont le carburant de l’économie mondiale. La mondialisation, je voudrais le rappeler, ce n’est pas une théorie, un concept économique ou un choix politique comme voudraient nous le faire croire les partisans de la démondialisation. C’est un fait qui s’impose à nous! la mondialisation, c’est la contraction du temps et de l’espace rendue possible grâce aux découvertes et aux inventions technologiques. Nous vivons dans un monde où, aujourd’hui tout est possible. L’investissement annuel mondial dans la recherche a doublé en dix ans .Il atteint actuellement 1300 milliards de dollars par an qui correspond à l’équivalent du PIB de l’Espagne. En moins de 20 ans, le nombre de brevets a été multiplié dans le monde par 2,5. Il y a aujourd’hui 10 millions de brevets en circulation et chaque année , deux millions et demi de brevets sont déposés .Le monde d’aujourd’hui, c’est un monde d’accélération continue, c’est le monde de la découverte, la connaissance , de la recherche, c’est le monde de tous les superlatifs où l’humanité a produit en moins de dix ans, plus de connaissances nouvelles qu’elle ne l’a fait pendant les 7000 premières années de l’époque moderne !

Une nouvelle histoire de l’humanité

Ces bouleversements concernent tous les secteurs. C’est ainsi que chaque année, 16 000 nouvelles espèces sont découvertes par les scientifiques qui s’ajoutent aux 15 millions d’espèces différentes qui existent sur terre et dont seuls 1,8 million sont recensées. L’accélération à l’accès à la connaissance fait que nous découvriront chaque année 16 000 nouvelles espèces. Même chose dans le domaine de l’astronomie, un ami astronome me confiait récemment qu’en 2014 on avait découvert 850 exo planètes qui sont des planètes qui font des rotations autour d’un astre. En 2004, on n’ avait découvert que 50 exo planètes .Cela veut dire que notre capacité de recherche et de découverte a été multipliée par plus de 15 en une décennie ! Cet ami me confiait aussi que d’ici 20 ans on saura s’il y a de la vie dans d’autres planètes, s’il existe une atmosphère comparable à celle de la terre qui permet la vie. C’est le rêve de l’histoire de l’humanité qui est rendu possible aujourd’hui.

Société de la Connaissance : quel impact ?

L’accélération de la recherche donne également des résultats dans le domaine de la génétique : en Avril 2003, le premier séquençage complet du génome avait couté 3 milliards de dollars .Il a duré 13 ans ;aujourd’hui la lecture des 3 milliards de lettres qui constituent l’ADN coute 1000 dollars et s’effectue en deux ou trois jours grâce au séquençage de haut débit ! J’ai été secrétaire d’état au ministère de l’Industrie et les découvertes dans le domaine de la robotisation m’ont toujours intéressé. Les ingénieurs et chercheurs dans le domaine de la robotique nous expliquent que nous avons aujourd’hui la dernière génération de robots qui sont sous dépendance humaine. Cela veut dire que la prochaine génération de robots sera autonome grâce aux découvertes de l’intelligence artificielle .Nous sommes bien dans cet Odyssée de l’espace avec l’économie de la connaissance où tout est rendu possible. Le premier impact , c’est bien sur le dé- luge informationnel . C’est la révolution du Big Data qui percute la science , les entreprises, les citoyens . Je suis élu du département de la Haute Marne qui a vu la naissance de Denis Diderot dont nous avons fêté le tricentenaire l’année dernière . Au 18 siècle, Diderot a mis 24 ans à rédiger sa fameuse encyclopédie qui est un acte fondateur du recensement de ce qu’était la connaissance de la science de l’humanité au XVIIIème siècle. 24 années ont donc été nécessaire à l’époque pour écrire 28 volumes avec 17 discours et 11 planches réalisées par le mathématicien d’Alembert .Imaginons Diderot  aujourd’hui ! Si nous avions décidé en l’an 2000 de numériser, de mettre en mémoire dans une base de données les écrits depuis le début de l’histoire de l’humanité cela aurait occupé 5 milliards de gigabits .Ce volume d’information est aujourd’hui produit dans le monde en à peine 2 jours! Nous produisons en deux jours ce que l’histoire de l’humanité a produit en information comme stockage de données en 7000 ans .La quotité d’informations qui existent sous forme de Data double tous les deux ans avec les conséquences que cela implique sur toutes les activités économiques des entreprises .Un exemple : Wolmarth traite aujourd’hui plus d’un million de transactions de client par heure ! face book traite 50 milliards de photos chaque jour !cela crée des perspectives colossales en matière de création d’activités . La société française Crité a connu une expansion fantastique en se spécialisant sur le profilage et le ciblage marketing publicité des clients grâce à des algorithmes prédictifs extrêmement poussés. On prédit ce que sera l’acte consommateur et on pré- dit également les comportements des citoyens. C’est ainsi que la police allemande a mis au point grâce aux algorithmes pré- dictifs un logiciel qui permet de réduire les cambriolages ! Ce logiciel stocke toutes les données relatives aux cambriolages , étudie les comportements des cambrioleurs qui reproduisent leurs actes. On sait par exemple que le cambrioleur reproduit son acte moins de 48 heures dans un environnement de moins de 800 mètres du fait qu’il a accompli deux jours plus tôt ! La première conséquence c’est donc le déluge de l’information qui permet des dé- couvertes exponentielles qui balaient toutes les frontières traditionnelles du capitalisme et de l’économie que nous avons connu .Le dernier ouvrage de Jeremy Rifkin , penseur de la fin du capitalisme explique comment aujourd’hui la révolution permet de concevoir un produit à coût marginal zéro. Cela veut dire que toutes les théories que nous avons connues qui sont fondées sur la rareté, sur les ressources limitées sont battues en brèche, la connaissance étant illimitée . Dans l’économie de la connaissance, le repère n’est plus uniquement le capital financier ou l’actif corporel .C’est aussi l’actif incorporel, un sujet majeur que le Souverain a évoqué ici au Maroc .La puissance d’un entreprise, d’une société est aujourd’hui autant matériel qu’immatériel. Un exemple? le prix de la marque de la pomme croquée d’Apple est estimé à 147 milliards de dollars ! l’évaluation de la marque Google est estimé à 168 milliards de dollars ! La valorisation des 3 marques Google , Apple Mac Donald est équivalent au PIB d’un pays comme l’Irlande .On comprend pourquoi nous assistons à l’accélération de la course aux dépôts des marques avec, dans le monde, 5 millions de demandes d’enregistrements chaque année. La Troisième conséquence de cette révolution fait que nous vivons l’ère des paradoxes qui renvoie dos à dos le gratuit et le payant , l’individuel et le collectif, le locale et le global. Des innovations qui ont des conséquences majeures sur le fonctionnement quotidien de notre économie et qui peuvent devenir dévastatrices. Des grandes entreprises peuvent disparaitre en quelques mois, tandis que d’autres peuvent émerger aussi rapidement comme UBER, Blablacar. Amazone qui a fait disparaitre des sociétés entières de vente à distance ; Airbnb qui organise de manière industrielle les échanges d’appartements et de maisons et qui devient un concurrent des hôteliers ! C’est ainsi qu’Universalis a disparu face à Wikileaks. L’accès à la connaissance doit il être gratuit ? c’est une question qui taraudent les esprits. Il y a eu récemment un débat aux Etats Unis sur la neutralité du Net qui a conduit les américains à considérer Internet comme un bien public .Nous avons le même débat en France sur les droits d’auteur car nous considérons que la création doit être rémunérée, d’où la mise en place d’un dispositif sur Internet qui permet de rémunérer l’accès à la création .

L’impérieuse nécessité de s’adapter

La mondialisation, l’économie de la connaissance ne sont pas des choix ou des options à prendre ou à ne pas prendre. La question n’est pas de s’opposer , d’entrer en résistance comme le préconisent les partisans de la dé mondialisation. La question est de comment s’adapter avec agilité, d’ouvrir grand les voiles et de se faire porter par ce nouveau monde. Les Etats ou les entreprises qui réussissent sont ceux ou celles qui sont agiles , qui sont capables de s’adapter , qui sont dans une logique schumpétériennes de la destruction créatrice .Du coté des états , l’enjeu est d’activer l’ensemble des leviers qui vont permettre de capter le réservoir de croissance , de susciter chez soi, cette croissance grâce à l’innovation et la recherche. Cela passe par la mise en place de cadre législatif adéquat , par le déploiement de politique en faveur des infrastructures dans la fibre optique pour le très haut débit qui nécessitent des lourds investissements. Seuls 18% des entreprises françaises sont connectées à l’heure actuelle au très haut débit, c’est dire la marge qui existe encore. Cela passe par des choix politiques majeurs d’investissement des collectivités publiques aux cotés des acteurs privés. Cela passe par la mise en place de synergies, d’écosystèmes , de clusters qui doivent attirer de la recherche , de l’innovation, de la création .L’environnement doit être favorable comme il l’est à la Syllicon Valley, à Bangalore ou dans les centres d’innovation en Chine qui sont très performants . Nous avons en France des pôles de compétitivité auxquels j’avais contribué quand j’étais en charge de l’industrie et dont le principe même est de partager dans un esprit collaboratif et de faire travailler ensemble les entreprises des grands groupes industriels, les centres de recherche, les starts up , les laboratoires, les universités. Cela permet de mutualiser les ressources pour aller plus vite dans l’acquisition des connaissances nouvelles. Cela procède de choix politiques majeurs qui doivent être fait par les états à travers notamment la stimulation de la recherche publique, de la RD, à travers la définition d’un cadre juridique précis avec les nouveaux sujets comme la question de la propriété intellectuelle, la protectin des données personnelles pour les citoyens , du juste équilibre entre principe d’innovation et principe de précaution qui s’il n’est pas évalué à sa juste mesure nous fait renoncer à des pans entiers de l’économie , je pense aux OGM, aux gaz de schistes. Il faut faire confiance aux découvertes, à l’innovation pour capter cette économie qui nous tend les bras.

Valoriser le capital immatériel, et saisir ce qui commence

chatel

L’Etat doit aussi intégrer la valorisation de son patrimoine immatériel. En 2001, nous avons voté la loi d’orientation pour la loi de finances qui intégrait l’organisation comptable budgétaire qui tienne compte de ce mouvement. Nous avions décidé que l’Etat devait valoriser son patrimoine immatériel, ses immobilisations incorporels. On va consolider tout ce patrimoine, statistiques, photos, données qui appartiennent à l’Etat. Cela s’est traduit en 2007 par la création d’une agence du patrimoine immatériel de l’Etat qui est chargé de recenser l’ensemble de ces actifs. La prochaine étape serait de créer des outils de statistiques ,de recueillir l’ensemble des Datas de tous les ministères, des agences, des services publics. Ces données ont vocation à entrer dans le domaine public .Les états doivent travailler ensemble sur l’harmonisation de leurs règles en matière international . Là, nous avons des chantiers majeurs devant nous car il est inacceptable que des entreprises comme Google, comme book.com et bien d’autres encore qui captent de la valeur de nos entreprises industrielles soient domiciliées dans des paradis fiscaux et ne payent pas d’impôts .Nous devons collectivement, mondialement réfléchir à la bonne répartition de la valeur et de la fiscalité liée à la création de la richesse. C’est un enjeu majeur pour les Etats mais aussi pour les entreprises qui sont confrontées au quotidien à cette révolution qu’induit la société de la connaissance et qui doivent être capables de s’adapter, de valoriser leurs marques, d’investir dans le marketing donc de collecter les données pour ajuster les pratiques et stratégies .Le Maroc qui a des ressources en matière industrielle mais aussi en R D travaille sur la création de clusters , des start up, des hubs. C’est une bonne chose qui permet comme on le dit à l’Oréal où j’ai travaillé, de « saisir ce qui commence »d’être capable de sentir qu’à un moment donné , une innovation peut s’avérer révolutionnaire .Pour cela il y a des techniques d’essaimage, des prises de participation, de l’amorçage.. le patron de Google organise une fois par mois un comité ouvert à toutes ses employés qui ont une proposition , une idée à condition qu’elle ne soit pas dans le domaine de leur responsabilité. Chacun peut candidater et venir lors de ce tour de table mensuel, présenter au patron de Google, leur innovation qui est évaluée selon trois niveaux. L’idée est soit rejetée, soit, on invite son auteur à l’approfondir, soit on estime l’idée gé- niale et on invite l’employé à créer son entreprise en choisissant chez Google les personnes avec qui travailler . Google prendra alors 51% du capital de la société créée.Voilà l’exemple d’un essaimage intelligent dans l’économie de la connaissance qui a un impact considérable dans l’organisation humaine qui modèle un monde de l’horizontalité, un monde de collaboration, de réseautage sur des projets. un groupe international, grâce à ce réseautage on peut faire travailler dans plusieurs ré- gions du monde, des gens au-delà des structures hiérarchiques sur un projet donné. Grace au collaboratif, on peut apporter des réponses précises aux problèmes. C’est la capacité à stimuler l’ensemble des collaborateurs autour d’un projet d’innovation. Le knowledge management permet de capitaliser sur les savoirs faire, les expertises et tous les grands groupes sont engagés dans ces recherches pour avoir dans le comité board un « geek »un jeune qui est capable de gérer le digital et de nourrir les autres collaborateurs.

L’éducation au cœur de la transformation du monde

C’est ainsi que l’on assiste à l’émergence de nouveaux métiers, en prise directe avec la communauté des clients, des consommateurs, des actionnaires.. le métier de « geek data officer » qui n’existait pas il y a une décennie est devenu courant pour transformer la Big Data en Smart Data. Il s’agit dans ce déluge de l’information de mettre en place des outils qui permettent de chercher l’essentiel pour le transformer en création de valeur et de richesses. Il y a aussi des changements dans notre vie quotidienne. Le consommateur, n’est plus ce consommateur passif .On parle de prosommateur, en d’autres termes, le consommateur devient producteur de musique, d’électricité , de l’information, des objets… Les agents économiques sont entremêlés et les théories d’antan sont mises à mal. Les nouvelles technologies ont bouleversé nos systèmes d’organisation ,multiplié les possibilités d’interagir pour le consommateur qui peut s’organiser pour faire pression sur les entreprises et avoir des produits adaptés à ses besoins. L’économie de la connaissance a permis des démarches participatives, des nouveaux modes de management, du décloisonnement des sciences, des techniques, de arts. Elle a multiplié les capacités de créativité, les offres industrieuses et met en avant tout ceux qui sont capables d’agir et de trouver des innovations. Cette nouvelle dynamique nécessite plus que jamais un capital humain que nous devons former. L’éducation est au cœur de cette économie de la connaissance. Il faut savoir que 60% des métiers qu’occuperont demain les jeunes seront à créer .Comment préparer ces jeunes avec les formations et métiers du passé ? s’il faut travailler sur les fondamentaux, écriture, lecture ,instruction, culture gé- nérale, il faut travailler sur l’ouverture des esprits pour avoir en permanence une vision transversale .nous devons les préparer aux raisonnements de demain , aux capacités à se former dans l’avenir et pour cela jamais il n’a été aussi nécessaire de connaitre les fondamentaux, d’éveiller la curiosité , de donner le gout des sciences, de la culture, de l’ouverture des esprits.. ce sont là de nouveaux défis qui nous attendent et qui ouvrent l’horizon à de nouveaux partenariats. Marcel Proust disait « la véritable découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais consiste à avoir de nouveaux yeux ». Nous devons pour nous préparer à ce monde demain , inventer de nouveaux yeux ! n

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