La Chine et les pays arabes : intérêts réciproques
Dr. Bichara KHADER
Bien que voisins distants, la Chine et les pays arabes ont eu une relation ancienne qui remonte aux premiers siècles de notre ère, bien avant l’apparition de l’Islam. Les lecteurs arabes intéressés par l’histoire de ces relations peuvent lire avec profit les dossiers détaillés consacrés aux relations sino-arabes et publiés par l’excellente revue arabe « Al-Mustaqbal Al-Arabi », en 2017.
La Chine et les pays arabes après 1949
La République populaire de Chine est proclamée en 1949, en pleine guerre froide opposant l’Occident libéral à l’Union soviétique. La Chine n’a pas voulu s’aligner sur l’un ou l’autre camp, préférant s’engager dans le non-alignement prôné à Bandung en 1955 et ensuite, officialisé à Belgrade en 1961. Cela n’empêche pas la Chine de soutenir tous les mouvements de libération nationale en lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Ceci explique le soutien de la Chine à l’Egypte, lors de l’agression tripartite de Suez en 1956, la reconnaissance du Gouvernement provisoire algérien en 1958 et l’appui de la Chine au mouvement national palestinien dont elle a formé de nombreux cadres militaires. De leur côté, les pays arabes ont soutenu l’octroi à la Chine populaire d’un siège permanent au Conseil de sécurité, en 1971 et ont établi des relations diplomatiques avec la Chine, entre 1956 et 1990. Mais entre 1949 et 1978, les relations économiques se réduisaient à une peau de chagrin
Avec Deng Xiao Bing (1978-1992), la Chine s’engage dans une timide réforme économique et une ouverture prudente sur l’économie mondiale..Lentement mais sûrement, la Chine s’engage dans un développement accéléré, devenant l’atelier industriel du monde, réalisant des excédents commerciaux considérables, et engrangeant des fonds souverains, estimés aujourd’hui, à plus de 3.000 milliards de dollars.
C’est précisément au moment où la Chine devient une puissance économique qu’elle redécouvre l’importance du monde arabe pour son économie et pour son rayonnement international.
Les intérêts de la Chine dans le monde arabe
Les intérêts de la Chine dans le monde arabe sont légion : nous en épinglerons les plus importants.
Le 1er intérêt est géopolitique
En tant que puissance commerciale mondiale, la Chine dépend largement du transport maritime qui assure 90 % des exportations chinoises. La sécurité de navigation est dès lors un intérêt primordial. Des quatre principaux détroits – Malacca, Hormuz et Bab el Mandab- et Gibraltar- trois se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Or, on estime que la moitié des importations pétrolières de la Chine et le quart de ses importations gazières transitent par le détroit d’Hormuz sur le Golfe arabo-persique. Bab el Mandab, à l’entrée de la Mer Rouge, est encore plus important puisqu’un cinquième des exportations chinoises vers le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe emprunte le détroit, par lequel transitent également près de 300.000 barils/j en provenance d’Algérie, de Libye et du Soudan.
Le 2e intérêt est énergétique
Selon le journal économique MEES (27 janvier 2017), la Chine importe près de 3.6 millions de b/j du Moyen- Orient soit près de 48 % de ses importations totales de pétrole. La dépendance du gaz arabe et iranien est à peine inférieure (41% du total de ses importations). Or, compte tenu des besoins croissants de la Chine, il est fort probable que la dépendance de la Chine de la région arabe et moyen-orientale devienne plus prononcée, dans les 2 prochaines décennies.
Le 3e intérêt est économique
La pénétration économique chinoise des marchés arabes, au cours des 25 dernières années, a été spectaculaire, faisant passer les exportations chinoises vers les pays arabes de $10 milliards en 1990 à $220 milliards en 2016. C’est une multiplication par 22. Certes, cela ne représente que 5.2 % des exportations chinoises estimées en 2016 à $ 3.96 trillions. Mais le scénario tendanciel semble indiquer que le commerce chinois avec les pays arabes dépassera les $ 300 milliards, bien avant 2025.
Le 4e intérêt est la promotion des investissements
Certes, l’Afrique noire attire, pour le moment, davantage d’investissements que les pays arabes et ceux du Moyen- Orient : $ 252 milliards contre $177 milliards, dont $ 70 milliards dans les pays arabes du Golfe. Mais le rythme de croissance des investissements dans les pays arabes a été, particulièrement, soutenu au cours de la dernière décennie et il le sera davantage au cours des prochaines années, compte tenu des nouvelles initiatives chinoises notamment les nouvelles Routes de la Soie dont il sera question plus loin.
Le 5e intérêt chinois est d’ordre religieux
Cela ne doit guère surprendre, car il est primordial, du point de vue chinois, d’entretenir des relations apaisées avec les pays musulmans. Tout d’abord parce que la Chine a, en son sein, à la frontière avec la Mongolie, une minorité musulmane de 20 à 25 millions -les Ouighours- qui se considèrent marginalisés et stigmatisés. La Chine craint à la fois leurs revendications séparatistes et leur possible radicalisation (certains jeunes ouighours ayant rejoint les rangs de Daech en Irak et en Syrie). En outre, les nouvelles Routes de la soie chinoises traversent ou longent, au Nord comme au Sud, de nombreux pays où 80 % de la population est musulmane.
Et enfin, de plus en plus de musulmans chinois se rendent en pèlerinage à la Mecque, chaque année : ils étaient 20.000 en 2017. Aussi la Chine multiplie- t-elle les initiatives visant à afficher son respect pour l’Islam, comme l’ouverture, en 2016, de « World Muslim City » à Yinchuan.
Les intérêts arabes à promouvoir les relations avec la Chine
Dès l’implosion de l’Union soviétique, les pays arabes n’ont pas tardé à découvrir tout l’intérêt qu’ils ont à nouer des relations de coopération avec la Chine. Les raisons en sont multiples :
– Echapper à l’étreinte trop étouffante des Etats-Unis dont les interventions malencontreuses au Moyen-Orient et l’alignement systématique sur les politiques coloniales d’Israël heurtent les sensibilités des populations arabes et musulmanes ;
– Diversifier leurs marchés d’exportation et attirer des investissements asiatiques ;
– Etablir une coopération partenariale avec un grand pays asiatique qui n’a pas eu de passé colonial dans les pays arabes et dont la relation est plus apaisée qu’avec les pays européens.
Pour les Etats arabes, en effet, la Chine apparaît comme un contre-modèle : sa politique étrangère se fonde sur le respect de la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale, la reconnaissance des régimes en place. Quant à son action diplomatique, elle privilégie le partenariat gagnant-gagnant, le dialogue, la négociation, la non-ingérence, le respect des règles internationales, le refus des sanctions et des conditionnalités, le rejet des punitions collectives, pratiques courantes des chancelleries occidentales. Les dirigeants arabes, qui sont loin d’être des parangons de démocratie, apprécient ce concept de « mondialité harmonieuse » qui se fonde sur le respect des spécificités de tous.
Le Forum de Coopération sino-arabe 2004
Au vu des intérêts croisés, les Chinois lancent, en 2004, un « Forum de coopération sino-arabe ». Les résultats ne se font pas attendre : les échanges économiques entre la Chine et les pays de la Ligue des Etats arabes grimpent de $ 36.7 milliards en 2004 à $ 145.4 en 2010, soit plus d’un quadruplement en 6 ans.
En mars 2012, la Chine et les pays arabes franchissent un pas supplémentaire et lancent « le Conseil supérieur de la coopération sur l’énergie ». En mai 2012, se tient le Ve Forum de coopération sino-arabe à Hammamet, en Tunisie. Lors du VIe Forum, en 2014, sous présidence sino-marocaine, Chinois et Arabes se montrent satisfaits des résultats de la première décennie de coopération (2004-2014) et décident de rehausser leurs échanges pour la décennie 2014-2024, en diversifiant les domaines de coopération, en multipliant les investissements croisés et en encourageant les échanges entre les sociétés civiles.
Pour ce faire, la Chine entend inscrire ses relations avec le monde arabe dans le nouveau projet lancé par le Président chinois, Xi Jinping, en 2013, et appelé « nouvelles routes maritimes et terrestres de la Soie ».
Les nouvelles Routes de la Soie ou «l’Initiative de la Route et de la ceinture», 2013, et les pays arabes
L’IRC (en anglais BRI : Road and Belt initiative) est une initiative lancée, en 2013, par le président chinois Xi-Jinping dans un discours prononcé au Kazakhstan. Elle vise à relier la Chine au reste du monde par un réseau complexe d’autoroutes, de chemins de fer et de routes maritimes, dans le but d’accroître les échanges de la Chine avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique et d’améliorer la connectivité avec ses principaux partenaires. L’initiative est multidimensionnelle : elle comporte plusieurs volets :
– Un volet terrestre (ferroviaire et routier) avec des chemins de fer et des autoroutes reliant la Chine à l’Europe, comportant six corridors reliant la Chine à l’Asie, l’Europe et le Moyen- Orient.
Les nouvelles Routes de la soie chinoises traversent ou longent, au Nord comme au Sud, de nombreux pays où 80 % de la population est musulmane.
– Un volet maritime avec deux voies : celle de l’Arctique au nord et celle du Sud qui relie la Chine au détroit de Malacca, au détroit d’Hormuz et au canal de Suez, débouchant sur le port de Pirée en Grèce, déjà sous contrôle chinois, et peut-être sur Tanger-MED au Maroc (ce n’est pas encore décidé mais c’est dans l’air).
Il s’agit donc d’un chantier d’avenir d’une grande envergure qui relie la Chine à tous les continents et qui nécessite la mobilisation de gros investissements qui pourraient osciller, selon les spécialistes, entre 4.000 à 26.000 milliards de dollars.Pour financer ce gigantesque chantier, la Chine entend mobiliser une multitude d’acteurs à la fois privés et publics, notamment «China Development Bank », le Fonds des Routes de la Soie, la Banque asiatique pour les infrastructures, etc.
Très tôt les pays arabes se sont montré intéressés par l’initiative chinoise et nombreux pays y sont déjà intégrés et certains, comme l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe participent à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Le Maroc souhaite même que les nouvelles Routes de la soie débouchent sur Tanger.
<
p style= »text-align: justify; »>La Chine se montre satisfaite de l’accueil favorable et même enthousiaste, réservé par les pays arabes à son initiative et publie un document officiel, en date de janvier 2016, intitulé « la politique chinoise envers les pays arabes » (China’s Arab Policy Paper) dans lequel la Chine se félicite que le monde arabe soit devenu le premier fournisseur de pétrole et le 7e partenaire commercial de la Chine avec des échanges dépassant les $ 220 milliards. Les chinois disent vouloir porter ces échanges à plus de $ 300 milliards à l’horizon 2024 lors du XXe anniversaire du Forum de Coopération mais il y a fort à parier que ce seuil sera franchi bien avant.