Lèpre, désir, conflits de classe: le cinéma arabe de retour à Cannes en fanfare

Un enfant qui poursuit ses parents en justice pour l’avoir mis au monde: « Capharnaüm », qui a ému aux larmes les festivaliers, n’est qu’un exemple de cette vague de films arabes qui ont attiré le regard cette année à Cannes.

Il faut remonter à 1970 pour avoir deux films arabes en course pour la Palme d’or, comme cette année avec ce « Capharnaüm » de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki et « Yomeddine » de l’Egyptien A.B. Shawky. Si le mouvement #MeToo continue à faire des vagues, poussant plusieurs stars hollywoodiennes à troquer leurs robes légères pour de stricts tailleurs, les réalisateurs arabes ont d’abord abordé les questions d’aliénation sociale.

Et cela leur réussit. « Capharnaüm », sur un enfant en colère contre ses parents pour l’avoir fait naître dans un monde misérable et sans amour, avait déjà engrangé les contrats auprès des distributeurs, avant même sa première ovationnée jeudi à Cannes. Et la performance déchirante du héros, Zain Al Rafeea, un réfugié syrien de 13 ans, en fait un candidat au prix d’interprétation.

La réalisatrice libanaise, qui avait situé son premier film, « Caramel », dans un salon de beauté de Beyrouth, s’est focalisée cette fois sur les enfants à l’abandon, s’attirant les comparaisons avec le « Kid » de Charlie Chaplin. Un film parti d’une scène vécue, explique la réalisatrice: « J’étais (en voiture), arrêtée à un feu rouge, et j’ai vu un enfant, à moitié endormi, dans les bras de sa mère, qui faisait la manche, assis sur le trottoir ».

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En compétition également pour la Palme, une récompense seulement attribuée deux fois à un réalisateur arabe en 70 ans, « Yomeddine » suit la tendre odyssée d’un lépreux et d’un orphelin, en Egypte. Deux rôles également occupés par des amateurs. « Ce que je voulais surtout, c’est mettre la lumière sur les marginaux. Je voulais donner une voix à des gens qui n’ont en général personne pour parler en leur nom », a expliqué A.B. Shawky, le réalisateur austro-égyptien.

Deux premiers films de deux réalisatrices, « Sofia », de la Marocaine Meryem Benm’Barek, et « Mon tissu préféré », de la Syrienne Gaya Jiji, ont également fait impression en traitant des conventions sociales suffocantes au Maroc et en Syrie, dans la section Un certain regard.

« Sofia » se penche sur le cas d’une jeune femme célibataire menacée de prison pour être tombée enceinte. « Je trouvais que la réflexion sur la place des femmes dans le monde arabe était un peu réduite aux questions du patriarcat et du machisme, et ça me semblait très incomplet », a expliqué Meryem Benm’Barek, à l’AFP: « Qu’on soit un homme ou une femme, ce qui détermine si on est victime ou non c’est notre condition sociale ».

Plus aucun sujet n’est tabou: guerre et jihadisme avec le film tunisien « Weldi » (« Mon cher enfant ») de Mohamed Ben Attia, programmé à la Quinzaine des réalisateurs, sur les interrogations d’un père dont le fils est parti faire le jihad en Syrie; guerre et désirs inassouvis, avec « Mon tissu préféré », de Gaya Jiji où l’actrice libanaise Manal Issa est impressionnante dans la peau d’une jeune Syrienne qui rêve d’abandon sexuel et de fuir son pays, alors que le conflit rôde, début 2011.

Manal Issa a également fait parler d’elle hors de l’écran, en brandissant sur le tapis rouge une pancarte « Stop the attack on Gaza », référence au bain de sang de lundi dans lequel près de 60 Palestiniens ont trouvé la mort.

Avec l’Arabie saoudite, venue pour la première fois à Cannes cette année, qui ambitionne de devenir un acteur marquant du cinéma, et les femmes qataries à la manoeuvre derrière l’Institut du cinéma de Doha, louées par la star hollywoodienne Salma Hayek, le cinéma arabe semble entré dans une nouvelle ère.

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