La France fait son Grand débat national
Après plusieurs semaines durant lesquelles les «Gilets jaunes» se sont imposés comme les porte-voix bruyants des catégories sociales les plus vulnérables, la France se trouve, en ce début de semaine, au rendez-vous avec le lancement d’un important processus par lequel les pouvoirs publics recherchent tout autant l’apaisement que la satisfaction, autant que possible, des différentes revendications exprimées.
Ouvert à tous les Français, le Grand débat national, annoncé en décembre dernier par le président Emmanuel Macron, sera en effet inauguré, mardi, dans toutes les régions du pays avec pour objectif déclaré de promouvoir le dialogue et les échanges sur les questions sujettes à contestation en vue de parvenir à des solutions qui puissent contenter les uns et les autres.
Prévu pour durer jusqu’à la mi-mars, ce débat, dont les contours ont été définis dimanche soir par M. Macron dans une lettre adressée aux Français, se déroulera autour de quatre thèmes principaux fixés par le gouvernement, à savoir : la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté et l’organisation de l’Etat et des services publics.
Dans sa lettre, le président Macron a notamment proposé de «bâtir», à travers ce Grand débat, qui ne sera «ni une élection, ni un référendum», un «nouveau contrat pour la Nation».
«Vos propositions permettront donc de bâtir un nouveau contrat pour la Nation, de structurer l’action du Gouvernement et du Parlement, mais aussi les positions de la France au niveau européen et international», a-t-il affirmé. «Je vous en rendrai compte directement dans le mois qui suivra la fin du débat», a-t-il promis à l’adresse des Français en précisant que «tout ou presque sera sur la table».
Le chef de l’Etat français a égrené, dans sa lettre, une trentaine de questions soumises à la concertation sur les quatre thèmes retenus, exhortant les citoyens à participer massivement à ce débat.
Faisant allusion aux manifestations à répétition des «Gilets jaunes» depuis le 17 novembre dernier, le chef de l’Etat français a assuré qu’il entendait «transformer avec vous les colères en solutions».
Outre les thèmes retenus, les Français ont toute latitude d’en proposer d’autres sujets les intéressant.
«Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler, d’échanger, de débattre», a affirmé le président Macron.
«Evidemment, la parole est libre. Ceux qui viendront s’exprimer pourront le faire librement», a souligné pour sa part le premier ministre, Edouard Philippe.
Cependant, le gouvernement a fixé une ligne rouge en écartant certains sujets. «On ne tergiversera pas sur les valeurs. L’IVG, la peine de mort, le mariage pour tous ne seront pas sur la table», a déclaré à ce propos le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.
A l’inverse, le gouvernement accepte d’ouvrir la discussion sur la suppression de la taxe d’habitation pour les 20% des foyers les plus riches, déjà annoncée mais pas encore en vigueur.
Certaines questions, comme le rétablissement de l’Impôt sur la fortune (ISF), semblent avoir été éludées, ce qui suscite la circonspection de participants potentiels soucieux également de voir adopté le principe du référendum d’initiative citoyenne (RIC).
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Sur le plan pratique, le principe de cette consultation sera d’organiser des discussions à l’échelon du quartier, dans les mairies, sur les marchés ou les lieux de travail.
Chaque français peut organiser un débat, en s’aidant d’un kit méthodologique comprenant notamment des cartes et des données, proposé par la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité indépendante qui chapeaute l’organisation de la concertation. Une plateforme en ligne sera également mise en place pour recueillir les contributions des citoyens.
Le premier ministre français a exprimé, à cet égard, la volonté de son gouvernement de répondre aux attentes des Français et de les associer «plus directement» à l’élaboration des politiques publiques du pays.
M. Philippe a souligné, par la même, le rôle important que les Maires, présentés comme pivots locaux de ce débat, seront amenés à jouer pour faciliter les «réunions d’initiative locale».
Il a espéré un débat «foisonnant, qui multiplie les instruments et les occasions pour les Français de s’exprimer», avec des «réunions d’initiatives locales», «des stands mobiles» et une «plateforme numérique».
Le premier ministre a évoqué aussi «des conférences citoyennes régionales» qui «permettront à une centaine de Français tirés au sort dans chaque région, à la fin du processus, de pouvoir donner leur avis sur ce qu’ils ont entendu (…) et de venir ensuite nourrir la réflexion du Parlement, du gouvernement et du président de la République».
«Débattre, c’est débattre avec des règles», a-t-il estimé en citant parmi les premières, «les obligations de transparence et d’impartialité». Pour ce faire, «nous procéderons à la nomination de garants, indépendants, incontestables, qui viendront vérifier que l’ensemble des règles de transparence et d’impartialité sont bien respectées», a promis M. Philippe.
Mais le travail de la CNDP a quelque peu été ralenti par la démission, à la dernière minute, de sa présidente, Chantal Jouanno, qui avait été chargée par le premier ministre de piloter le Grand Débat national, sur fond de polémique sur sa rémunération.
M. Philippe devra donc lui trouver rapidement un remplaçant, ce qui n’est pas chose aisée vu les critères qui doivent présider à son choix, notamment celui de la neutralité.
En gage de bonne foi, le chef du gouvernement français a annoncé le report de la discussion de plusieurs projets de loi, notamment la réforme constitutionnelle, l’organisation territoriale et la loi d’orientation sur les mobilités.
Des doutes s’expriment, malgré tout, quant à la capacité et la volonté du gouvernement de tenir compte des résultats de ce débat. Selon les derniers sondages, une majorité des citoyens restent en effet sceptiques à ce sujet, sachant le ferme attachement du gouvernement à poursuivre la mise en œuvre des réformes, aussi contestées soient-elles, le socle de son programme. Certains évoquent également le sort des propositions qui viendraient à être faites à défaut d’un mécanisme qui les rendrait imposables au gouvernement.
Quoi qu’il en soit, et pour accompagner ce débat unique en son genre, le président Emmanuel Macron devra se rendre, à compter de ce début de semaine, à la rencontre des Maires à travers la France, à commencer par Grand Bourgtheroulde, dans l’Eure (Nord), avant de se déplacer dans le Lot (sud-ouest), le 18 janvier.
L’espoir est ainsi fondé que ce Grand débat national puisse être porteur de perspectives de solutions pérennes à la crise des «Gilets jaunes» qui, en descendant pour le 9ème samedi consécutif dans la rue, se font les défenseurs de revendications sociales qui convergent pratiquement toutes vers l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens. Un objectif qui, selon ce mouvement né sur les réseaux sociaux, suppose des mesures plus audacieuses que celles déjà prises par le gouvernement, notamment l’augmentation du SMIC de 100 euros par mois, le retour des heures supplémentaires défiscalisées et l’annulation de la hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités gagnant moins de 2000 euros par mois…), mesures qui coûtent, malgré tout, plus de 10 milliards d’euros au budget de l’Etat.