Abdelhak Bassou : « Nous avons pour la première fois, vu des populations applaudir les coups d’État »

La politique et les démocraties africaines connaîtront probablement une année 2023 chargée, car nombre de pays, notamment le Nigéria, la Sierra Leone, le Zimbabwe, le Libéria, le Gabon et la République démocratique du Congo (RDC), organiseront des élections à enjeux élevés. Dans ce contexte viendront s’ajouter la pression sociale, les bouleversements et les tensions sont source d’instabilité, notamment au Sahel. Le plus grand défi concerne les États fragiles à la prise du terrorisme et des problèmes climatiques.

Pour analyser la rétrospective 2022 en Afrique, Abdelhak Bassou, Senior Fellow au Policy Center for the New South, spécialiste dans les études en sécurité et en stratégies de défense, revient sur la situation sécuritaire en Afrique polarisée par les milices qui prolifèrent, les conflits inter-ethniques… Dans ce contexte, la position de l’UA sur ces conflits armés et les mécanismes de l’organisation africaine pour la prévention de conflits est analysée par le professeur affilié à la Faculté de gouvernance et des sciences économiques et sociales de l’Université Polytechnique Mohammed VI.

Abdelhak Bassou se penche aussi sur les crises politiques qui ont occasionné la prise de pouvoir des militaires, notamment en Afrique de l’ouest. Non sans oublier la démocratie et le terrorisme qui sont autant de problèmes identifiés dans la zone CEDEAO qui risque un basculement dans une bataille géopolitique que se livrent la Russie et l’Occident.

Maroc diplomatique : En 2022, les crises politiques ont persisté en Afrique, ce qui a occasionné la prise de pouvoir des militaires. Pourquoi les régimes ont toujours du mal a assurer une transition douce et républicaine des pouvoirs ?

Abdelhak Bassou : Les coups d’État militaires ne sont pas nouveaux en Afrique; ce qui nous interpelle, cependant, c’est la résurgence d’un phénomène que l’on croyait révolu avec le nouveau siècle et la chute du mur de Berlin. On croyait que les coups d’État étaient le fruit de la guerre froide et de la conflictualité silencieuse des clans Est et Ouest. Le retour de cette pratique nous incite donc à puiser dans un autre registre pour trouver des causes autres que la guerre froide. Est-ce la nature de l’État, c’est-à-dire l’échec du modèle westphalien importé d’Europe, appliqué à des États dessinés par le colonialisme et qui peinent à se concevoir comme nation ? Est-ce la résurgence de l’esprit guerrier qui veut que le leadership aille au plus valeureux, au plus fort? Une autre explication peut naître de l’observation des derniers putschs, ceux intervenus entre 2020 et 2022. Nous avons, pour la première fois, vu des populations applaudir les coups d’État (même si elles ont par la suite contesté). Est-ce que ce n’est pas  alors un nouveau contrat social établi entre les militaires et les populations au dépens d’une élite politique qui n’a pas su remplir ses obligations envers les peuples ? C’est peut-être la continuation de la protestation sociale par d’autres moyens, pour paraphraser Clausewitz à propos de la guerre.

– L’année 2023 est mal engagée en Afrique de l’Ouest, la démocratie, le terrorisme, la tendance des coups d’État dans la zone CEDEAO sont autant de problèmes qui sont identifiés dans la zone. Ne risque-t-il pas un basculement de la région en plus de la bataille géopolitique que se livrent la Russie et l’Occident ? Jusqu’où peuvent aller les différents problèmes notés dans la région ?

L’évolution des situations, vers le mieux ou vers le pire, est en fonction de deux sortes de facteurs : Les constantes et les variables. Il faudrait donc chercher du côté des combinaisons établies ou à établir entre les latences et les différentes variations de conjonctures qui servent de déclencheurs de situations favorables ou de crise.

Dans le structurel favorable de la CEDEAO figure, en premier lieu, les avancées plus ou moins achevées en matière d’intégration, avec un leadership reconnu, celui du Nigéria. Cependant certaines faiblesses structurelles, telle que la variété, voire la divergence des perceptions autour de plusieurs questions, viennent relativiser ces avantages.

En dépit d’un avantage structurel en termes d’intégration, la CEDEAO ne réussit pas à dépasser les crises conjoncturelles, tels que le terrorisme qui touche une partie des pays de la région sans interpeller les autres pays qui ne sont pas touchés. Dans un autre registre, des événements imprévus ou conjoncturels, tels que les coups d’État, militaires ou institutionnels (il ne faut pas l’oublier), viennent déclencher une déstabilisation de la zone en s’appuyant sur les faiblesses structurelles dont surtout la divergence des intérêts et les visions diverses et opposées sur les menaces.

Coups d’État, terrorisme, interventions Russo-wagnérienne et persistance d’une présence européenne mèneraient sur le sol de la CEDEAO des rivalités qui en feront une arène de règlements de compte entre grands gladiateurs dans des guerres dont la région fera les frais.

– La situation sécuritaire en Afrique est préoccupante, les milices prolifèrent, les conflits inter-ethniques ne cessent de se propager sans compter le nombre de réfugiés qui ne cesse d’augmenter. L’UA doit-elle se réinventer ? Est-ce que les mécanismes de l’organisation africaine pour la prévention de conflits ne sont pas déjà à bout de souffle ?

Les questions de sécurité comptent parmi celles où l’autonomie stratégique joue un rôle important. Or le plus grand problème posé à l’Union Africaine est celui de sa dépendance, surtout en matière de sécurité des puissances étrangères. Le slogan tant chéri par l’UA «Solutions africaines aux problèmes africains», ne trouve pas son chemin à la réalisation à défaut d’autonomie stratégique. C’est normalement et naturellement celui qui finance qui décide et qui dicte ses solutions. Si l’UA doit se réinventer c’est surtout en se donnant les moyens de sa politique. En dehors de cela, les structures et résolutions de cette organisation restent de simples slogans et des théories sans lendemain d’application.

L’Afrique compte une ribambelle de structures bien conçues et de résolutions bien pensées mais qui, pour trouver le chemin d’une opérationnalisation ou d’une mise à l’œuvre, restent dépendantes de la volonté des bailleurs de fonds.

– 2023 est une année électorale à grands enjeux dans plusieurs pays comme la RDC, le Nigéria, le Libéria, le Gabon, le Zimbabwe… Comment voyez-vous cette perspective politique dans ces pays notamment le Nigéria et la RDC ?

– Les moments électoraux restent des périodes à risque en Afrique, même si ces dernières années les conditions de déroulement des scrutins se sont améliorées dans certains pays. Le bon déroulement ou le glissement dans les méandres de la violence dépendent des conditions latentes dans le pays et des conjonctures où se déroulent ces élections. De la combinaison entre les deux, dépend le déroulement et les conséquences d’une opération électorale. Un cocktail entre des rivalités tribales ou religieuses, l’installation d’un climat d’incohésion sociale ou de violence, trouvent en la période des élections un déclencheur de situation de turbulence. Vous avez donc raison de craindre pour la RDC où le climat conflictuel national et régional peut s’exacerber avec les élections et également pour le Nigéria où le terrorisme et les disparités entre Nord et Sud, ainsi que la conflictualité confessionnelle risquent de faire des élections une opération à haut risque.

– Le continent est toujours miné par des conflits inter-États dont celui entre la RDC et le Rwanda, l’Ethiopie et le Soudan, le Maroc et l’Algérie, l’Ethiopie et l’Egypte… Comment voyez-vous la suite de ces conflits ? Quel impact pourraient-ils avoir dans le continent dans un contexte de prolifération du terrorisme et des armes ?

Il s’agit à mon avis pour tous ces pays de conflits enlisés et de basse intensité. Entre tous ces pays se sont plutôt des situations de ni guerre ni paix. Il se profile alors deux hypothèses : la première, celle souhaitée est de voir les pays en question tirer de la guerre Russie/Ukraine la bonne leçon qui nous apprend que l’on sait quand les guerres commencent, mais qu’on ne peut savoir quand elles se terminent. Les guerres aujourd’hui ne se gagnent plus, elles ne font qu’éreinter les belligérants. La deuxième hypothèse est celle de voir ces pays retenir de la guerre précitée que le monde vit le retour de la guerre et que c’est peut-être le moment de régler les comptes avec les antagonistes ; dans ce cas le continent peut s’embraser et la guerre alors ne cessera que faute de combattants, lorsque tous seront restés sur le champ de bataille.

– En décembre 2022, la CEDEO a mis en place une force pour lutter contre les coups d’État. Est-ce que cette mesure est opérante ? Quelles conséquences peut engendrer une telle décision ?

On revient toujours à cette question d’opérationnalisation des structures et d’application des résolutions. Il n’est pas question de créer sur le papier. Il existe déjà le bataillon CEDEAO dans le cadre de la Force africaine en attente de l’Union Africaine. Est-il opérationnel ?

Si oui, pourquoi ne remplit-il pas la mission de lutter contre les coups d’État ?

Sinon, pourquoi créer une force alors que celle existante n’est pas encore opérationnelle ?

Par ailleurs, la CEDEAO a montré un dysfonctionnement observable au sujet des coups d’État en pratiquant la politique de «deux poids deux mesures» en fonction du profil des États.

Politique africaine : la promesse et le péril des élections en 2023

 

Avec le tournant de l’année, les nominations et événements politiques à venir se rapprochent. En Afrique, des élections nationales ou législatives auront lieu, dans 17 pays, en 2023. Ce qui aura un impact sur le continent, indique l’ « Economist Intelligence ». «La période des élections pourrait être très instable en Afrique et il existe un risque élevé de protestations politiques, de manifestations de masse et de grèves dans un certain nombre de pays.»

Les élections générales de février au Nigeria ont suscité beaucoup d’attentes chez les jeunes électeurs qui sont impatients de voir le changement. Le président sortant Muhammadu Buhari, conformément à la constitution, se retire après avoir purgé deux mandats de quatre ans – et cela change le paysage électoral. Ce changement va intervenir au moment où le pays est aux prises avec un ralentissement économique et une insécurité accrue. Les Nigérians espèrent que l’exercice pourra amener des dirigeants avec la vigueur nécessaire pour s’attaquer au déclin de leur pays.

Au Gabon, le président sortant Ali Bongo, normalement radié après avoir subi un accident vasculaire cérébral qui l’a empêché de parler, semble pourtant prêt à être réélu après l’approbation tacite des membres de son parti démocratique gabonais.

Dans cette dynamique électorale, la Sierra Leone tiendra ses élections présidentielles et législatives en juin. Le président Julius Maada Bio devrait briguer un second mandat, dans l’espoir de conserver la majorité pour son parti populaire de la Sierra Leone à l’Assemblée nationale.

Au Zimbabwe, les élections de 2023 (probablement en juillet-août) seront le deuxième scrutin national à avoir lieu après la chute de l’ancien dirigeant du pays, Robert Mugabe.

Les dernières élections du pays, en 2018, ont eu lieu un an après qu’un coup d’État militaire avait mis fin à la direction oppressive de Robert Mugabe pendant 37 ans. Le président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa espère prolonger son règne en surmontant un nouveau défi du chef de l’opposition Nelson Chamisa.

Le Libéria, la plus ancienne république d’Afrique, devrait organiser des élections présidentielles et parlementaires, en octobre, dans ce qui sera une étape importante pour un pays qui se remet encore d’années de guerre civile et d’une épidémie dévastatrice. Le président George Weah a été critiqué pour ne pas avoir réussi à lutter contre la corruption endémique et pour s’être éloigné pour regarder la Coupe du monde au Qatar alors que le pays faisait face à un ralentissement économique.

La RDC organisera des élections générales en décembre pour choisir un nouveau président, une assemblée nationale et un sénat. Au pouvoir depuis 2019, le président Félix Tshisekedi devrait briguer un second mandat. Alors que l’Est du pays est en proie à un conflit, Tshisekedi pourrait avoir du mal à convaincre les Congolais qu’il est le changement qu’ils recherchent.

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