Alliance des civilisations à Fès: Un contre modèle au « choc des civilisations »

Par Taoufiq Boudchiche*

On dénombre, selon le Haut Représentant à l’ONU de « l’Alliance des Civilisations », Andrè Miguel Moratinos, plus de 80 conflits sont en cours dans le monde. Pour la plupart d’entre eux, les solutions de paix seraient retardées par l’absence de dialogue interculturel et interreligieux dans les zones de conflit.

L’initiative dite « Forum pour l’Alliance des Civilisations » engagée par les Nations-Unies a été initiée pour parer justement aux conflits interculturels et interreligieux. Elle est à son neuvième  forum. En l’organisant au Maroc, le Secrétaire Général de l’ONU, présent à Fès, a estimé que ce fut un choix naturel, comme il a salué la décision, qu’elle se tienne dans la capitale spirituelle du Royaume. Selon lui, Fès est un symbole millénaire du dialogue interculturel donnant l’exemple de certains souverains pontifes qui venaient y compléter leur formation à l’université d’Al Karawiyine.

Les différents hauts responsables qui se sont succédé à la tribune, en séance inaugurale,  ont en effet souligné le rôle du Maroc comme un modèle de tolérance, de coexistence pacifique entre les religions et de promotion des valeurs de paix. Il a été rappelé que l’initiative Alliance des civilisations initiée à l’origine par l’Espagne et la Turquie, se présente comme l’une des réponses de la communauté internationale aux promoteurs de la « peur de l’autre ». Une peur quasi-conceptualisée géopolitiquement après la parution en 1996 de l’ouvrage intitulé le « choc des civilisations »  de l’auteur américain Samuel Huntington. Malgré que cette thèse fût déjà à son époque amplement critiquée pour avoir fait de la religion, en particulier musulmane, la seule source des conflits, elle remonte néanmoins en surface médiatiquement dés qu’il y a par exemple, un attentat terroriste. Surtout, s’il est attribué aux ténébreuses organisations clandestines se réclamant faussement de l’islam.

Mais s’il fallait retenir quelques points cardinaux de cette journée, trois en sont ressortis en particulier. Le premier est de rendre justice à l’Afrique. Par exemple, en tenant ce forum au Maroc, le premier en terre africaine, un focus est mis sur le continent. L’Afrique, a t-il été souligné dans le message royal, lu par le Conseiller André Azoulay, est ce berceau de l’humanité,  ce poumon démographique de l’humanité, un réservoir de jeunesse et une promesse d’avenir.

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Sur le volet africain, Madame Aminata Touré, ancienne Première Ministre du Sénégal, a précisé, à son tour, saisir l’occasion de ce forum pour exhorter les pays du Nord à régler les contentieux du passé peu glorieux de la colonisation et de l’esclavage. Pour elle, cet exercice est indispensable  pour apaiser les mémoires et atténuer auprès des jeunes générations les griefs historiques accumulés. Elle a souligné en effet combien l’histoire coloniale et l’esclavage ont meurtri l’Afrique. Mais, les peuples africains, a-t-elle souligné,  forts de leurs traditions, de leurs civilisations millénaires et de leurs valeurs humanistes, ont pu survivre, faisant preuve de résilience jusqu’à nos jours. Car l’Afrique, selon elle,  continue de subir les injustices (crises économiques, financières, alimentaires, conflits meurtriers liés à la rivalité des puissances, crises climatiques,…).  L’épisode récent de la difficulté à obtenir des pays riches d’augmenter les droits de tirage spéciaux en faveur des pays africains en est une preuve de plus.

Monsieur Zapatero, ancien chef du gouvernement espagnol,  co-fondateur de l’initiative alliance des civilisations, est allé dans le même sens. Il a  indiqué l’importance de rétablir les droits des peuples opprimés pour la paix dans le monde.  Pour cela la résolution pacifique du conflit israélo palestinien, l’un des plus anciens conflits contemporains, est une urgence et une nécessité car il est la  cause principale d’autres causes de conflits (causas de causas). Monsieur Amr Moussa, ancien secrétaire Général de la ligue arabe, également présent, a abondé dans son sens en invitant à appuyer les forces de paix à l’intérieur de la société israélienne. Selon l’ancien dirigeant de la Ligue arabe, une telle approche est une vraie clé de solution pour parvenir à la paix entre palestiniens et juifs.

Le second point cardinal relevé est lié à la valorisation du rôle des femmes comme vecteur de paix. Des tables rondes ont été prévues qui ont permis à des femmes ambassadeurs, des dirigeantes d’associations, des responsables politiques de réaffirmer le rôle précieux des femmes en matière de régulation sociale et culturelle en période de conflits. Certaines ont souligné leur expérience en médiation et prévention des conflits qu’elles ont pratiquée dans les zones en guerre. Un rôle fondamental, selon elles,  en faveur de la protection des jeunes et des enfants. En témoins de guerres dans les zones de conflit,  leur rôle éducatif et de transmission des valeurs culturelles est essentiel pour asseoir les conditions de la paix en période de conflit et post-conflit. Pour le Maroc, l’Ambassadeur Farida Jaïdi a exposé l’expérience du réseau méditerranéen des femmes « médiateurs » dans l’atténuation des conflits.

Le troisième point  a trait à la jeunesse. Des sessions d’échange et de formation au dialogue interculturel et interreligieux ont été organisées en parallèle pour la jeunesse au sein de l’université Euromed de Fès pour les former  au dialogue interculturel et interreligieux. Il y a eu unanimité sur le diagnostic.  Le racisme, le populisme,  l’extrémisme, la xénophobie menacent partout dans le monde. En réponse, la Déclaration de Fès discutée lors du Forum dans sa version initiale,  a appelé à développer des plans d’action dans tous les pays visant à contrer les discours de haine et les idéologies extrémistes, notamment, dans les médias et les réseaux sociaux.  La promotion de la culture et de l’éducation pour la jeunesse a été mise en exergue à l’unanimité comme le meilleur rempart contre l’extrémisme. Mais le financement de l’accès à l’éducation et à la culture devient une barrière très forte. Aussi, les participants ont-ils recommandé de renforcer le financement au secteur de l’éducation et de la culture afin d’y améliorer l’accessibilité qui devient une vraie problématique.

Plusieurs représentants religieux des trois religions monothéistes étaient présents lors des interventions et des débats. Ils ont plaidé contre l’instrumentalisation religieuse, abondant dans le sens du message royal  indiquant dés le début du Forum que la religion doit être en première ligne dans la lutte contre l’extrémisme. Il a été noté également une forte représentation des pays arabes du Golfe et des organisations représentatives islamiques, à l’instar de la Ligue Islamique Mondiale, dirigée par le Saoudien Cheikh Mohammed Bin Abdul Karim Issa ou celle de l’ISESCO. Leurs représentants présents ont exprimé avec force de clarté leur rejet de l’extrémisme et leur engagement pour la paix et le dialogue des cultures et des civilisations. Pour les participants présents, cette rencontre onusienne est une heureuse initiative de symbiose dans un monde agité et  troublé par les conflits multiformes,  les populismes, le racisme et la xénophobie ambiants. L’histoire millénaire de Fès se sera enrichie en outre d’un moment historique en abritant cette belle rencontre humaniste et civilisationnelle. Chapeau bas aux équipes du MAECI pour la brillante réussite de cet évènement d’envergure internationale.

*Taoufiq Boudchiche, économiste et essayiste

Vice Président de l’association Diplomatie Sud-Nord

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