Approvisionnement en céréales : 2024, une année difficile en perspective

Dans une interview accordée à Maroc diplomatique, le Dr Abdellah Aboudrare, ingénieur agronome, chercheur et enseignant à l’Ecole nationale d’agriculture de Meknès, expert en agriculture de conservation et en mécanisation agricole, a livré son analyse sur la situation de la production céréalière au Maroc, confrontée aux défis de la sécheresse, du changement climatique et de la sécurité alimentaire.

 

Maroc Diplomatique: Quel bilan faites-vous du secteur céréalier marocain pour l’année 2023?

Abdellah Aboudrare: La campagne agricole 2022-2023 s’inscrit dans une séquence climatique de cinq années successives de sécheresse. Elle était caractérisée par plusieurs événements extrêmes survenus tout au long du cycle des cultures d’automne. Elle a, en effet, connu une sécheresse au début et à la fin du cycle, des températures exceptionnellement élevées (40 degrés dans certaines régions) et un vent chaud (chergui) au mois d’avril et des averses orageuses au mois de mai ayant affecté la qualité des récoltes déjà faibles. Ces conditions climatiques difficiles ont eu un effet négatif sur le bon déroulement de la croissance et le développement des céréales, et par conséquent la baisse des rendements dans les zones favorables de Chaouia, Zaer, Sais, Gharb et Loukkos, voire la perte quasi-totale des cultures dans les zones arides défavorables du sud et oriental. La production céréalière issue de ces conditions difficiles a été de près de 55,1 millions de quintaux selon le Ministère de tutelle, soit une baisse d’environ 27 % par rapport aux prévisions d’une année normale (75 millions de quintaux). Cette production a été concentrée dans les zones Bour favorable et intermédiaire à hauteur de 82,9 %, dont 27 % dans la Région de Fès-Meknès (Sais, Taounate et Taza), 26,5% dans la Région de Rabat-Salé-Kénitra (Gharb et Zaer), 16,9 % dans le Grand Casablanca-Settat (Chaouia) et 12,4 % dans la Région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (Loukkos et zones du nord).

 Quel est l’impact des mesures prises jusqu’à maintenant en appui à ce secteur pour lutter contre le déficit céréalier ? Quelles pourraient être les conséquences de ce secteur ?

La campagne 2023-2024 s’ajoute aux cinq dernières années et s’inscrit elle-même dans la série de six années successives se sécheresse confirmant ainsi que le caractère structurel de la sécheresse pour notre pays. Selon les dernières statistiques officielles communiquées par le Ministre de l’Agriculture à la Chambre des Représentants, la moyenne pluviométrique pour cette campagne au 16 janvier 2024 s’élève à 77 mm, ce qui représente une baisse d’environ 54 % par rapport à la moyenne des 40 dernières années, et de 44 % par rapport à la campagne précédente, qui était déjà sèche. Cette pluviométrie, en plus de sa faiblesse, était mal répartie et est parvenue en trois épisodes : fin octobre, début décembre et début janvier. Ce qui a engendré deux périodes de sécheresse de presque un moins en novembre et décembre qui correspondent aux mois de semis des céréales. La situation est aggravée par un état d’humidité du sol très sec sachant que les quantités de pluie parvenues n’étaient pas suffisantes pour remplir la réserve en eau du sol. Toutes ces conditions ont impacté négativement l’implantation des céréales lors de cette campagne. En effet, les conditions hydriques du sol n’étaient pas favorables pour la germination et la levée des céréales et par conséquent, un grand nombre d’agriculteurs n’avaient pas osé à semer leurs cultures cette année malgré les mesures prises par le Ministère d’agriculture en matière d’appui à l’acquisition des intrants principaux à savoir les semences et les engrais. C’est pour cette raison que les superficies de céréales semées cette année ont été seulement de 2,3 Millions d’hectares selon le Ministre de l’Agriculture contre plus de 4 Millions d’hectares en année normale.  Le problème c’est qu’une grande partie des céréales semées cette année n’a pas germé ou levé en raison des sécheresses des mois de novembre et décembre, et ce principalement dans les zones bour défavorables du sud et l’oriental. Ce phénomène a été observé même dans certaines zones bour favorables et intermédiaire. Cette situation impliquerait une diminution des superficies de céréales réellement productives qui se concentrent essentiellement dans le Sais, une partie du Gharb et le Loukkos et les zones du nord. En conséquence, et malgré toutes les mesures prises par le gouvernement pour appuyer la production des céréales, les conditions climatiques difficiles qui ont marqué le début de cette campagne agricole ont malheureusement entravé l’implantation des céréales d’hiver et ont engendré en conséquence une baisse importante des superficies emblavées en céréales, ce qui aura un impact négatif sur la production céréalière de cette année qui serait certainement inférieure à celle de l’année précédente, déjà faible.

Comment prévoyez-vous l’année 2024, compte tenu de plusieurs facteurs ?

Compte tenu des facteurs précédemment évoqués, à savoir notamment la sécheresse survenue au début de la campagne agricole (novembre et décembre) qui a engendré une réduction importante des superficies emblavées en céréales et impacté négativement les céréales installées à cause des pertes à la germination et à la levée, la production céréalière de la campagne 2023-2024 serait très faible et inférieure à celle de la campagne précédente. Elle serait concentrée principalement dans les zones bour favorables du Saïs, Gharb, Loukkos et zones du nord. Pour les zones bour défavorables du sud et oriental et même pour une partie des zones bour intermédiaire, très affectées par la sécheresse, on assisterait à une perte quasi-totale des cultures et par conséquent une production nulle. En conséquence, l’année 2024 serait une année difficile pour le Maroc en matière d’approvisionnement en céréales et la facture des importations serait très élevée.

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