Ces scandales qui nous font vivre …
Si il y a quelques temps encore, la presse à scandale était du ressort de certains supports bien connus et bien spécifiques, aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de faire une plongée dans cette presse jaune puisque, tout uniment, les médias, à quelques exceptions près, s’arrachent le vedettariat en matière de buzz, de scandales ou d’informations balancées qui sont fausses et assez vite démenties.
A l’ère de l’industrie du divertissement qui vaut des milliards, les sites et les chaînes YouTube s’arrachent les contenus dont le critère est plus la rapidité dans la publication et non la qualité. En effet, c’est devenu le nerf de la guerre. Il ne faut jamais être à court de contenu quel qu’il soit et qu’on avale tout rond. De fait, l’information abonde sans qu’elle ne soit crédible ni vérifiée. Youtube prospère du nombre de vues et les sites, celui des clics. Peu importe qu’on exploite la misère des gens ou qu’on fasse ou défasse les carrières, les réputations ou les liens. Pour vendre, tous les moyens sont bons, à commencer par des titres provocateurs, choquants qui ne sont utilisés que pour duper et appâter le lecteur ou le spectateur avide de scandales. Cliquons pour voir ce que dévoilent ces termes phares : Urgent ! Scandale ! Et jouons le jeu. Combien de fois, le contenu n’a rien à voir avec le titre ; ou nous sommes directement redirigés vers un autre lien qui profite de notre clic niais, regretté à la minute d’après, pour s’être rendu compte qu’on s’est fait avoir tout bonnement.
En tout état de cause, nous sommes à l’heure d’un nouveau format de journalisme charognard, viral et cupide, marqué par une forte concurrence et tout ce qui s’ensuit.
Des millions de « lecteurs » par jour mais à quel prix ?
Ce qui est malheureux au fait, c’est que même les sites sérieux tombent, sans le vouloir, dans le terrain glissant du buzz des dizaines de sites d’info-divertissement qui émergent, chaque semaine. S’ils ne résistent pas, même ces sites connus par leur crédibilité finissent par faire comme tout le monde.
Quand bien même les articles qu’on publierait seraient intéressants et consistants, nous allons rendre compte que cela n’intéresse qu’une poignée de lecteurs. Mettez en ligne un article ou une vidéo qui traite d’un scandale ou d’un fait divers et cela fait la différence : le nombre de vues déplafonne. Tout bon ! D’où certaines rédactions n’hésitent pas à tordre la vérité allant loin jusqu’à monter de toutes pièces des histoires racoleuses. Et aujourd’hui que le scandale est partout sur Internet, allant d’un viol jusqu’à une scène choquante de décapitation, cela offre une image désolante de notre société du tout public et de l’abominable vénalité de la presse marocaine, du moins les sites qui en font leur fonds de marketing. Les chemins donc par lesquels l’argent pollue ce métier laissent entrevoir les enjeux sociaux et financiers qui voient en la vérification de l’information un frein pour le bon positionnement en matière de clic.
Quand on voit le Maroc qui mise et ouvre ses portes aux grandes écoles françaises pour former ses élites, ce Maroc qui construit de magnifiques cliniques suréquipées, ce Maroc qui met en place des réseaux d’infrastructures ferroviaires de grande envergure, LGV et tramway dans les métropoles, ce Maroc qui bâtit des projets pharaoniques de marinas, corniches, complexes hôteliers et résidences grand luxe dans ses grandes villes et dans ses stations balnéaires, ce Maroc qui est précurseur dans sa vision, à long terme, sur les énergies renouvelables, ce Maroc même qui fait de certains effets comme Sina, Ikchwane, et tout le bataclan des « phénomènes qui pullulent sur la toile », des « stars » dont les vidéos font des millions de vues alors que les intellectuels sont mis au ban, on comprend bien notre bipolarité et on en reste tout bêtes. À l’évidence, il y a problème quelque part, quand les sites d’information assurent la couverture médiatique d’événements ou de mariage d’untel dont on fait un fait inédit pour peu qu’il ramène les clics. Et au lieu qu’on se tire, les uns les autres, vers le haut, on se devance dans notre course vers le fond du chaos.
Rigueur où es-tu ?
Certes, nous vivons ou plutôt survivons grâce à la publicité et il faut rendre grâce au ciel à défaut de rendre les gants. Mais continuer s’avère un combat de tous les jours et une épreuve qui relève d’un choix cornélien et d’un exploit sur le champ d’honneur. Noblesse oblige si on ne rend pas son tablier! Or aujourd’hui c’est l’algorithme de référencement qui décide à la place de l’annonceur qui ne cherche, lui, qu’une meilleure visibilité. Rares sont ceux qui continuent à sélectionner les supports pour leurs produits quand bien même ils seraient de qualité. Du coup, la course au clic oriente et impose le choix des sujets et le champ numérique est inondé d’articles calibrés pour optimiser le référencement sur Google. Aussi la fascination pour le nombre de clics et de visites que le contenu génère fait-il prospérer un journalisme bâclé. D’autant plus que le travail s’apparente plus au divertissement dans ces rédactions qui se sont spécialisées dans la production industrielle et où tout est à loisir, au moment où des professionnels engagés et attachés à l’éthique qu’impose le métier, se rongent les méninges pour produire un article qui n’intéresse qu’un lectorat restreint.
Pour l’heure, le succès et la quantité priment sur la qualité ou la morale qui a cédé face aux assauts de l’argent et de la publicité. Pour cela on répond amen à tout, il suffit juste d’analyser les habitudes des lecteurs, de détecter les tendances ou de les imposer carrément et de voir à quel hameçon ils vont mordre, de bien composer les ingrédients et de les assaisonner par des vidéos amusantes voire choquantes, qui feront le tour de la toile pour que l’audience porte des sites, dont on ne discerne plus la ligne éditoriale, à des sommets inimaginables.
Faut-il souligner qu’entre ces sites aux audiences stellaires et les agences de communication les liens se tissent aisément puisque chacun y trouve son compte et on fait argent de tout? Honni soit qui mal y pense.
En somme, par les temps qui courent, le lecteur, qui n’est plus qu’une cible marketing plutôt qu’une personne à informer, a intérêt à être tout oreilles et à rester éveillé et vigilant, en parcourant les sites d’information qui ne sont plus, malheureusement, une référence en matière de vérité ou de crédibilité. Cela lui permettra, d’ailleurs, d’entretenir son esprit d’analyse et de critique à une époque où les journalistes n’ont plus le temps de recouper l’information et de la vérifier. Tout bien considéré, le clic n’attend pas. Et il faut qu’ils soient productifs de contenu, encore du contenu, rien que du contenu, du buzz, des scandales …
Pour solde de tout compte, c’est à qui mieux mieux et c’est au premier qui publie.