Cliniques et chèques de garantie : L’occasion fait-elle le larron ?
Une pratique illégale et pourtant courante que plusieurs cliniques privées se permettent de demander pour ouvrir leurs portes aux patients, alors qu’on est en pleine pandémie. Selon le ministre de la Santé, « il s’agit d’une lacune que l’on exploite ».
Face à la saturation des hôpitaux publics, notamment dans la région du grand Casablanca, le passage par le privé est devenu désormais le seul choix des patients covid, surtout ceux qui développent des formes graves et qui nécessitent une prise en charge hospitalière urgente en réanimation. Toutefois, pour avoir accès à un lit de réanimation, certaines cliniques réclament des chèques de garantie, de l’ordre de 60.000 dirhams, voire 90.000 dirhams, de l’aveu de nombreux témoignages sur la toile. Par conséquent, les familles se retrouvent obligées de s’endetter et de vendre leurs biens, pourvu que la vie de leurs proches soit sauvée.
Les chèques de garantie, cette pratique tout à fait illégale et qui existe dans plusieurs domaines, refait débat à nouveau, encore plus dans le contexte actuel, où la pandémie emporte des dizaines de personnes chaque jour depuis quelques semaines. Toutefois, certaines cliniques, elles, continuent de demander ces chèques, comme seul moyen permettant d’admettre les patients dans leurs établissements sanitaires. Le Président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP), Professeur Redouane Semlali, ne le nie pas d’ailleurs. La question lui a été posée cette semaine, lors de ses nombreuses sorties médiatiques ces derniers jours et il a clairement confirmé ce fait, sans pour autant le cautionner, en disant : « je serai en train de mentir si je dis que ce n’est pas pratiqué ». Il a toutefois rappelé que le paiement en espèce est tout de même légal, mais reste à savoir si le citoyen marocain pourrait se permettre de payer les 60.000 dirhams cash pour avoir accès aux soins en l’absence d’autres solutions alternatives ! Pour le professeur Semlali, « certes, c’est un acte interdit par la loi, mais qui fluidifie beaucoup l’admission des malades dans des situations gravissimes », en rajoutant : « une chose est sure, les directeurs des cliniques essaient toujours de trouver une solution avec le patient ou sa famille pour liquider le dossier ». Selon la même source : « aucun malade n’a été refusé par les cliniques. On est entré dans cette lutte anti-covid avec plaisir et citoyenneté. Nous sommes prêts à nous battre pour aider les citoyens à s’en sortir, car aujourd’hui un porteur sur deux du virus dans un état grave est pris en charge par les cliniques ».
Sachant que, sur le plan juridique, la loi sanctionne sévèrement celui qui émet ou celui qui accepte un chèque de garantie. L’article 316 du code de commerce est très clair : “Est punie d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams, sans que cette amende puisse être inférieure à 25% du montant du chèque, toute personne qui, en connaissance de cause, accepte de recevoir ou d’endosser un chèque à la condition qu’il ne soit pas encaissé immédiatement et qu’il soit conservé à titre de garantie“. Ici, la sanction cible uniquement le bénéficiaire. D’ailleurs, le ministre de la Santé, lui-même en avait parlé hier, en réponse à une question orale à ce sujet, présentée par le groupe de l’UMT à la Chambre des conseillers, en rappelant qu’« il est interdit pour la clinique, en cas de tiers payant, de demander aux personnes assurées ou à leurs ayants droit une garantie en espèces, par chèque ou tout autre moyen de paiement en dehors de la part restant à leur charge, en vertu de l’article 75 de la loi 131.13 relative à l’exercice de la médecine ».
Et pourtant, cette pratique continue de faire ravage. Selon le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, c’est une lacune que les cliniques exploitent. Elle résulte de« l’absence d’un système électronique permettant d’avoir accès aux données dont disposent les compagnies d’assurance pour connaître si le patient est souscrit à une société ou non », affirme-t-il, en insistant sur l’importance de parvenir à des solutions efficaces à même de préserver les intérêts des deux parties, précisant que le ministère est contre “tout dépassement préjudiciable aux citoyens”.
Pour signaler ce genre de dysfonctionnements, le ministère met à la disposition des citoyens un portail de réclamations “Allo Chikayati”, pour que les contrevenants puissent être sanctionnés via l’Ordre des médecins en cas d’infraction. Pour sa part, Ait Taleb a assuré que les services de son département n’ont pas reçu jusqu’à présent des plaintes liées à la demande de chèques de garantie par les cliniques privées.