Compétences marocaines du Monde : une nouvelle donne ?

Par Farida Moha

Présidées par Abdellatif Miraoui, ministre de l’Enseignement supérieur, les « Assisses nationales » consacrées aux Compétences marocaines du monde ont connu une forte participation nationale et internationale. Elles ont été marquées surtout par un débat croisé et un échange d’expériences intense sur une feuille de route destinée à attirer la communauté des compétences marocaines de l’extérieur et à renforcer leur attractivité.

Dans le sillage du discours royal du 22 août dernier appelant à l’accompagnement et à l’appui des projets des compétences et talents des Marocains du Monde, (MDM), la tenue  des Assises de la 13eme Région organisée par le Ministère de l’Enseignement supérieur en partenariat avec le CNRST, le CCM et la CGEM avait pour objectif comme le rappelle Abdellatif Miraoui , « d’associer  les compétences marocaines du monde (CMN) à la co-construction du Plan national d’accélération de la transformation de l’écosystème de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation, Pacte ESRI 2030, au développement et rayonnement du Maroc. Une transformation qui passe par l’adaptation de l’Université aux changements, par une prise en compte des besoins des générations X ,Y ou Alpha et par la nécessité d’apprendre et de se former tout au long de la vie »,  conclura-t-il en rappelant les recommandations du nouveau modèle de développement. Reste la question nodale « Comment et avec quels dispositifs intégrer les compétences marocaines du Monde (CMM) dans la stratégie de développement du Maroc ? Cette rencontre, rappelons-le  a été précédée par des consultations, des auditions et tout un travail de fond illustré par l’organisation des 3 Webinaires régionaux, Europe-Amérique, Asie et Océanie, Afrique et Moyen Orient. Un travail d’écoute active, de réflexion et de partage pour l’élaboration d’une feuille de route d’attractivité des compétences sur le  long terme avec des  repères, des points d’appui et de vigilance, un programme de travail porté par les nouvelles technologies et par des partenariats d’excellence .

Compétences marocaines du Monde : une nouvelle donne ?

Dans l’immense amphithéâtre de l’Ecole Mohammedia des Ingénieurs, l’heure est à la joie des retrouvailles avec le pays d’origine. Une émotion qui témoigne du lien particulier et très fort des membres de la diaspora pour le Maroc des experts venus des cinq continents pour participer aux assisses de la 13 région dédiée aux compétences marocaines du Monde. Mais au-delà de la floraison des discours, des  propositions, des plaidoyers, des argumentaires de cette journée très dense,sans doute faudra-t -il procéder à un décryptage et à une analyse de contenu plus approfondis pour rechercher les indicateurs et modalisateurs qui témoigneraient d’une évolution dans le dossier de la gestion des compétences de la diaspora. Une gestion qui perdure depuis près de trois décennies sans réel résultat quand on compare les dynamiques à l’œuvre dans différents pays comme l’Inde ou la Chine plusieurs fois citées à bon escient en exemple. Grace au « Programme des mille talents », au« Programme des mille experts », les compétences chinoises de retour au pays ont en effet joué un rôle crucial dans le développement du pays,aujourd’hui deuxième économie mondiale, notamment dans les domaines de l’éducation de la science et de la haute technologie, de la santé, dans l’ouverture de l’économie chinoise et sa mondialisation notamment par le biais de l’intégration des experts revenus au pays dans  grandes multinationales présentes en Chine. Cette prise de conscience de l’importance des compétences et de la migration en général en lien avec le développement est de plus en plus présente et à différents niveaux. Partout dans le monde, le potentiel représenté par les diasporas pour le développement est pris en compte au point où l’on évoque « la nouvelle donne de la migration qui possède des ressources importantes en termes de capital financier, capital humain et capital social »  .

Après des années d’impasse et à l’écoute des discours d’ouverture des ministres et présidents d’institutions et d’académies, on pourrait se demander si enfin l’on ne commence à assister à une stratégie dans la gestion des compétences de la diaspora. Le contexte international et national s’y prête avec en vue une bataille sans merci pour la captation des talents  et des experts. La mondialisation des économies a redessiné la carte des flux migratoires internationaux et des profils des migrants. Des profils qui au Maroc comme l’expliquera Driss Yazami ont changé avec une mutation des communautés portée par une plus grande féminisation, une plus grande diversification des destinations ,une élévation du niveau d’éducation, qui rappelle que 20% ont un bac +6 dans le monde, une pluralité d’identités et une plus grande mobilité. Comment s’adapter dès lors à ces mutations et comment renforcer la contribution de ces compétences aux chantiers de réforme et au développement du Royaume sans laisser au bord de la route les groupes de migrants les plus vulnérables comme les mineurs ou les Chibanis?

L’apport des compétences riches par leur niveau d’éducation, par leur savoir-faire techniques et entrepreneurials, organisationnels, par leur maitrise des sciences et nouvelles technologies peut être déterminant. C’est l’idée développée par Omar El Fassi, Secrétaire perpétuel de l’Académie Hassan II des Sciences et techniques qui déclame avec force une véritable ode à la science qui doit être l’affaire de tous, car toutes les activités humaines  sont liées au développement de la science. En rappelant le travail du CESE  sur les besoins en matière de médecine, de recherche et d’innovation dans ce domaine, Omar El Fassi souligne « l’apport de la recherche et l’innovation comme levier dans ce grand chantier des industries made in Marocco ». L’usine de production des vaccins à Benslimane constitue un premier exemple de recherche de souveraineté et d’autonomie dans un secteur vital, celui de la santé.

Une idée clef reprise par Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du commerce qui rappelle que « le Maroc suit son chemin garce à la vision et aux stratégies du Souverain, à la feuille de route tracée par le nouveau modèle de développement et au programme gouvernemental ». Le Maroc, dit il, est une vieille nation  qui se développe à une vitesse rapide. Nous avons la possibilité de transformer la structure sociale et économique et passer grâce aux compétences du pays à un niveau supérieur. Il ne faut pas  rater ce rendez-vous qu’il faut réussir ensemble en intelligence collective, ajoute-t-il en rendant hommage à tous ces talents qui ont fait leur place dans les pays d’accueil . Pour ce faire, il faut réduire le décalage qui existe entre les attentes de part et d’autre, par méconnaissance ou par évaluation insuffisantes des projets.

Réduire ce décalage des attentes est précisément le chantier auquel s’est attelé la task force mise en place à la CGEM,  pilotée par Karim Amor qui appelle, quant à lui,  les MDM a venir contribuer et à prendre leur part dans ce Maroc qui se déploie. Karim Amor décline alors la stratégie pour fédérer et créer une force commune   des différents acteurs et pour faire converger les politiques publiques vers une nouvelle architecture. Une convergence qui passe par une mise en commun des informations sur les MDM, une agrégation de la DATA, département ministériels, banques, corps intermédiaires et une nouvelle matrice reposant sur  différents piliers  de mise en relation, de mentorat,  d’investissement , des budgets disponibles .

« Tous ces chantiers d’attractivité, d’accompagnement des compétences nécessitent un travail profond d’écoute et de concertation comme aussi d’ingéniosité et de synergie » plaide pour sa part Jamal Belahrach, président de la Maison de la Diaspora. Recréer et renforcer les liens de confiance, capitaliser sur les acquis en tenant compte des changements intergénérationnels, en procédant à une meilleure prise en compte de la mobilité et du statut transversal des MDM …Des MDM qui constituent un véritable potentiel qu’il faut accompagner en encourageant les compétences et en renforçant les flux entre pays d’origine et pays d’accueil, conclura Mme Jamila Alami, directrice  du Centre National pour la recherche scientifique et technique qui a multiplié les accords de partenariats et de coopération .

Toutes les interventions introductives ont mis l’accent sur le rapport entre les compétences marocaines du monde et le développement du pays. Une bonne inclusion des deux éléments nécessite une réelle concertation pour inverser l’écosystème et optimiser la relation. Les tables rondes des  Assises consacrées à l’Enseignement supérieur, à la recherche scientifique, à l’innovation et aux dispositions et modalités de mobilité ont permis aux différents intervenants de mettre l’accent sur une combinaison d’actions et d’interactions  des politiques, la mise en place d’un système global de gouvernance pour tirer des compétences le meilleur. Cela passe par une réelle volonté d’intégrer ces compétences à la politique de développement, par la constitution d’une base de connaissances suffisante, par la mise en œuvre d’une méthodologie pour un cadre d’action cohérent aux différents niveaux du gouvernement, par une politique de coordination pour  une synergie dans l’action à tous les niveaux, des universités  au parlement.

La question du lien entre compétences et migration en général  et le développement est aujourd’hui au cœur de l’agenda politique international. Au Maroc, nous assistons à une réelle prise de conscience et à une volonté de renforcement des liens  avec les diasporas  et du potentiel qu’elles représentent en termes de capital financier, de capital humain et de capital social. Reste à donner corps à cette nouvelle donne migratoire, en levant les nombreux obstacles, en mobilisant tous les acteurs institutionnels, pouvoirs publics nationaux et locaux, ONG, société civile, et  en renforçant la coopération internationale  pour encourager « une fertilisation croisée ». Les propositions et recommandations des compétences marocaines venues des  autres continents y contribueront à coup sûr. Pour ce faire le chemin est long mais comme dit l’adage « quand il y a la volonté, il y a le chemin » ..

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