Condamnation de Zefzafi et ses compagnons, entre l’émotion et la règle de droit…

Hassan Alaoui

« C’est la liberté qui opprime et la loi qui libère » ! Le propos est de Henri Lacordaire, philosophe du XIXème siècle. Il éclaire à coup sûr notre contexte actuel, fait de passion et de déraison.

La condamnation dans la nuit du mardi 26 juin par la justice marocaine des 52 inculpés du mouvement Hirak, dont Nasser Zefzafi, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid à 20 ans de prison ferme, a suscité une vague d’émotion, voire des réactions de réprobation. Le chef d’accusation principal souligne « un complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat, passible de la peine de mort ». Parallèlement une autre condamnation a frappé trois autres accusés, Mohamed Haki, Zakaria Adehchour et Mohamed Bouhennoud , respectivement de 15 ans, de 7 et 10 ans de prison ferme.

L’émotion la plus grande a gagné les uns et les autres, la lourdeur des peines ayant plutôt choqué les pans entiers de la société. Mais elle n’a aucunement affecté les tenants de la loi, intransigeante quant à l’application des textes. Quand l’une des avocates des membres du Hirak – Souad Brahma, Asma al-Wada  ou encore Saïda Rouissi – estiment que « ce sont des peines très lourdes et que l’Etat a échoué dans ce test de respect des droits de l’Homme et des libertés essentielles, tout comme l’indépendance de la Justice », un autre avocat, tout aussi digne, rétorque : « Les peines sont très légères par rapport à ce que prévoit la loi et à la façon dont ils ( les membres du Hirak) se sont comportés devant le juge ». Il s’agit de Mohamed Karout qui défend l’Etat et les forces de l’ordre, dont beaucoup de membres ont été ni plus, ni moins victimes des pires atrocités.

Après le décès accidentel de Mouhcine Fikri

Trois jours après le verdict, si lourd soit-il, il convient de replacer les jugements prononcés dans leur véritable contexte : celui d’une instruction et d’un procès qui ont duré quasiment douze mois, sinon plus, suite à une série d’événements précipités voire dramatiques. Au départ, les autorités ont fait face à un cahier de doléances à caractère économique et social, sur fond d’une tragédie humaine, à savoir la mort accidentelle le 30 octobre 2016 de Mouhcine Fikri, poissonnier de son état, pris en flagrant délit de violation de la loi sur la vente de produits interdits. Si sa dramatique disparition dans une benne a suscité l’émoi, elle n’en pas moins constitué un prétexte instrumentalisé – on le verra plus tard d’ailleurs – pour quelques groupuscules dont Nasser Zefzafi constituera la figure de proue.

Pendant neuf mois, entre octobre 2016 et mai-juin 2017, le mouvement Hirak transformera, les réseaux sociaux et quelques sites aidant, en un champ de violences programmées. Une sorte de caisse de résonnance, sur laquelle viendra se greffer de mystérieuses ambitions, scandées par des sorties aussi bien spectaculaires que ciblées, d’un Nasser Zefzafi et ses compagnons sur lesquels se sont figés les projecteurs, étrangers notamment, qui voulaient en découdre avec le Maroc et ses institutions. Au soulèvement nourri par les sites, les forces obscures, des adversaires patentés de notre pays résidant à l’étranger, s’est accommodée non sans gravité l’inertie d’un gouvernement dirigé par un PJD, plutôt volontairement pusillanime et qui porte une lourde responsabilité d’un immobilisme caractérisé.

Images hallucinantes de violences

Tout au long du mois de Ramadan de l’année 2017, le mouvement Hirak, gonflé par son « leader », poussé  à la surenchère des mafias installées à l’étranger, un Zefzafi monté sur ses ergots, a défié la force publique et fait de la provocation de l’Etat son exercice préféré. Il aura poussé l’outrecuidance de l’aveuglement jusqu’à pénétrer au sein de la mosquée de la ville d’al-Hoceima un vendredi, perturber impunément le prêche de l’Imam, violer un haut lieu sacré de l’Islam, et menacer les fidèles qui y priaient. Non content des avanies commises devant une presse internationale dévouée – dont l’acrimonieuse Agence France Presse -, il a incité les jeunes et une partie significative de la population de la région à se soulever, à défier les forces de l’ordre, au mépris de la loi.

Le résultat ? Ce sont des scènes de violences, des actes d’agressions délibérées que les photos, les images prises ici et là illustrent avec pertinence où l’on voit des policiers, des forces auxiliaires attaqués, piétinés délibérément. Les images hallucinantes de véhicules des policiers brûlés, poursuivis dans des courses infernales, leurs conducteurs molestés, pourchassés avec des vociférations  haineuses d’un autre âge, celles encore où l’on voit partir en flammes les étages de l’immeuble qui abritait les employés de la police, venus qui de Ouarzazate, qui de Khémisset, qui encore d’Oujda accomplir leur mission de maintien de la sécurité, laissant derrière eux femmes et enfants, le soir colletés aux manifestants sur les places de la ville, dans le viseur de ces derniers, à deux doigts des provocations…

Le feu a pris l’immeuble et les agents de sécurité n’avaient d’autre choix que de remonter les escaliers pour rejoindre les toits, tentés de plonger dans le vide pour échapper aux flammes. Des policiers blessés, gravement, transportés aux urgences d’un hôpital qui n’a cessé d’en accueillir des semaines durant, un agent tombé dans le coma qui, gisant au milieu d’une foule ahurie, a failli y rester…Ce ne sont ni caricatures ni propagande, mais des images fortes, tangibles qui témoignaient d’un contexte explosif, de violations criardes de la loi. Et pour peu que l’on se soucie de celle-ci, ces actes de violence sont passibles du Code de procédure pénale.

Les forces de l’ordre, gros cortège des victimes

Tout compte fait, sauf mauvaise foi, les forces de l’ordre ont constitué le plus gros du cortège des victimes de violences. Et, quand bien même d’aucuns persisteraient à soutenir le contraire, invoquant ici la « répression et la torture » et là la « hogra », la police et les forces auxiliaires ont fait montre de retenue, ont su rester calmes plutôt que de tomber dans le piège des provocateurs. Les innombrables images en fournissent la preuve plus que tangible. Il est bien entendu difficile de nos jours d’essayer de dire, fût-ce mezzo voce, du bout des lèvres, qu’en face des provocations avérées, calculées, il n’y avait que résistance passive  voire silencieuse et sourde de la part de la police… Dans les pays européens, on le voit régulièrement sur nos écrans, les actes de violence sont punis et réprimés parfois avec une violence inouïe , leurs auteurs en prenant pour leur grade…Autrement dit, rien à voir avec ce qui s’est passé chez nous tout au long des mois de mobilisation ayant enflammé les partisans du Hirak, excepté certaines interventions pour remettre de l’ordre et répondre aux attaques lancées sciemment par des jeunes.

Une lourde condamnation et des preuves

On ne cesse de mettre en doute voire de condamner le verdict, perçu comme une injustice à l’endroit des responsables du Hirak, qualifiés de victimes. Si lourd semble-t-il, le verdict a été prononcé après dix mois de procès et de délibérations qui ont pris le Maroc, ses institutions, son économie et son activité en otage, détruit son tourisme, ses investissements potentiels faisant voler en éclats et l’image de cette belle province ruinée et celle des ambitieux projets en cours de réalisation…

Or, peut-on en effet concevoir une si lourde condamnation des leaders du Hirak, si elle n’était assortie de motifs profonds et justifiée par des preuves ? Or, celles-ci n’en manquent nullement, à coup sûr. Hormis les motifs réitérés depuis le début de cette affaire, en dépit des démentis ressassés par les défenseurs du Hirak, relayés par des réseaux sociaux, des sites et notamment l’AFP qui en fait son miel , qui n’en démord pas de nous gerber par ses partis pris délibéré, une armada de preuves cumulées, fondées sur des faits tangibles, comme le soutien explicite de forces hostiles à l’étranger, les écoutes téléphoniques, un suivi numérique et physique que la loi autorise, les filatures et autres témoignages dont personne ne se douterait…

Seuls le juge et les enquêteurs qui instruisent ce lourd dossier- et avec eux les inculpés probablement –  savent à quoi s’en tenir. Ils détiennent les preuves, et dans leur démarche plus que difficile, ils confrontent les faits, la conscience torturée, renfermés parfois, isolés, face à l’histoire, à eux-mêmes. Ce n’est pas un jeu ou une parodie, mais un enjeu national qui, outre la dimension spectaculaire et sensible, interpelle la rigueur professionnelle, le principe de justice au sens profond, et la vérité. Entre l’émotion et la justice que choisir ? Chaque juge est ainsi confronté à ce dilemme cornélien, et la Loi au singulier lorsqu’elle a été écrite, conçue et promulguée il y a des siècles, n’avait nullement imaginé être quelque jour confrontée et colletée à l’affaire du Hirak…

Au nom de l’Habeas Corpus…

Ceux qui décrient – ils sont légion – la procédure judiciaire et réclament à cors et à cris la libération illico presto des militants du Hirak savant bel et bien qu’il y va de la crédibilité de la justice et de l’Etat de droit. Parmi eux des avocats et des hommes de loi, professionnels et imbus de la culture du droit, en principe au fait des règles de la Justice et de ses textes…

Qu’ils revendiquent cette liberté immédiate au nom de ce qu’on peut appeler un Habeas Corpus marocain, devrait aussi les interpeller que le même principe angliciste signifie préservation de la loi et de la règle de droit. Et la vérité invoquée, inavouée sans doute est que la confusion qui a caractérisé un procès si long et rocambolesque même, théâtralisé à outrance par la présence de fausses nouvelles, de fake-news, et de maquillages, a donné lieu à toutes les interprétations fallacieuses.

L’Agence France Presse, comme aussi la chaîne France24 s’en sont donné à une sorte de shadenfreude, la première consacrant plus de 3 grandes dépêches en moins de deux jours, la seconde se réjouissant du rebondissement d’un événement qui fait les choux gras de ses éditions, présenté comme d’habitude sous l’angle de la partialité la plus grossière. Un parti pris ubuesque qui n’honore ni l’un ni l’autre des organes de la presse française, en graves difficultés financières et auxquels le Quai d’Orsay vient à la rescousse.

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