COP 22 : La guerre des agences ne doit pas éclipser les enjeux pour le Maroc

S’il fallait résumer en une métaphore réductrice la ronde fomentée autour de l’appel d’offres en deux volets de la COP 22, lancé par le ministère de l’Intérieur, rien n’eut mieux convenu que celle d’une « poupée russe », à plusieurs dimensions ! Elle déboîte et dévoile des intérêts insoupçonnés, des groupes et des acteurs aux antipodes, met en évidence l’ardeur au gain, et cette inclinaison compétitive et compulsive à l’argent…Plus on l’ouvre, plus on s’y engouffre, plus le mystère s’épaissit.

La « poupée russe » en question pèsera au bas mot – mais certainement plus – quelque 800 Millions de dirhams, une bagatelle qu’aucun autre événement médiatique n’a mobilisée jusqu’ici au Maroc. C’est dire que le mirobolant chiffre, avant même d’être annoncé officiellement, n’a cessé de susciter de multiples et boulimiques appétits. C’est dire aussi qu’il nourrit espoirs et craintes, met mal à l’aise, voire met à mal simplement tous ceux et celles parmi les patrons d’agences spécialisées dans l’organisation des événements qui , pour une raison ou une autre, étaient jusque-là habitués à obtenir les gros marchés de gré à gré , sans appels d’offres, contournant royalement la réglementation des marchés publics, jouant de leurs relations intimes et, à défaut, du principe sacralisé de « retour de l’ascenseur »…C’est peu dire que de telles pratiques ont constitué , et dans une grande majorité des cas, le trait dominant de notre culture économique, dénoncé pourtant à tour de bras,  mais omniprésent .

La candidature du Maroc pour organiser la COP 22 à Marrakech n’avait pas encore été posée et entérinée que, déjà, les esprits s’étaient emballés, laissant libre cours à l’imagination fertile des uns et des autres, ouvrant – le ballet des tripotages déployé –  une sorte de « foire aux enchères », de jeu d’alliances perverses. Cette ruée des agences, nationales et étrangères, s’explique bien entendu. Elles subodorent les parfums du pactole et se positionnent dans un jeu de quilles. Tout a commencé par un « post » sur Facebook mettant en garde, sur le mode de l’amertume, la possible exclusion des agences marocaines dans l’organisation de la COP 22. Ce post, signé Majid Bennis, directeur général de l’agence Hors-Limite Organisation, est une interpellation, il a sonné le tocsin et ouvert la voie à un enchaînement de réactions, les unes critiques, les autres approbatrices. « L’appel d’offres lancé il y a quelques jours ne laisse aucune chance aux agences de la place », avait-il écrit. « …On a volontairement coupé l’herbe sous les pieds des agences locales et déroulé le tapis rouge aux agences internationales (Tel Richard Attias, GL Events Publics pour ne citer que celles-ci) », avait-il ajouté. Et de conclure sur un vibrant appel à la résistance: « J’invite toutes les agences de la place, petites et grandes, du nord au sud du pays à s’unir pour arrêter cette injustice et cette mascarade d’appel d’offres. Pour demander une révision de l’AO (appel d’offres). Une chose est sûre : on nous a déclaré la guerre, mais on ne se laissera pas faire. On gagnera…si on s’unit ».

Liké, ce post a été repris et publié tout de suite après par le site Tourisma Post, non sans susciter d’autres réactions, mettant en cause sa teneur et surtout donnant lieu à des éclaircissements supplémentaires. Le site Quid.ma, de notre confrère Naïm Kamal,  a simplement voulu mettre les points sur les « i » en publiant un «papier» intitulé « Evénementielle de la COP22 : quand mes intérêts personnels se cachent derrière « la préférence nationale ». Il n’y est pas allé de main morte : « L’organisation de la COP22, écrit-il, aiguise bien des appétits chez tous ceux qui n’y voient qu’un gâteau à partager. Une vraie fausse polémique est née sur un site à audience confidentielle. Un « article » – le mot est bien trop grand pour ce qui a été publié sous la signature d’un directeur d’agence bien né et dont les marchés obtenus l’ont été grâce à un réseau « maternel » ô combien utile (…) Les arguments développés par ce patron d’agence converti en inattendu avocat de ses confrères, ceux-là même à qui il a, lui, coupé l’herbe sous les pieds du temps du gré à gré, semblent imparables.(…) La COP22 est organisée par deux partenaires : le Maroc et les Nations unies. L’organisation événementielle doit répondre à un cahier de charges minutieusement défini par les Nations unies.(…) Il n’y a pas volonté d’écarter les agences marocaines en imposant des « conditions draconiennes »(sic) mais de respecter les exigences importantes de l’ONU…notamment en termes d’aménagement, d’équipement, de sécurité et de fourniture des services ».

L’article de Quid.ma a mis le doigt sur la plaie, sans aucun doute. L’argument est qu’aucune agence marocaine, quels que soient son poids – financier notamment -, son expérience et son ambition, ne peut à elle seule assumer le cahier de charges de cette COP 22 qui ne devrait le céder en rien à celle organisée en décembre 2015 à Paris. Le retrait du dossier est soumis au dépôt préalable de caution de pas moins de 7 millions de dirhams. Il s’ensuit d’autres paramètres qui relèvent de la prouesse, et surtout cette condition sine qua non que le 10 mars prochain, date de l’ouverture des plis, la transparence totale sera le critère fondamental. D’ores et déjà, les organisateurs se prémunissent derrière cette exigence suprême qui ne transige pas avec l’éthique, qui ne laisse rien au hasard et met en porte-à-faux certaines agences habituées à « décrocher » les gros marchés sans concourir par le biais d’un appel d’offres notamment.

On comprend dès lors que, confrontés à la nouvelle donne, autrement dit à cette moralisation publique qu’implique l’appel d’offres de la COP 22, les dirigeants de certaines agences événementielles soient abasourdis, et décrient la procédure, fût-elle réglementaire et exigée par les Nations unies. Sauf qu’ils ne sont pas les seuls à ruer dans les brancards ou à recourir au lobbying. Le marché juteux de la COP 22 n’a pas alléché que des candidats nationaux, y compris au sein du ministère de l’énergie, mais comme pot de miel, il a aiguisé les appétits d’une agence comme ESL Agence Publics, qui a pignon sur rue à Paris et, suprême ironie, n’a jamais travaillé ni connu le Maroc auparavant. Il est vrai néanmoins que ses dirigeants, ayant déjà travaillé pour le compte du Maroc à la COP 21 à la demande de Hakima Haite, ministre déléguée chargée de l’Environnement, et entre autres sur l’événement de MEDays de Tanger , se sont imaginés déjà vainqueurs de la timbale…Dès potron-minet,  ils se sont précipités pour annoncer leur candidature, ils ont fait le ou les voyages exploratoires et annoncé la création d’une filiale à Rabat.  Non contents de s’ériger en modèle de la Com, « porteurs » de savoir et de techniques, ils avaient prévu d’organiser à Rabat une soirée où seraient conviés les représentants de l’Establishment et de la classe des décideurs. Ce qui devait être la cérémonie huppée de lancement de cette agence parachutée in extremis, s’est transformé in fine en une conférence de presse où, alignés sur la même table, le trio dirigeant de ESL-Agence Publics s’est évertué à convaincre la presse du bien-fondé d’une démarche au relent cupide.

Ils sont à la tête du Directoire et s’appellent respectivement Gérard Askinazi, Jean-David Levitte et Alexandre Medvedowsky. Leur groupe a assuré l’organisation du pavillon du Maroc lors de la COP 21 avec cette promesse qu’il participerait à l’organisation de la COP 22 à Marrakech et, dans la logique des choses, emporterait même la compétition. Sur quoi cette conviction se fonde-t-elle ? Naturellement sur le fait que la ministre déléguée chargée de l’Environnement, Hakima Haite, non contente du succès que le Maroc a connu à Paris lors du Sommet du climat, si l’on en croit nos sources, aurait promis à M. Askinazi le marché de la COP 22 de Marrakech….En contrepartie de quoi ? Toujours est-il que certains journaux n’ont pas hésité à établir le lien entre le fait que la nièce de la ministre déléguée, dénommée Najoua Haite, outre sa fonction à la mairie d’Evry dans l’Essonne, officie également au sein de ESL Agence Publics…De là à imaginer que le choix de son « patron » fait par la tante ministre pour confier le marché à ESL-Agence Publics, il n’y a qu’un pas franchi…Agence Publics

Jusqu’au cœur de Paris donc, le gré à gré marocain, de l’Etat à une société privée, s’est illustré à merveille et sans scrupules. Comment ne pas s’en étonner voire s’inquiéter quand on sait que le même Gérard Askinazi , fier patron de l’agence Publics, est cité officiellement depuis janvier dernier dans le scandale Bygmalion qui secoue la France et coûte à Nicolas Sarkozy d’être mis en examen pour dépassement des frais de sa campagne en 2012 ? Gérard Askinazi avait organisé les meetings de l’ancien président de la République française, notamment de Villepinte (50.000 personnes), du Trocadéro et de la Concorde qui ont mobilisé des montants faramineux, plus de 41,5 millions d’euros, alors que la loi fixe le plafond de 22,5 millions d’euros. Les dépenses réelles ont été minorées cependant à 18 millions d’euros. Gérard Askinazi a été félicité et décoré par Sarkozy en 2009,il a été aussi entendu en septembre 2014 par un juge parisien.

Le 11 février dernier, le Roi Mohammed VI a nommé Salaheddine Mezouar Président du Comité de pilotage de la COP 22 et approuvé en même temps la désignation des 11 membres qui accompagnent ce Comité. Le communiqué rendu public rappelle que la préparation et l’organisation de la COP 22 s’inscrit dans le cadre des Nations unies, comme pour en souligner l’exigence et l’éthique à laquelle, de toutes façons, le Maroc adhère. Le communiqué du ministère des Affaires étrangères indique  «  qu’en plus de M. Mezouar, le comité est composé de Abdelâdim Lhafi (Commissaire), Aziz Mekouar (ambassadeur pour la négociation multilatérale), Nizar Baraka (président du comité scientifique), Hakima Haité, (envoyée spéciale pour la mobilisation), Driss El Yazami (responsable du pôle de la société civile), Faouzi Lekjaa (responsable du pôle financier), Samira Sitaïl (responsable du pôle de la communication), Abdeslam Bikrate (responsable du pôle de la logistique et de la sécurité), Said Mouline (responsable du pôle partenariat public/privé) et Mohammed Benyahia (responsable du pôle événements parallèles «side events»). » La même source précise qu’en vertu des Hautes instructions Royales, une commission interministérielle a été mise en place, en vue d’accompagner l’organisation de cette importante échéance internationale.

La mise en place de ce Comité remet les choses en place et, les instructions royales aidant, donne la mesure du degré de rigueur et d’éthique. Et les agences, quelle que soit leur origine, s’y soumettront sous peine d’être écartées. On peut donc décliner grosso modo le croquis de ces dernières, annoncées officiellement ou officieusement dans la course, engagées depuis un moment dans un jeu d’alliances : le groupe Havas sur lequel s’adosse l’agence marocaine Avant Scène de Miryem Abitzer, connue pour décrocher de gros marchés de l’événementiel, de gré à gré, avec le soutien d’un poids lourd gouvernemental qui est aussi actionnaire dans son affaire ; Agence Publics déjà cité sur lequel s’adosse GL Events, Capital Events dont le président est Adil Lazrak, lui aussi dominant le marché dans une certaine mesure et bénéficiant des faveurs d’un autre ponte du pouvoir ; Hopskotch et enfin Richard Attias du groupe éponyme  et le groupe A3 Communications de Neila Tazi, très proche de la CGEM.

Le climat est un tropisme que les Etats cultivent, il devient un enjeu. Il n’est que de voir la guerre que se livrent, aux Etats-Unis, un Barack Obama et ses adversaires sur son projet climatique que la Cour suprême des Etats-Unis vient de rejeter violemment. A la COP 22, la compétition s’annonce rude et sans appel, agences nationales et internationales noueront des partenariats, attendront la date butoire du 10 mars, conformément aux dispositions du cahier de charges, tenteront même de faire pression. Ce que l’on en retire c’est, au moins cette fois-ci, le coup d’arrêt porté au gré à gré. Le Maroc ne saurait être une « République bananière » à la merci des gros intérêts. Peut-être que la COP 22, à la différence et à rebours des autres événements dont beaucoup organisés sans appel d’offres transparents, aura le mérite de nous donner le vertueux exemple de régularité et de moralité publique, sans doute enterrera-t-elle dans les catacombes le jeu de complaisance, de favoritisme, de « copains et de coquins »… La COP 22 est à n’en pas douter une COP de l’Afrique, elle décline des enjeux continentaux et pour la diplomatie marocaine, elle met en exergue l’impératif de la gouvernance pour le financement de l’économie verte.

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