COP 28 de Dubaï : Le Multilatéralisme à l’épreuve des lobbies

Par Abdelhak Zegrari (*)

Le rideau est donc tombé  ce 13 décembre à Dubaï sur la Cop la plus fréquentée de l’histoire, avec un accord à la Pyrrhus ; accord historique pour les uns, car il prévoit de « transitionner hors des énergies fossiles » ou accord  écocide pour les autres qui estiment qu’il ne va assez loin et laisse un feu vert pour les pétro-gaziers. Pour ces climato-radicalisés, l’accord sauve les discussions diplomatiques, mais pas le climat. Jamais conférence n’avait suscité autant d’optimisme prudent et d’anxiété latente, d’avalanche de promesses et de langage douteux.

Dès les premiers jours, le SG de l’OPEP Haitham Al Ghais, a demandé « en urgence » à ses membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles dans les négociations climatiques (…)  alors que les pays membres de l’OPEP et les pays non-membres (…) participant à la Charte de coopération prennent le changement climatique au sérieux et ont fait leurs preuves en matière d’actions climatiques, il serait inacceptable que des campagnes à motivation politique mettent en péril la prospérité et l’avenir de nos populations ». Les remarques même du  Sultan Al Jaber,  sur l’absence de preuves scientifiques sur la nécessité d’une élimination progressive des combustibles fossiles pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C ont soulevé un tollé général et ont été qualifiées de « négationnisme climatique ».

Dubaï a enregistré la présence record de 2 456 lobbyistes du secteur des combustibles fossiles, dont 475 spécialisés dans le stockage du carbone. Leur participation a suscité des inquiétudes quant à l’influence de l’industrie sur le sommet, ce qui a donné lieu à de nombreuses critiques. Pour rappel, ils n’étaient que 503 à Glasgow et …11 à Berlin lors de la COP de 1995 !

 La planète va mal…

Le CO2 a atteint un niveau inédit sur Terre depuis 14 millions d’années, d’après l’étude d’un groupe de 80 chercheurs publiée par la revue « Science ». La Chine est responsable des deux tiers de l’augmentation des émissions de CO2 depuis 2000.  En 2023, des records de température ont été battus, tandis que des tempêtes, des inondations, des sécheresses et des vagues de chaleur ont fait des ravages.

Le changement climatique impacte de manière différenciée les pays du Sud Global ; ainsi, certaines régions d’Afrique subissent de longues périodes de sécheresse suivies d’inondations, causant des dégâts irréversibles sur l’environnement et menaçant directement la sécurité alimentaire des populations, sans parler des déplacements de communautés à la recherche d’espaces plus hospitaliers. Des pays d’Asie et du Pacifique sont menacés par la montée des eaux, et leurs habitants connaissent une angoisse existentielle ! Le Pérou, un des pays les plus secs du monde, a perdu la moitié de ses glaciers le privant ainsi d’importantes ressources en eau !

L’opérationnalisation du Fonds pour les pertes et dommages est perçu comme une étape cruciale vers la justice climatique, même si les engagements pris ne constituent, au mieux, qu’un premier acompte. Les promesses s’élèvent à 770,6 millions$, dont 115,3 millions$ sont destinés à des mécanismes de financement, et non au Fonds pour les pertes et dommages lui-même. Ces promesses ne représentent que 0,2 % des besoins en pertes et dommages des pays en développement, qui s’élèvent à plus de 400 milliards de dollars par an. Encore faut-il préciser si ces promesses sont des subventions,  et non des prêts, et qu’elles s’ajoutent aux financements déjà existants comme ceux de l’adaptation, du climat et du développement !  L’argent est là et il peut être mobilisé et acheminé là où il est le plus nécessaire. Avec les cadres réglementaires et juridiques appropriés, les pays développés peuvent lever des centaines de milliards de dollars sans avoir d’impact sur leurs économies ou leurs sociétés grâce à des outils tels que la taxation des industries polluantes comme l’industrie des combustibles fossiles – qui ne paient souvent que peu ou pas d’impôt sur les sociétés -, les taxes sur les transactions financières et les redevances sur les passagers aériens. ! Le coût de l’inaction climatique serait colossal et dans tous les cas bien supérieur aux engagements consentis pour assurer la transition écologique.

Le Rapport de l’UNEP sur le déficit d’adaptation en 2023 pointe le  sous-financement et le ralentissement des progrès en matière d’adaptation au climat. Les voies d’accès pour les différents pays doivent être adaptées,  en reconnaissant les contraintes de développement considérables des pays les moins responsables qui continuent à être affectés de manière disproportionnée par le changement climatique et en établissant des calendriers d’ élimination différenciés. Il serait indécent de demander au Congo, par exemple,  d’éliminer progressivement tous les combustibles fossiles dans le même délai que la Norvège ou le Royaume Uni.

L’Afrique à l’heure des choix…

Organisée à la croisée des Mondes, Golfe persique, Afrique, Asie, cette COP a déporté l’attention sur ces pays qui sont souvent moins audibles dans les conférences multipartites dominées par les pays occidentaux. Là l’initiative a été extrêmement bien perçue des pays d’Afrique qui n’ont capté que 3% de tous les financements versés dans la transition  énergétique ces 10 dernières années, ce n’est rien ! Ils avaient besoin de ce message de confiance, de bonne volonté et d’investissement. Il n’y a pas que la compensation financière.

L’Afrique connaît une recrudescence des projets pétroliers et gaziers. Des pays comme le Sénégal, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Mozambique et l’Ouganda explorent leur potentiel en matière de combustibles fossiles. Sous la pression des marchés mondiaux de l’énergie,  et dans un contexte géopolitique complexe, ils sont tentés par une recherche de croissance économique leur permettant de réaliser leurs projets de développement. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre gestion des ressources et enjeux environnementaux.

Il est essentiel de passer de l’extraction des ressources à une vision de la durabilité environnementale et du droit à une vie décente, au-delà de la simple croissance. Pionnier des énergies renouvelables en Afrique, et fort d’une grande expérience dans le solaire et l’éolien, le Maroc ambitionne d’être le premier exportateur d’hydrogène vert à l’horizon 2050. Le potentiel de développement est énorme surtout dans la promotion de l’automobile de demain. Par ailleurs, le Maroc et le Ghana ont signé à Dubaï un texte appelant à tripler les capacités  de l’énergie nucléaire d’ici 2050 ; cette énergie décarbonée pourrait aider à dessaler l’eau de mer et répondre ainsi au stress hydrique que connait le royaume depuis quelques années.

Le nucléaire semble incontournable pour la transition énergétique, on ne s’y attendait pas. Autrefois perçu comme une énergie dangereuse, à juste titre peut-être, à cause de Tchernobyl ou Fukushima, mais aujourd’hui, on se rend compte que pour réussir le pari climatique, il faut se doter de tous les outils et de toutes les sources d’énergie.

Multilatéralisme ou écoblanchiement ? 

On peut d’ores et déjà noter que le mot « transition » a été préféré à celui de « sortie » qui n’aurait pas permis probablement un accord. Loin de s’en réjouir, on aurait préféré une mention à une sortie nette, avec une trajectoire précise et surtout un calendrier. Sans avoir une vision radicale et binaire, il faut voir en cet accord un grand progrès dans la quête d’une solution durable à la crise climatique, en vertu même du principe du multilatéralisme.

Pour la première fois, on entre dans le concret en projetant de tripler les énergies renouvelables,  doubler l’efficacité énergétique, développer le nucléaire et les énergies de transition, comme le solaire ou l’éolien. Sans vouloir mettre en doute l’utilité des COPs, il faut avouer qu’elles restent le dernier refuge du multilatéralisme, à une époque où l’Assemblée Générale des Nations Unies est une coquille vide face à tous les conflits armés par le Monde ! Les EAU ont annoncé l’arrivée d’un nouvel investisseur, la création d’un fonds d’investissement privé dont l’idée sera de cimenter les futures solutions pour le climat.

C’est un projet ambitieux que le président des Emirats a voulu rendre très concret avec une dotation colossale de 30 Mds $, bien plus que la promesse des 100Mds qui a été faite au Fonds Pertes & Dommages destiné à financer les pays les plus vulnérables ; et c’est 10 fois plus que les 3Mds des Usa pour le Fonds Vert,  80 de ces 30Mds peuvent financer les projets qui accélèrent la transition écologique et le reste reviendra aux pays du Sud. Le 1e projet annoncé, c’est la création de centrales solaires et éoliennes en Inde.

L’objectif du Fonds est de transformer le milliard en millier de milliards et faire de son pays le hub de la finance climatique. D’ici 2030, le fonds devrait atteindre les 250 Mds $, l’équivalent d’un dixième des besoins des pays du Sud pour financer leur transition. Alors plusieurs interrogations : est-ce que ces pays du Sud auront des financements plus intéressants que sur les marchés classiques, et surtout, n’est-ce pas là une occasion pour les Emirats pour accroitre leur influence auprès des pays du Sud ?

Incontestablement, les EAU avaient un immense pari diplomatique,  se positionner dans le concert des nations comme un Etat qui prend la main sur les enjeux climatiques ; c’est plutôt une réussite. Alors pourquoi ne pas imaginer que les pays qui ont fait leur puissance sur le fossile ne deviennent pas demain ceux qui permettent d’en sortir ? Et l’idée principale est  que le financement privé des compagnies pétrolières, viendra s’ajouter aux bailleurs publics dont les moyens ne sont pas indéfinis.

Il faut renforcer les acquis de cette COP, car on a assisté à un alignement de  la quasi-totalité de la communauté internationale sur un mieux-disant qui n’est pas parfait, mais l’objectif est d’aller plus loin sur le même radeau. A noter qu’ à cette occasion l’OPEP s’est fracturée ; l’Arabie saoudite a critiqué vivement le texte final, criant même à la trahison, le Brésil se rangeant du côté des Emirats. L’an prochain, il ne risque pas de se passer grand-chose, la moitié du Monde entre en campagne électorale et la COP29 aura lieu dans un autre Etat pétrolier…l’Azerbaïdjan ! Espérons un lancement des discussions sur un traité de non-prolifération des combustibles fossiles !

(*) Migration & Développement durable

UN Civil Society Forum

 

 

 

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