Coronavirus : le Maroc érigé comme modèle de gestion de l’épidémie

Érigé comme modèle de gestion du Covid-19, le Maroc n’a pas lésiné sur les moyens, en particulier financiers, pour faire face à la crise, affirme l’Institut Montaigne.

Le think-tank, proche du patronat français, publie dans sa lettre hebdomadaire, une analyse de Larabi Jaïdi, Senior Fellow au Policy Center for the New South, dans laquelle ce dernier revient sur la situation sanitaire actuelle au Maroc, les impacts économiques et la stratégie de sortie de crise.

Au Maroc, au lendemain des premiers signaux de l’épidémie du Covid-19, des actions ont été très rapidement engagées pour minimiser la portée de la chaîne de contamination avec la mise en place de « postes de commandement Coronavirus » aux échelles territoriales appropriées pour assurer la veille et la coordination, avec les services sanitaires, de l’identification et de la localisation de l’épidémie, affirme l’auteur de l’analyse.

« Cette initiative a été renforcée par un verrouillage des frontières, une interdiction des rassemblements, la fermeture des écoles, puis des mesures drastiques incitant à un confinement volontaire puis obligatoire », souligne Larabi Jaïdi qui relève que l’ensemble des mesures prises ont permis d’éviter 6.000 décès.

Selon l’auteur de l’analyse, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire exprime la volonté de maintenir une vigilance dans le suivi de l’épidémie pour éviter l’apparition ou la résurgence de clusters même si le R0 (taux de production du virus) a baissé : de 3, il est désormais inférieur à 2.

S’agissant de la levée des mesures de confinement prolongé jusqu’au 10 juin prochain, il estime que « vraisemblablement, le déconfinement se déroulera de manière progressive et selon la situation épidémiologique des différentes régions ».

« Une stratégie de déconfinement est actuellement en cours d’élaboration, plusieurs scénarios sont étudiés. Ses modalités dépendront des données scientifiques sur la nature du virus, l’infrastructure des hôpitaux, la capacité de protection de l’économie et du pouvoir d’achat des consommateurs », a-t-il détaillé.

A propos de la stratégie adoptée par les autorités pour combattre l’épidémie, l’auteur de l’analyse rappelle, qu’en plus des mesures sanitaires appropriées qui ont été prises, un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de 10 milliards de dirhams (soit 934 millions d’euros) a été déployé le 25 mars dernier.

Doté initialement de ressources budgétaires, puis abondé par des contributions du privé et du public, le Fonds devait servir à financer des dépenses de mise à niveau du dispositif médical, à soutenir l’économie nationale pour faire face au choc, à préserver les emplois et à atténuer les répercussions sociales de la pandémie, a expliqué l’auteur de l’analyse, soulignant qu’un Comité de veille interministériel a piloté le plan d’action sous ses volets économique et social.

Ainsi, une indemnité mensuelle est octroyée jusqu’à fin juin 2020 au profit des salariés déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), en arrêt temporaire de travail, dans les entreprises en difficulté. Elle a concerné 132.000 entreprises sur les 216.000 affiliées à la Caisse, et près de 900.000 salariés. Ces derniers bénéficient également du report du remboursement des échéances des crédits de consommation et de logement.

De même, des transferts monétaires ont été opérés en faveur de 2,3 millions de ménages affiliés au Régime d’assistance médicale, dont 38 % sont issus du milieu rural.

« Ces transferts ont été étendus aux actifs travaillant dans le secteur informel et qui ne bénéficient pas du régime d’Assistance, soit 2 millions de ménages. Ainsi, 4,3 millions de familles opérant dans le secteur informel bénéficieraient du soutien du fonds spécial Covid-19, a-t-il indiqué.

En outre, le Comité de veille a pris un ensemble de mesures en faveur des entreprises touchées par cette pandémie, notamment les TPE, les PME et les professions libérales. Il a consenti des reports de remboursement d’échéances des crédits bancaires et de crédits leasings (310 000 demandes), accordé des garanties de crédit au profit des entreprises dont la trésorerie s’est détériorée (9 000 prêts). D’autres mesures ont participé à alléger les contraintes financières des entreprises : report du dépôt des déclarations fiscales, suspension des contrôles fiscaux, exonération de l’impôt, assouplissements des paiements de pénalités de retard sur les marchés publics, prêts sans intérêts au profit des auto-entrepreneurs.

Le Comité de veille, a-t-il rappelé, a également mis en place plusieurs mesures pour faciliter le financement de l’économie par le système bancaire et répondre aux besoins en liquidité des entreprises. Les banques ont été invitées à surseoir au provisionnement des crédits qui feront l’objet d’un moratoire et à utiliser les coussins de liquidité après un relâchement des ratios prudentiels.

S’agissant des répercussions économiques du coronavirus au Maroc, l’auteur de l’analyse relève que les perspectives de croissance pour l’économie nationale ont été révisées à la baisse. « Elle serait amputée de 8,9 points au deuxième trimestre 2020 », estime-t-il.

« Les prévisions de la demande étrangère adressée au Maroc sont aussi à la baisse, suite au fléchissement attendu des importations des principaux partenaires commerciaux du Royaume », indique Larabi Jaïdi, par ailleurs expert en politique économique, ajoutant qu’ « au repli de la demande extérieure se combinerait celui de la demande intérieure avec le prolongement de la période de confinement sur plus de la moitié du deuxième trimestre ».

Dans ce contexte, la croissance de la consommation des ménages devrait fléchir de 1,2 % au deuxième trimestre 2020, alors que l’investissement poursuivrait son repli au rythme de -26,5 % par rapport au deuxième trimestre 2019, pâtissant d’une accentuation du mouvement de déstockage des entreprises.

Au sujet de l’après-Covid et des stratégies de sortie de crise au Maroc, le Senior Fellow au Policy Center for the New South reconnait qu’il y a «encore beaucoup d’incertitudes sur la date de sortie de cette crise ». Cette sortie « ne sera ni globale ni immédiate après la fin de la crise sanitaire. Cette fin n’est d’ailleurs pas encore totalement visible. Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur le coût économique que le pays aura à supporter sur le moyen terme », a-t-il expliqué.

Mais malgré ces incertitudes, le Comité de veille a entamé les premières réflexions sur la sortie de crise, ses modalités, ses moyens, la cohérence des séquences d’articulation entre le court et le moyen terme, etc, a-t-il dit. Il ressort des premières réflexions du Comité qu’un Plan de sortie de crise sera annoncé prochainement.

Des scénarios sont établis prenant en compte les capacités et les vitesses de redémarrage des secteurs, l’état de santé financière des entreprises, les priorités…, a énuméré Larabi Jaïdi, soulignant que le Comité aura à se prononcer sur une série d’actions et d’arbitrages à faire.

Mais au-delà de la hiérarchisation des priorités, la question de la mobilisation efficace et optimale des leviers d’action est aussi à l’agenda du Comité., a-t-il affirmé.

Selon l’analyste, une relance par le soutien de la demande des ménages et par l’incitation à l’offre par l’investissement doit être pensée. « Dans ce challenge, la question de la soutenabilité du financement est cruciale. La relance par le budget et la commande publique qui s’impose va être confrontée à la réduction des ressources ordinaires, au creusement du déficit budgétaire et au seuil d’endettement tolérable », a-t-il estimé.

Après avoir rappelé que le Parlement a autorisé le gouvernement à dépasser le plafond d’endettement inscrit dans la loi de finances de 2020, l’auteur de l’analyse estime que l’utilisation de la ligne de précaution et de liquidité (d’un montant de 3 milliards de dollars remboursables sur une période de 5 ans, avec une période de grâce de 3 ans) négociée avec le FMI fin 2018 va permettre d’atténuer les effets de cette crise, et de préserver les réserves de devises permettant de consolider la confiance des investisseurs étrangers et des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Maroc.

Selon lui, cette assurance contre les chocs extrêmes n’affecte pas le niveau de la dette publique. « Néanmoins, si le déficit budgétaire dépasse une norme soutenable, il faudra financer l’endettement par d’autres lignes de crédits auprès des organismes financiers ou avoir recours au marché des capitaux sans tomber dans un régime de conditionnalité contraignant qui remettrait en cause la souveraineté financière du pays », préconise-t-il.

L’autre modalité de financement est liée à la capacité du système bancaire marocain à procurer les liquidités nécessaires aux entreprises qui, au-delà de leurs besoins de trésorerie, risquent d’être confrontées à une crise de solvabilité exigeant un renforcement de leur bilan. « Dans ce défi du financement du crédit, le système financier national qui dispose d’une solidité financière reconnue sera confronté à la nécessité d’accompagner les entreprises avec une plus grande imagination et réactivité, moins de conditionnalité sur les garanties et de rigidité dans le déblocage des ressources, tout en veillant à préserver sa stabilité financière », estime-t-il.

Et de souligner qu’« aujourd’hui, la politique monétaire et de crédit est appelée à être plus flexible, veillant aux fondamentaux de l’inflation et à l’équilibre du taux de change, tout en accompagnant la relance économique par un usage convenablement dosé des techniques conventionnelles et non conventionnelles ».

Avant de conclure que « la réussite de la sortie dépendra, sur ce registre, de la combinaison optimale d’un policy mix, fait d’une politique budgétaire soutenable et d’une politique monétaire flexible ».

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