Décès de Si Ahmed Kabbaj, fondateur de la SGTM : l’aiguilleur, l’esthète et le sage

Par Hassan Alaoui

Ahmed Kabbaj, dit « Si Ahmed » vient de nous quitter ce vendredi matin du 4 janvier 2019, après une hospitalisation de deux semaines en urgence à l’hôpital Cheikh Khalifa de Casablanca. Jusqu’au dernier moment, il aura combattu les effets d’une crise cardiaque qui l’a soufflé et privé de la vie qu’il affectionnait avec passion et une philosophie existentielle exceptionnelle. Le Maroc perd ainsi une grande personnalité de son patrimoine intellectuel et une figure emblématique de la corporation des ingénieurs des travaux publics. Ahmed Kabbaj n’a pas été seulement le chef de file des « constructeurs » réputés de grandes œuvres du Maroc, mais devrait-on dire l’un de leurs bâtisseurs, celui qui a mis sa connaissance, plutôt sa théorie en concordance avec les besoins du Royaume.
Si l’on ajoute aussi sa vision d’édificateur, à l’aune d’une perspicacité où se mêlent le souci d’efficacité avec l’exigence esthétique, on comprendra en effet la dimension d’un homme qui a voué sa vie à « l’art particulier de bâtir » et d’offrir ainsi aux hommes l’art de vivre, comme disait un certain « Le Corbusier »… Si Ahmed, l’exigence professionnelle – et donc intellectuelle – chevillée au corps avait fait du travail sa profession de foi, jamais soucieux de ménager son temps, vivant intensément on temps, intempestif créateur, curieux de tout, ouvert à tout, fidèle à sa famille et à ses amis, une sorte de « minotaure » dans son métier, affectueux et cœur tendre.
A la force du poignet, il a conquis son leadership, mettant en exergue ses talents et en œuvre son savoir. Ingénieur diplômé à la fin des années 60 de la prestigieuse Ecole des Ponts et Chaussées de Paris, à un moment où le Maroc entamait une révolution infrastructurelle, il a crée en 1971 la société SGTM avec son frère cadet M’Hamed Kabbaj, lui aussi ingénieur des Travaux publics. Un groupe qui emploie plus de 10.000 personnes et qui pèse de tout son poids économique. Les chantiers et les commandes se succédant, la société familiale SGTM s’est au fur et à mesure transformée sous sa poigne , elle a prospéré pour devenir un groupe à dimension internationale. La nouvelle dimension lui permet d’incarner de ce fait le savoir-faire en termes d’ingénierie qui a su imposer son label devenu incontournable dans l’accompagnement du développement u Maroc. Sa force aura été aussi de savoir transformer le groupe en une communauté de destins voire en une famille fédérée autour d’un credo essentiel : la technicité et l’application. Si Ahmed en incarnait de toute évidence l’âme, le père et la sentinelle inspirée.
La quasi-totalité des grands chantiers infrastructurels porte l’estampille du groupe SGTM, comme une marque de noblesse qui assure à la fois la qualité et la sécurité. Qui reflète surtout la spécificité d’un travail bien fait, bien fini et qui porte en lui-même sa propre grandeur. A l’image du fondateur du groupe, exigeant avec lui-même, vigile qui veille scrupuleusement sur les détails, défenseur de la déontologie que les autres lui reconnaissent, dans un métier potentiellement agressé par les charlatans et les prédateurs du clinquant. Si Ahmed est venu sur les chantiers dans ses bottes, avec une feuille de route, la science – oui la science – accrochée fièrement, le crayon à la main, l’œil vif et la rigueur implacable élevée comme le défi permanent.
On lui doit, entre autres, la construction de l’aéroport de Mohammed V dans sa première version, tout à sa modernisation dans les années post-indépendantes. Une œuvre pionnière d’un constructeur national qu’il est demeuré, à la tête d’un groupe qui, le temps et le succès aidant, a acquis ses lettres de noblesse. Si Ahmed a construit également le siège du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, emblématique en sa conception, représentatif dans sa structure et exemplaire d’un modèle national. Il est par ailleurs le constructeur de Dar Assaka, monument national sur la route de Meknès aux contours spécifiques dont l’architecture n’a d’égale que l’exigence esthétique vouée aux taches qui reviennent à cette institution qui fabrique les billets et les pièces d’identité. Cet édifice porte ainsi la marque de Si Ahmed Kabbaj.
Les tunnels, les chantiers du groupe OCP de Jorf Lasfar, les viaducs du TGV, le port de Safi, la Marina de Casablanca pour ne parler que de ces exemples, constituent à vrai dire un simple échantillon d’un groupe qui incarne le leadership et la puissance reconnue aux plans national et international. Si Ahmed Kabbaj, son fondateur principal, en a porté les couleurs, avec détermination et une manière de défi. Il a traversé les succès comme aussi les soucis voire aussi les crises avec éthique si belle qu’il ne laissait rien remarquer, voué entièrement à son métier, à sa famille, à ses enfants qu’il a associés tout le temps à son travail, à ses proches.
La volubilité, la grandeur à tous points de vue, son sens du partage, de la convivialité, son modèle de vie épicurien, sa force intellectuelle, sa joie de vivre inégalée nous rappellent qu’il est resté le modèle de toute une génération d’entrepreneurs et de bâtisseurs du Maroc. Sans doute serait-il aujourd’hui, alors que nous pleurons son départ, insensible aux honneurs dont il n’avait cure, mais jamais aux hommages que la communauté des ingénieurs, ses amis et ses admirateurs lui témoignent. A son âge aujourd’hui, il n’a jamais été vieux ni incarné l’image d’un quelconque « vieil homme », il gagnait en beauté et en vivacité, étonnait toujours par sa vigueur intellectuelle et sa bonhomie, son affabilité , sa jeunesse marquée par les petites joies et les plaisirs partagés. L’Homme avait son ascendant particulier…Il était au sommet de sa gloire, mais rien ne lui importait d’autre que de défendre son pays, de préserver l’illustre image du patriote qu’il n’a jamais cessé d’être, digne en cela de l’héritage de ses parents, de sa famille et de son ancrage à Fès. Jamais il ne s’était en revanche prévalu de nom de son défunt frère, le grand général Mohamed Kabbaj qui fut le très proche de feu le Roi Hassan II..
L’équipe de Maroc diplomatique s’associe au deuil de sa famille et présente ses condoléances attristées à sa femme Fatima, à ses enfants Si Mohamed, Hamza, Hicham, Meryem ainsi qu’à toute la famille et proches.

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page