Driss Benhima : « La Monarchie, vecteur essentiel des initiatives stratégiques du Maroc »

PROPOS RECUEILLIS PAR HASSAN ALAOUI

On le désigne comme un grand commis de l’Etat, un technicien ou au mieux un technocrate ! Lui, préfère être un « fonctionnaire au service de l’Etat », l’irréductible défenseur du service public, bien formé et diplômé de grandes écoles : Prépas à Ginette ( Ecole Sainte Geneviève de Versailles), Ecole des Mines de Paris, Polytechnique ( X) il est le fils et le neveu de deux grands ministres nommés par feu Hassan II, Mohamed Benhima, son père qui était Premier ministre et Ahmed Taieb Benhima qui était ministre des Affaires étrangères. La famille Benhima,  originaire de Safi, avait cette caractéristique d’être attachée à la Monarchie.

Driss Benhima qui en est le digne descendant n’a pas dérogé à la règle : après de hautes responsabilités au sein de l’OCP, notamment à Khouribga, il avait été nommé en 1997 par le Roi Hassan II ministre des Transports, de la Marine marchande, du Tourisme, de l’Energie et des Mines. Le Roi Mohammed VI le nomme en 2001 Wali du Grand Casablanca, avant de rejoindre le poste de directeur général de l’Agence de développement et de promotion des provinces du Nord, mission dont il s’est acquitté avec dévouement et compétence. En 2006, le Souverain le nomme Président directeur général de Royal Air Maroc (RAM). Driss Benhima, s’il a quitté la fonction publique, ne quitte pas la vie politique. Il s’est engagé, comme un intellectuel gramscien, dans les rangs du Parti de l’Istiqlal avec l’objectif de participer au débat national. 

  •  MAROC DIPLOMATIQUE : Vous avez occupé pendant des années, de hautes et diverses fonctions dans l’Administration et ce que l’on qualifierait de politique publique, de l’ONEE jusqu’à la présidence de Royal Air Maroc, en passant par le tourisme, le développement dans l’Agence du Nord… Une longue expérience qui fait de vous un expert incontournable. Quel bilan faites-vous de ce parcours ?

DRISS BENHIMA : Je crois que la réflexion sur le Nouveau Modèle de Développement nous a ouvert les yeux sur les changements dans les doctrines de service public. On est passé d’une économie planifiée et administrée du haut vers le bas avec une intervention de proximité de l’administration vers des doctrines où les responsabilités et les décisions sont très partagées pour aboutir à une plus grande démocratisation des décisions. L’électrification rurale a été le modèle d’un programme totalement centralisé avec un responsable unique doté de toutes les attributions et de toutes les ressources nécessaires, les communes parties prenantes étaient simplement invitées à signer des conventions qui prévoyaient des séquences de branchement décidées par un programme informatique transparent, puissant et alimenté par un système d’information géographique englobant les 33.000 douars du pays, équitable et à l’abri de pressions politiques. Aujourd’hui avec le démantèlement de l’ONE, la régionalisation de l’électrification et la perte de compétences nationales centralisées, je me sens moins à l’aise, je ne saisis pas qui va être le responsable ultime de ce service de base. J’aurais préféré qu’on crée une Agence Nationale de Distribution de l’Electricité regroupant les régies et la distribution de l’ONE. Ce cas me permet de répondre à votre question, ma génération a vu l’affaiblissement du tout état et l’apparition de mécanismes sophistiqués, plus démocratiques en apparence, mais pas encore assez efficaces par manque de coordination et de leadership sectoriel.

  •  Quelle est votre analyse des deux dernières décennies vécues par le Maroc sous le règne de Sa Majesté Mohammed VI ? Autrement dit, comment devrait-on résumer ce règne ?

– Le Maroc a changé de statut. L’accélération du développement économique et social impulsé et personnellement suivi par le Souverain a donné à l’État des capacités stratégiques dont il ne bénéficiait pas avant. Tout en acceptant l’insertion volontariste dans le marché mondial qui a permis la diversification de l’économie et fait du Maroc un des gagnants de la mondialisation, nous avons connu le renforcement des infrastructures, la modernisation de l’agriculture et la fin des bidonvilles. La restructuration de la gestion urbaine dans la plupart des villes est en marche malgré les oppositions. La politique royale d’insertion dans le tissu du continent est un axe stratégique majeur accompagné d’une attitude profondément éthique vis-à-vis des communautés immigrées. Le Maroc se positionne à la fois économiquement mais aussi moralement comme un pôle continental, ces deux aspects étant dialectiquement liés. Et enfin, je fais partie de ceux qui sont convaincus que le mouvement de renforcement des couvertures sociales et sanitaires est loin d’être un nouveau facteur de charges mais un investissement rentable en plus d’être une satisfaction morale.

  •  Vos différentes missions vous ont conduit, sinon au cœur des événements, du moins en parallèle, mais presque tout le temps comme un temps privilégié. Quelle a été la plus importante de ces missions ?

La plus importante pour un observateur extérieur, je ne sais pas, mais elles ont toutes été importantes pour moi en tout cas. J’ai découvert en faisant partie du gouvernement que le poste de ministre était la plus noble des fonctions. Quant au poste qui me semble avoir été le plus en adéquation avec mes qualifications et mes aspirations, c’est d’avoir été ingénieur de terrain à l’OCP, d’ailleurs Fouad Laroui, que j’ai recruté à Khouribga et qui en parle tout le temps, doit être du même avis.

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  •  Le règne du Roi Mohammed VI est marqué par la Réforme, à tous les niveaux comme un credo. Je veux dire des réformes constantes qui se succèdent. Beaucoup sont menées avec succès mais d’autres se heurtent à des blocages : l’éducation, l’enseignement, la justice, le chômage endémique, la régionalisation, etc…Qu’en pensez-vous ?

– Il y a très longtemps que je suis convaincu que le vecteur essentiel des initiatives stratégiques dans notre pays est constitué par l’appareil monarchique. Je me rappelle ne pas avoir réellement compris, ni prêté suffisamment attention, aux premières initiatives royales en direction des communautés marocaines résidant à l’étranger. Aujourd’hui, je mesure à quel point cette politique volontariste et soutenue fait du Maroc un pays sans équivalent dans la communion autour de l’attachement à la mère patrie et les immenses avantages que le pays en reçoit. Voici une politique qui n’était pas demandée, qui n’était pas attendue, et dont l’équivalence est généralement absente dans le monde, et pourtant, elle constitue aujourd’hui un axe majeur de l’harmonie sociale marocaine, une caractéristique de la Pax Marocana, si vous m’autorisez le terme.

Je suis donc optimiste sur les autres chantiers que vous avez cités, malgré les corporatismes, les forces conservatrices, les barons profiteurs de l’économie informelle et les petits calculs des politiciens old school, les réformes finiront par se faire. Les énormes investissements de la nouvelle économie qui se précipitent sur notre pays, qui est là encore un des rares pays gagnants des restructurations économiques post covid et guerre d’Ukraine, vont par la force des choses impacter la vitesse des réformes et en premier lieu par la refonte des dispositifs de formation.

  •  Vous êtes un expert en politique territoriale, pourriez-vous nous éclairer sur la teneur de cette vision, ce qu’elle implique à présent, ses réussites et ses manquements voire ses échecs ?

– La régionalisation est pour moi, avant tout, une adaptation des différents espaces marocains à la mondialisation. Les régions sont le lieu de la spécialisation travaillée localement au profit des atouts des territoires. Loin de faire, comme certains contresens le répandent, de la régionalisation un outil de moyennisation des espaces régionaux avec pour but qu’ils se ressemblent tous, c’est la recherche et la mise en évidence des particularités qui doivent être effectuées, afin que les points de force soient accentués et les points de faiblesse réduits.

Je constate avec satisfaction que les Présidents actuels des Régions ont mieux compris que ceux de la première mandature qu’au lieu d’émietter les ressources des conseils régionaux, il valait mieux se concentrer à leur initiative sur des axes majeurs et localisés. Je déplore toutefois que les Conseils Régionaux ne se dotent pas encore suffisamment des instruments propres de connaissance détaillée de leurs espaces. J’ai conscience en disant cela de paraître trop catégorique mais je n’ai pas beaucoup de place ici pour détailler et adoucir ma réponse à votre question.

  •  Le réchauffement climatique est-il une inquiétude pour vous, quelle vision devrait-on en avoir ? Que peut et doit faire le Maroc ?

– Malheureusement, nous n’avons pas attendu le réchauffement climatique pour dilapider nos ressources hydriques non renouvelables. L’abaissement des nappes n’est pas dû qu’à la baisse de la pluviométrie. Je rappelle que la Palmeraie de Marrakech a été zone non aedificandi jusqu’en 1979 pour que les palmiers soient les seuls à pomper dans la nappe.

Le pouvoir répressif des contrôleurs de l’eau doit être effectif quant aux dizaines de milliers de puits clandestins et on se heurte là encore à l’économie informelle. Par contre, je suis sûr que la hausse des compétences techniques des agriculteurs marocains suite au plan Maroc Vert va leur permettre de s’adapter à une agriculture sèche qui va devenir de plus en plus technologique et performante.

Je finis avec deux remarques qui ne sont pas à la mode : Premièrement, la pression humaine sur des territoires de plus en plus arides va devenir intenable et au lieu de s’opposer à l’exode rural, il va falloir l’accompagner et l’anticiper et ne pas s’acharner à maintenir sur place des populations sans avenir durable. Deuxièmement, une fausse polémique s’installe sur les exportations agricoles marocaines qui seraient en compétition avec les productions destinées à la consommation locale. En fait, les productions à l’export ne représentent qu’une fraction négligeable des surfaces irriguées et il serait plus rationnel d’accepter une spécialisation des cultures par zone géographique afin de maximiser la plus-value agricole d’ensemble. Grâce au Plan Maroc Vert, le Maroc est devenu une puissance agricole et c’est un atout à conserver par une politique intelligente d’allocation des ressources en terres et en eaux.

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