Entretien avec Mohammed Kenbib, historien « Dar Tarikh El Maghrib », la mémoire vivante du passé réinventé et du futur planifié
Mohammed Kenbib est Professeur émérite de l’Université Mohammed V à Rabat. Docteur d’Etat de l’Université Paris I Panthéon – Sorbonne, il a été Professeur – Visiteur dans cette même Université et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris). Il a également enseigné à Oxford en qualité de Senior Associate Professor ainsi qu’aux Etats-Unis en tant que Fulbright Scholar in Residence, et donné des conférences dans d’autres grandes universités d’Europe et d’Amérique du Nord. Conseiller culturel à l’Ambassade du Maroc en Frances (1997-2001). Membre du conseil scientifique des Rendez -Vous de l’histoire du monde arabe (IMA, Paris). Spécialiste des relations judéo-musulmanes au Maroc.
Il a reçu les Distinctions honorifiques suivantes: Wissam de Chevalier de l’Ordre du Trône (2000); Wissam du Mérite National. Catégorie Exceptionnelle (1998) ; Médaille de la Ville de Paris (2008) . A l’occasion de la tenue jeudi 25 février de la présentation du grand livre «Pour une Maison de l’Histoire du Maroc», publié par l’Académie du Royaume aux éditions «A la Croisée des chemins», une grande cérémonie a réuni plusieurs personnalités, dont les historiens, des universitaires, la presse nationale, et des étudiants versés dans la discipline . Nous avons interrogé Mohammed Kenbib après cette cérémonie et publions ci-dessous les réponses qu’il nous a accordées.
MAROC DIPLOMATIQU : En octobre 2012 à Casablanca s’est tenu un colloque international pour lancer l’idée de Dar Tarikh El Maghrib. On peut commencer avec un mot sur ce colloque.
– Mohammed Kenbib : Avant de répondre à cette question et aux suivantes, je voudrais vous remercier de l’attention particulière que Le Maroc Diplomatique a accordée à la conférence de presse consacrée à l’ouvrage dans lequel sont réunis les Actes de ce colloque qui s’est tenu sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Le Secrétaire Perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, le Professeur Abdeljalil Lahjomri, qui en a assuré la publication était d’ailleurs, et il convient de le rappeler, présent à Casablanca lors de la séance inaugurale dudit colloque et a pris le temps d’en suivre divers panels.
Cette rencontre scientifique, organisée à l’initiative du Président du CNDH, Driss El Yazami, s’est inscrite dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation portant sur l’histoire.
MD : Quels ont été les principaux thèmes de cette rencontre ?
Que pouvez-vous nous dire sur le profil des intervenants ?
– M.K : Le sous-titre de l’ouvrage est explicite. Il indique «Histoire, culture, patrimoine». L’ouverture à la pluri-disciplinarité était l’un des principaux critères d’une telle rencontre. Outre des historiens (toutes périodes confondues), y ont effectivement participé des collègues relevant de disciplines telles que l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la sociologie, les sciences politiques, la littérature, les sciences du patrimoine, etc. Nous avons veillé également à ce que la présence féminine et celle de jeunes chercheurs soit assurée parmi les intervenants dans les diverses tables rondes. Celles-ci étaient parfois concomitantes en raison de la densité du programme et du nombre des contributeurs.
Au nombre de ces derniers figuraient des universitaires marocains et des collègues étrangers venus notamment des Etats-Unis, d’Europe et d’Afrique sub-saharienne. Des contacts ont été établis avec des chercheurs d’autres pays mais ils n’étaient pas disponibles aux dates fixées pour le colloque.
Je me dois de mentionner que les collègues venus des Etats-Unis et de France travaillent sur le Maroc en particulier et le Maghreb en général depuis plus de quarante ans. S’il faut citer des noms, je mentionnerai Lucette Valensi (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris), Edmund Burke III (Université de Californie, Santa – Cruz), Daniel Schroeter (Université du Minnesota, Minneapolis) et Jean-Robert Henry (CNRS, IREMAM, Aix-Marseille ; lequel avait organisé en 1998 une exposition entrant dans le cadre du Temps du Maroc en France). Leurs publications constituent autant de références incontournables dans le champ d’investigation qui est le leur. Certaines d’entre elles ont été traduites en arabe.
Les thèmes que les uns et les autres ont abordés à Casablanca sont en rapport avec leurs spécialités respectives et leurs travaux.
MD : L’ouvrage de référence que l’Académie vient de publier est un véritable plaidoyer pour une Maison de l’histoire du Maroc.
– M.K : Une telle publication et un tel plaidoyer s’imposent d’eux-mêmes en réalité. Ils répondent en effet à un «besoin accru d’histoire». Les considérations qui sous-tendent cette envie ou cette volonté de mieux connaître le passé, comprendre le présent et scruter l’avenir aussi sereinement que possible, dépassent le cadre strictement national. Il s’agit là d’un phénomène perceptible aux quatre coins de la planète, lié sans doute aux profondes mutations générées par l’accélération du rythme de la mondialisation, et la quête de repères identitaires et autres.
La situation créée par l’actuelle pandémie a accentué fortement cette tendance. Que les Japonais aient institué ces temps-ci un ministère de la Solitude est hautement significatif dans le cas d’espèce. Non moins significative est la fréquence de la référence du Président chinois au passé de son pays, à la grandeur de sa civilisation et aux dures épreuves qu’il a subies aux XIX-XXe siècles du fait des agressions et de l’expansionnisme de puissances impérialistes occidentales et du Japon.
Je voudrais indiquer à cet égard que, lors de la session annuelle consacrée en 2019 par l’Académie du Royaume à «l’Asie comme horizon de pensée», j’ai présentée une communication basée sur une approche comparative de l’évolution du Maroc et de la Chine entre 1840 et 1912.
MD : Comment expliquer cette demande sociale dans le cas spécifique de notre pays ?
– M.K : Les facteurs explicatifs sont nombreux. Il conviendrait sans doute de les situer dans le contexte général de l’approfondissement du processus démocratique. La mise en place de l’IER et ses recommandations portant sur l’histoire ont été déterminantes à cet égard. S’agissant d’histoire contemporaine précisément, l’un des jalons initiaux les plus importants a été l’élaboration, à la suite du discours du Trône de 2003, d’un bilan de l’évolution du Maroc de 1955 à 2005 et de la présentation, à l’occasion de la commémoration du Cinquantenaire de l’indépendance, des études thématiques et du rapport synthétique transversal réalisés à cet effet par une commission scientifique pluri-disciplinaire.
Ce travail pionnier pour ce qui est de l’histoire du Temps Présent représente une référence de premier ordre, je dirais même un modèle, en termes de rigueur et d’objectivité. Il a été supervisé par feu Abdelaziz Meziane Belfkih, conseiller royal, grand commis de l’Etat et ingénieur féru d’histoire.
MD : Dans la préface de ce livre, Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire Perpétuel de l’Académie du Royaume, affirme que ce projet est un projet défi. En quoi l’est-il ?
– M.K : C’est effectivement un grand défi en raison notamment de son envergure, de la diversité des attentes en matière d’histoire et de la complexité des modalités scientifiques et autres que requièrent les réponses appropriées qu’il convient d’apporter à la demande sociale. Celle-ci porte sur le passé tant lointain que récent.
Si l’on s’en tient à la dimension proprement historiographique, puisque la Maison est initialement conçue comme devant contribuer aussi à l’impulsion de la recherche et en être l’un des espaces de réflexion, voire d’écriture, les enjeux sont en effet de taille. L’une des premières étapes pourrait s’articuler, par exemple, autour de l’établissement d’une sorte d’état des lieux aussi exhaustif que possible. De même nature est la dimension didactique et pédagogique dont il faudrait définir de manière plus précise les critères, les contours et les modes d’interactivité.
Le défi est encore plus impressionnant quand on pense aux tentatives de remise en cause radicale dont l’Histoire, en tant que discipline scientifique, est l’objet et pas seulement par les interventions de nombreux non-spécialistes dans son champ d’investigation. Un «political scientist» américain, Francis Fukuyama, est allé d’ailleurs beaucoup plus loin. S’inspirant en partie de ce que Hegel avait écrit à propos du «moment où l’histoire culmine», il s’est attaché en à la fin des années 1980 à propager le concept de «la fin de l’histoire». Cette fin était associée, à ses yeux, au triomphe du libéralisme tel que le conçoit l’Occident, à la position quasi-hégémonique des USA sur la scène internationale à la veille de l’implosion de l’Union Soviétique, et à l’avènement de ce que ce membre du Service de planification du Département d’Etat et directeur du John M. Olin Institute for Strategic Studies, a imprudemment appelé «l’Etat universel homogène».
Avec l’émergence d’un monde multipolaire avant même que la Chine ne commence à se poser ouvertement en «challenger» aspirant à devenir la première puissance économique mondiale, Fukuyama, rendu encore plus célèbre avec un second ouvrage intitulé Le choc des civilisations paru en 1996, a dû, lui aussi, faire machine arrière et admettre en 1999 que l’histoire ne peut guère s’achever.
MD : Comment les historiens de métier réagissent-ils à de tels assauts ? Quelles sont leurs parades dans le cas d’espèce, au Maroc même et à l’étranger ?
– M.K : Un historien britannique éminent, Eric Hawsbawn, avait lancé voilà quelque temps un appel martial à la mobilisation au cri de «Aux armes historiens !» relayé par de grands médias d’Europe occidentale et des Etats-Unis. Nous ne pouvons, bien évidemment, que l’approuver en gardant présent à l’esprit le fait que toutes les remises en cause radicales de l’histoire ont échoué. Au XIV siècle déjà, Ibn Khaldoun a fait l’apologie de cette discipline après avoir surmonté le drame qu’a représenté pour lui la disparition de toute sa famille emportée en 1348 par l’épidémie dite de «la peste noire».
Il a été suivi en cela à une période plus récente par Marc Bloch, historien français et résistant fusillé par la Milice de Vichy en 1944. L’histoire a pour elle l’éternité. Elle reste imperturbable et finit toujours par rattraper tous ceux qui la distordent ou essaient de l’occulter.-Les historiens insistent souvent sur la tension entre leur discipline et la mémoire dans l’écriture de ce qui pourrait être qualifié de récit national…
La question de la mémoire ou des mémoires est effectivement plus qu’épineuse du point de l’historien. On en a un exemple manifeste ces temps-ci à l’étranger. L’allusion est ici à la mission confiée par le Président Emmanuel Macron à un historien français chargé de réfléchir aux moyens de réconcilier quelque peu les mémoires collectives des Français et des Algériens, pour ce qui a notamment trait à la colonisation et la guerre de libération (1954-1962) que le gouvernement de Paris s’est pendant longtemps refuser de qualifier en tant que telle, la réduisant à de «simples événements». D’ailleurs, en France même, les historiens de l’Hexagone ont, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et pendant les années suivantes, soigneusement évité de parler de la période de Vichy (1940-1944) ; «un passé qui ne passe pas», disait l’un de leurs collègues.
Pour davantage de clarté sur la question de la mémoire, il serait sans doute opportun de citer un grand spécialiste, Pierre Nora, qui a beaucoup travaillé sur la dynamique et les logiques respectives de l’histoire et de la mémoire :
«Histoire et mémoire, écrit-il, (sont loin) d’être synonymes… La mémoire est la vie, portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et les manipulations…. L’histoire est (quant à elle) la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus… L’histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique».
Une autre difficulté majeure réside dans ce qu’on appelle «le présentisme», c’est-à-dire, très schématiquement, la lecture du passé à travers les préoccupations et les grilles d’aujourd’hui.
MD : Qu’en est – il de la formation des historiens au Maroc ?
– M.K : Il serait difficile de généraliser. D’énormes différences existent entre la jeune génération qui est en train d’émerger et celle à laquelle j’appartiens et qui, il faut le préciser, n’a d’ailleurs elle-même rien d’homogène ou d’uniforme. Aujourd’hui, la recherche est relativement plus aisée. Les fonds d’archives sont a priori plus facilement accessibles. Les délais de consultation sont, aux termes de la loi de 2007, plus ou moins longs. Et quand les documents sont dans une langue autre que l’arabe, cela devient compliqué pour les monolingues.
En tout cas, s’agissant de l’histoire du Temps Présent, période considérée comme complexe, hautement sensible car nouvellement intégrée dans le champ historiographique, et où la distance chronologique entre le chercheur et son objet d’étude est insuffisante, un cycle Master et une formation doctorale ont été mises en place à partir de 2009-2010 à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Rabat avec le concours du CNDH et de son Président, Driss El Yazami. Les premiers mémoires réalisés par les étudiants et les thèses de doctorat soutenues, souvent avec «mention», sont plus que satisfaisants.
Les chercheurs ont en outre la possibilité de compléter ou de parfaire leur formation en suivant des séminaires et des conférences portant sur l’histoire organisés ailleurs. L’Académie du Royaume représente à cet égard précisément un espace privilégié. Elle associe régulièrement des doctorants à ses activités scientifiques et cultuelles. La part de l’histoire est, à titre d’exemple, de première importance dans ses sessions annuelles et ses colloques. Tel a été le cas dans les sessions dédiées à «L’Afrique comme horizon de pensée», «Modernité et modernités», «L’Amérique latine…», «L’Asie…» (notamment le Japon, la Chine et l’Inde), etc. Des cycles de conférences préliminaires, tout aussi instructives, précèdent de telles sessions et réunissent eux aussi des intervenants marocains et étrangers de haut niveau.
MD : Vous avez brièvement fait mention de la précédente génération, la vôtre, sans plus de détails. Au-delà des différences personnelles de profils, par quoi se distinguait-elle globalement ?
– M.K : Pour synthétiser, disons qu’au cours des années 1970-1980 et même 1990, nous étions des «autodidactes» dans une certaine mesure, c’est-à dire que nous nous sommes formés par nos propres moyens dans un environnement où l’accès aux archives était, pour le moins, plus que problématique. Il fallait aller en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour trouver des facilités et consulter le matériau ad hoc sans recommandations particulières. La maîtrise de langues étrangères nous a beaucoup servis, bien évidemment. Certains d’entre nous ont d’ailleurs soutenu leurs thèses de doctorat de 3e cycle et d’Etat en France, en Grande-Bretagne, en Belgique et en Amérique. De ce fait, ils ont eu la possibilité de côtoyer des chercheurs de renom et de se familiariser, directement pour ainsi dire, avec les méthodologies et les concepts les plus en pointe dans leur discipline. Je fais référence en disant cela à la Sorbonne, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris), à Oxford, Cambridge, Princeton et son Institut d’Etudes Avancées, Harvard, Berkeley etc…
Je rends personnellement hommage aux grands maîtres que j’ai eu la chance de connaître. Je citerai mon directeur de thèse à la Sorbonne, Jean Baptiste Duroselle, grand spécialiste des relations internationales, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques (Paris), et Président de la Commission des archives de la Deuxième guerre mondiale ; aux co-directeurs de ma thèse de 3e Cycle à Paris VII (Denis Diderot), Germain Ayache et René Gallissot ; à mes éminents professeurs Daniel Rivet, spécialiste de l’histoire du protectorat ; Pierre Guillen, autre spécialiste des relations internationales ; Lucette Valensi (EHESS), Abraham Udovitch, chef du Département des Middle East Studies à l’Université de Princeton…
Il convient de rappeler que la production universitaire en sciences humaines, sociales et économiques était foisonnante à l’époque au Maroc. L’accumulation réalisée en matière d’historiographie, par exemple, était telle que des professeurs étrangers de renom parlaient de «l’école de Rabat». Les gens de ma génération n’enseignent plus depuis quelques années déjà. Il fut espérer que le flambeau soit repris, dans la rigueur et les règles de l’art, par la génération montante. On en a des indices prometteurs.
L’espoir est que l’on continue à aller délibérément de l’avant. Le contexte d’aujourd’hui me fait penser à ce que Hannah Arendt disait dans un ouvrage consacré à «La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique» : «L’homme se tient sur une brèche, dans l’intervalle entre le passé révolu et l’avenir infigurable. Il ne peut s’y tenir que dans la mesure où il pense…».
MD : Comment éviter les écueils d’une patrimonialisation de l’histoire ?
– M.K : Il convient de relever que la civilisation, le patrimoine et la culture font partie intégrante de l’histoire dans sa globalité. Quoique placée sur un piédestal par ceux qui l’admirent et «les corporations» qui, de par le vaste monde, en font leur métier, cette discipline n’a absolument rien de statique et a fortiori de figé. Elle est dynamique sui generis. C’est un leurre que d’affirmer, par exemple, que «l’histoire se répète». Tout un chacun peut avoir cette impression mais la réalité est tout autre. Le contexte change constamment et inexorablement. S’y référer avant tout propos sur tels ou tels faits ou périodes représente une condition sin qua none en matière d’histoire. C’est ce qui a été amplement souligné pendant le colloque et rappelé avec force dans la conférence de presse organisée par l’Académie du Royaume.
MD : Un tel projet serait de nature à conforter la démocratie selon le Secrétaire Perpétuel de l’Académie, Monsieur Lahjomri ?
– M.K : Contribuer à aiguiser l’esprit critique, et particulièrement celui des générations montantes, représente l’un des moyens efficients d’atteindre cet objectif. Contrairement à la prévalence de l’impression ou de l’idée que l’histoire c’est d’abord des événements, des dates, des noms et des faits, l’histoire a en réalité pour fonction première une initiation au mûrissement de la réflexion sur la base de l’esprit critique. Lire, relire et disséquer des textes est l’un des exercices les plus formateurs et les plus passionnants en la matière. L’apprenant s’entraîne à ne pas rester passif devant ce qu’il lit, ce qu’il entend ou ce qu’on veut lui inculquer. En termes plus clairs, il réfléchit en termes de raison et de logique. C’est là manifestement l’un des moyens de contribuer à former, dès leur plus jeune âge, des citoyens conscients de leurs droits et de leurs obligations, au fait des réalités de l’histoire de leur pays, et du socle qu’elle a représenté et continue de représenter dans le façonnement de leur identité culturelle et nationale.
MD : Une telle institution serait donc mise au service de la citoyenneté et de la démocratie. Comment éviter les différentes formes de récupération politiques ou identitaires ?
– M.K : Dans le monde entier, les arènes politiques sont, à des degrés divers, ce qu’elles sont. L’instrumentalisation de l’histoire, à toutes sortes de fins, existe depuis fort longtemps. Elle continue d’avoir cours même dans les pays à fort ancrage démocratique. Gouvernements, partis, médias et associations en usent et en abusent. Populisme et démagogie en sont les grands gagnants, notamment en période électorale.
Toutefois, lorsque les Etats et d’autres instances ont en face d’eux des citoyens conscients de leurs droits et de leurs devoirs, et ayant en tête des repères, à la fois nationaux et internationaux, et s’y référent, il devient difficile pour les gouvernants et les acteurs politiques en général de ne pas en tenir compte.
A ce stade du projet de Maison de l’histoire, il convient, à mon sens en tout cas et dans la mesure où un historien ne peut pas s’aventurer à esquisser des perspectives, de commencer par faire montre d’optimisme. Un optimisme, disons, raisonné. Dans l’immédiat, nous sommes invités à lire ou relire l’ouvrage que l’Académie vient de publier, et à méditer le défi sur lequel son Secrétaire Perpétuel a insisté. Et ce, pour répondre à la demande d’histoire des citoyennes et des citoyens, en ne perdant pas de vue non plus le fait que l’histoire du Maroc est également l’objet d’une forte demande à l’étranger – et pas seulement dans les milieux universitaires. En tout cas, et ainsi que cela a été souligné à maintes reprises pendant la conférence de presse, ce projet est l’affaire de tous les Marocains.