Entretien: Mohamed Taoufik Adyel éclaire sur les enjeux du secteur énergétique au Maroc

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

Dans cet entretien, monsieur Mohamed Taoufik Adyel, Ex-Ingénieur Général et Conseiller de Ministres de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement du Royaume du Maroc, Conseiller et Expert International en Energie, Eau, Environnement et Développement Durable et membre de l’Académie française de l’Eau, livre son analyse de la stratégie énergétique du Maroc, lancée en 2009 avec des objectifs ambitieux à l’horizon 2030.

Monsieur Mohamed Taoufik Adyel nous explique pourquoi il est nécessaire de faire une évaluation à mi-parcours de cette stratégie et quels sont les principaux enjeux et défis à relever pour réussir la transition énergétique de notre pays. Il nous propose également des pistes de réforme et d’amélioration, en tenant compte de plusieurs aspects dont la valorisation des acquis et la correction des insuffisances, ainsi que l’adaptation de la stratégie énergétique aux évolutions du contexte national et international, la consolidation des réformes et la mise en place d’un cadre législatif approprié.

Maroc diplomatique : Pouvez-vous nous faire part de votre appréciation des conditions de mise en œuvre de la stratégie énergétique marocaine ?

Monsieur Mohamed Taoufik Adyel : Le Maroc connaît une réelle dynamique globale vertueuse de réformes majeures et un vaste chantier de programmes d’envergure entrepris sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, afin d’assurer un développement durable bénéficiant à tous nos concitoyens et à toutes les régions de notre pays, notamment dans les secteurs de l’Energie et de l’Eau.

Cette dynamique vient compléter les importantes réformes et mesures entreprises sur les plans économique et social afin d’assurer une croissance économique durable, de promouvoir l’emploi, de soutenir le secteur privé, d’accompagner les initiatives des jeunes, d’améliorer l’attractivité des investissements directs étrangers, de lutter contre la pauvreté et l’exclusion, de réduire les disparités régionales, de mieux intégrer le Maroc à l’économie mondiale et de renforcer son rôle et son rayonnement international, notamment en Afrique.

Notre secteur de l’Energie se trouve à un moment particulièrement important dans le processus que nous avons initié, conformément aux priorités de notre stratégie énergétique de 2009, en vue de la réalisation de projets majeurs et l’adoption de réformes ambitieuses nous permettant un développement accéléré des énergies renouvelables, une promotion volontariste de l’efficacité énergétique et une inscription accrue dans la dynamique de développement de la coopération internationale et d’intégration des marchés régionaux de l’énergie.

Ces projets et réformes permettront de lancer le Maroc dans la course vers l’objectif de la transition vers un système énergétique sûr, concurrentiel et à faible teneur en carbone, capable de s’adapter et de libérer les énergies requises pour ses propres modernisation et développement.

Compte tenu de l’impératif de veiller au suivi et à l’évaluation des actions entreprises depuis la mise en œuvre de la stratégie énergétique nationale de 2009 visant des objectifs à l’horizon 2030, il est nécessaire aujourd’hui d’effectuer une évaluation à mi-parcours de cette stratégie afin de mettre en exergue les acquis, les insuffisances et les retards et mettre en œuvre les éléments nécessaires pour l’actualisation et l’amélioration de ladite stratégie énergétique, qui devrait être plus intégrée plutôt qu’en silos.

Cette évaluation permettrait également de proposer les réformes structurelles nécessaires et les compléments requis afin : d’améliorer la gouvernance et le cadre institutionnel du secteur ; de renforcer la cohérence des politiques et les capacités de convergence des stratégies sectorielles ; de contribuer au développement durable de notre pays et à son rayonnement aux niveaux africain et international ; de mettre en œuvre un cadre législatif, réglementaire et incitatif attrayant, cohérent, clair et stable, procurant la visibilité nécessaire aux opérateurs et investisseurs ;  d’accélérer la réalisation des projets de développement des énergies renouvelables et de donner une impulsion forte à la promotion de l’efficacité énergétique.

Enfin, cette évaluation permettrait de renouveler le plein engagement des pouvoirs publics et des acteurs du secteur énergétique, ainsi que des collectivités territoriales, pour gravir les marches restantes, afin de : relever les défis de la décarbonation et de la transition énergétique et écologique, avec détermination et ambition ; dégager des perspectives d’amélioration, d’augmentation et d’accélération ; fixer un nouveau cap pour l’action ; prendre en considération les impératifs et les interactions du Nexus : Energie-Eau-Climat-Environnement-Alimentation.

A ces égards, compte tenu de l’implication d’acteurs multiples dans le développement du secteur énergétique, il est également très souhaitable d’adopter une approche inclusive en organisant un débat national aussi large que possible sur les conditions, les enjeux et les perspectives de développement de ce secteur, auquel devraient participer tous ces acteurs, y compris la société civile et les citoyens.

Que pensez-vous des conditions de développement des énergies renouvelables au Maroc ?

En 2023, les énergies renouvelables ont représenté près de 41 % de la capacité électrique installée au Maroc, contribuant à près de 20 % du mix énergétique total.

Selon ses engagements climatiques au niveau international, le Maroc devrait faire passer la part des énergies renouvelables dans la puissance électrique installée totale à 52% à l’horizon 2030 (solaire : 20% ; hydroélectricité : 20% ; éolien : 12%).

La puissance électrique d’origine renouvelable en cours d’installation par MASEN est actuellement de près de 3.6 GW.

Quant à lui, le groupe OCP vise l’installation d’une puissance de près de 5 GW d’énergies renouvelables à l’horizon 2027.

Parallèlement à la réalisation de ces projets de grande envergure, le secteur privé contribue également aux efforts d’installation de centrales utilisant les énergies renouvelables, conformément aux dispositions de la loi 13-09 et à son amendement par la loi 40-19.

En dépit de cette dynamique, l’accélération de notre transition énergétique requiert de relever quelques défis, notamment liés au cadre législatif et réglementaire.

Il s’agit en particulier de l’accélération de l’adoption des décrets d’application de la loi 82-21 relative à l’autoproduction d’énergie électrique et de l’intégration dans ces textes de dispositions permettant, notamment, de promouvoir l’autoproduction d’électricité verte et de mieux préserver les intérêts du grand nombre d’auto-producteurs existants et potentiels, particulièrement dans les secteurs résidentiel et industriel.

En particulier, cette orientation permettrait d’adopter des dispositions réglementaires et fiscales plus incitatives pour le développement de l’autoproduction électrique verte : simplification des procédures de mise en œuvre des projets ; mesures incitatives pour l’acquisition des équipements et pour la vente de l’excédent injecté dans le réseau ; abaissement des droits de douane pour l’importation des batteries pour le stockage, en attendant la mise en place d’industries locales de fabrication de ces équipements ; accentuation de l’effort de baisse de la TVA sur l’ensemble des équipements requis.

En outre, cette orientation permettrait d’autoriser les auto-producteurs verts à injecter leur excédent dans le réseau, avec rémunération juste et incitative, au-delà du seuil maximum actuel de 20% de leur autoproduction annuelle.

En optant pour des dispositions d’ouverture de la Basse Tension et de la Moyenne Tension, nous permettrons aux énergies renouvelables d’irriguer le territoire national et aux auto-producteurs de contribuer à l’atteinte de nos objectifs en termes de : développement des énergies renouvelables ; engagements climatiques internationaux du Maroc ; réduction de notre dépendance énergétique ; décarbonation de notre économie ; mise effective des énergies renouvelables au service d’un grand nombre de ménages et d’industries.

Par ailleurs, cette ouverture favoriserait également la promotion d’emplois verts, dans la mesure où elle permettrait de créer plus de 30.000 emplois, notamment pour des techniciens, selon les estimations d’une étude récente.

Quelles sont selon vous les conditions de maîtrise des consommations énergétiques au Maroc ?

La promotion de l’efficacité énergétique est un axe prioritaire de notre stratégie énergétique. Elle constitue avec le développement des énergies renouvelables les deux jambes de notre ambition de transition énergétique et devrait recevoir toute l’attention qu’elle mérite.

Or le potentiel de gain en efficacité énergétique est important : plus de 15 %/an. Mais ce potentiel est considérable lorsqu’on l’évalue de manière dynamique, dans la mesure où le Maroc est un pays en pleine construction (notamment en matière de logements, d’infrastructures, d’industries, d’hôtels, de mobilité, etc.) et que les gisements d’économie dans des équipements neufs naissants sont encore plus importants.

Aussi devons-nous changer entièrement de paradigme et mener une politique volontariste d’envergure d’efficacité énergétique.

Notre Plan d’Action ambitieux dans ce domaine devra intégrer une vision beaucoup plus globale et intégrer l’ensemble des principaux secteurs consommateurs d’énergie, notamment l’industrie, le transport, l’habitat et l’hôtellerie.

En outre, ce Plan d’Action devra ratisser large et faire appel à un ensemble de mesures, particulièrement en matière : d’exemplarité ; d’éducation, de sensibilisation et d’incitation ; de formation ; de législation et de réglementation, notamment, en veillant à la mise en œuvre la plus large possible de la disposition de la loi sur l’efficacité énergétique qui instaure des audits obligatoires et périodiques pour les gros consommateurs d’énergie au-delà d’un certain seuil de consommation, qui gagnerait à être arrêté définitivement au plus vite ; de normes et de standards ; de mécanismes innovants de financement (tiers-investisseur avec implication de tout l’écosystème financier national (banques ; assurances) et recours à un système national performant de mesure et de vérification des économies réalisées ; financements verts internationaux ; etc.).

Que pensez-vous des efforts de décarbonation entrepris par les pouvoirs publics ?

Le Maroc s’est doté d’une Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ambitieuse qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050.

L’ambition de la SNBC s’articule principalement autour de : l’accélération du développement des énergies renouvelables ; une forte promotion de l’efficacité énergétique ; la promotion de villes durables sobres et intelligentes ; le développement d’une agriculture et d’écosystèmes forestiers durables, climato-intelligents et résilients.

De ce fait, l’énergie occupe une place primordiale dans la trajectoire de neutralité carbone de développement et d’émissions nationales à l’horizon 2050.

En particulier, la SNBC est parfaitement en ligne avec le chantier prioritaire et colossal de décarbonation que nous avons entrepris afin de faire face aux exigences climatiques de l’Union Européenne qui a instauré une taxe sur le contenu en carbone à ses frontières, qui devrait concerner plus de 70% de nos exportations.

L’ampleur des efforts que nous devrons déployer est d’autant plus grand que nous partons d’une part prépondérante du charbon dans la production de notre électricité (67 %), qui situe notre contenu en carbone à un niveau particulièrement élevé (quelques 700 gCO2/kWh, alors que les pays de l’UE sont à moins de 100 gCO2/kWh).

Nos efforts de décarbonation devront viser aussi bien notre mix énergétique que l’ensemble de nos principaux secteurs consommateurs d’énergie, notamment notre industrie.

La stratégie de décarbonation de nos zones d’accélération industrielle, en cours d’élaboration, et les actions qui en découleront, notamment relatives à l’utilisation d’énergies alternatives, dont les énergies renouvelables et le gaz naturel, l’accroissement de la sobriété énergétique et la mise en œuvre de solutions technologiques innovantes, ainsi que l’approche intégratrice qu’elle préconise, revêt une dimension d’exemplarité particulièrement inspirante.

A cet égard, je voudrais également souligner l’action louable entreprise par certains grands groupes industriels nationaux : stratégie de neutralité carbone de l’OCP à l’horizon 2040 ; feuille de route de l’industrie cimentière ; industrie métallurgique ; etc.

Comment évaluez-vous les conditions de développement du gaz naturel dans notre mix énergétique ?

Grâce à sa faible teneur en carbone, sa souplesse d’utilisation et sa polyvalence, le gaz naturel devrait être un élément essentiel de notre mix énergétique, de notre stratégie de transition énergétique et de notre chantier de décarbonation.

En outre, le gaz naturel permettra une plus grande pénétration des énergies renouvelables, intermittentes, dans le réseau et apportera plus de stabilité et d’efficacité au système électrique national.

Par ailleurs, le gaz naturel permettra d’améliorer les performances de certaines industries, notamment grâce aux opportunités qu’il procure pour le recours à la cogénération (production simultanée d’électricité et de vapeur), d’une part, et offrira, à terme, une énergie souple et performante pouvant irriguer le secteur résidentiel, d’autre part.

D’importants efforts ont été déployés durant les quelques dernières années pour le développement du gaz naturel au Maroc : processus d’élaboration d’un Code gazier et d’un Plan de développement gazier, notamment.

L’aboutissement retardé de ces prérequis n’a pas permis jusqu’à présent d’intégrer suffisamment le gaz naturel dans notre mix énergétique et de bénéficier des multiples vertus qu’il aurait pu procurer tant pour notre système énergétique que pour nos secteurs industriel et résidentiel.

Une feuille de route pour le développement du gaz naturel, en cours d’élaboration par les Pouvoirs Publics, constitue un espoir pour remédier à ce retard, dans la mesure où elle permettra, en particulier, de mettre en œuvre un véritable marché gazier, de développer une infrastructure gazière durable et d’intégrer des perspectives d’accès à long terme du Maroc à l’hydrogène.

Parallèlement à la mise en œuvre de cette feuille de route, je voudrais souligner l’impératif majeur d’élargir au gaz naturel les compétences de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité, s’agissant de deux industries de réseau qui fonctionnent pratiquement de la même manière.

Quelles sont les actions que les villes marocaines doivent mener afin d’assurer un développement énergétique durable ?

Le Maroc connait une urbanisation galopante (près de 70 % de citadins prévus à l’horizon 2030), principalement dans les villes du littoral, et qui s’accompagne d’une dégradation environnementale grandissante : conséquences attendues du dérèglement climatique ; perte massive des terres agricoles de bonne qualité et de la biodiversité ; dégradation continue des sols et des ressources naturelles ; déficit de gestion des arrière-pays ; pollution des eaux souterraines ; insuffisance de l’accès à une eau potable de qualité et à des services d’assainissement ; gestion inappropriée des déchets ; impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine ; absence d’un réseau de transports adéquat ; développement insuffisant de l’inter-modalité.

Cette problématique urbaine est l’un des enjeux les plus lourds, les plus écrasants et les plus immédiats auxquels nous devons faire face en ce début du 21ème siècle.

Notre ambition et notre action pour assurer un développement urbain durable doivent être à la hauteur de ces enjeux.

Le véritable combat pour la durabilité doit avoir lieu dans nos villes. Celles-ci doivent conduire des politiques territoriales écologiquement responsables, être des acteurs majeurs de la transition énergétique du pays et entreprendre des programmes intégrés, afin d’agir sur l’ensemble des leviers dans plusieurs secteurs : urbanisme, habitat, transport et services publics d’eau, d’assainissement, d’énergie et de déchets.

Nos villes de plus de 50.000 habitants devraient accompagner leurs documents d’urbanisme de Plans d’Action Climat-Energie Durable intégrant des actions à plusieurs niveaux : bâtiments économes en énergie ; modernisation de l’éclairage public ; gestion intégrée et optimisée avec valorisation énergétique des déchets ; énergies renouvelables pour les besoins des services communaux ; mobilités urbaines durables ; rationalisation du patrimoine communal ; charte de bonne gestion énergétique communale.

Mais une réalisation réussie de tels Plans d’Action suppose des prérequis incontournables : une planification urbaine appropriée ; une démarche centrée sur l’exemplarité ; des actions de sensibilisation et d’éducation visant un changement radical des comportements (notamment par l’organisation de campagnes régulières ciblées et la mise en place dans nos villes de Points Info Energie) ; le renforcement des compétences des ressources humaines des communes urbaines ; des Partenariats Public-Privé ; et le recours à des financements internationaux, notamment liés à la lutte contre le changement climatique.

En outre, la mise en œuvre desdits Plans d’Action devrait tirer profit d’une mise en réseau de nos villes aux niveaux national et international, permettant de partager les expériences réussies et les bonnes pratiques, ainsi qu’une implication accrue dans des réseaux de coopération et de solidarité internationaux et décentralisés (jumelages ; Cités et Gouvernements Locaux Unis ; etc.).

A cet égard, l’adhésion des villes marocaines à la Convention des Maires, qui exige l’adoption préalable dudit Plan d’Action, leur permettrait de bénéficier d’une évaluation régulière des objectifs atteints, particulièrement en matière de sobriété énergétique, de recours aux énergies renouvelables et d’émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, nos villes gagneraient à participer à des compétitions internationales afin d’obtenir des trophées et des distinctions impliquant des remises en question permanentes, une évaluation à l’international et des comparaisons avec d’autres villes à haut niveau d’exigence énergétique et écologique.

Que pensez-vous des actions entreprises afin d’assurer la régulation et le bon fonctionnement d’un marché énergétique national désormais ouvert ?

Le cadre législatif du secteur des énergies renouvelables (loi 13-09) permet l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité verte (production ; réalisation de lignes directes de transport ; commercialisation ; export).

Afin d’accompagner ces mutations profondes, de contribuer au bon fonctionnement d’un marché électrique désormais ouvert, d’accroitre l’attractivité du secteur pour les investisseurs privés et de s’intégrer progressivement au marché européen de l’énergie, le cadre législatif a été renforcé par l’adoption de la loi 48-15 relative à la régulation de l’électricité. Cette loi prévoit : l’adoption des principes nécessaires à la régulation, notamment ceux régissant la gestion du réseau électrique national de transport et des réseaux électriques de distribution ; la mise en place d’une Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité (ANRE).

L’ANRE devrait occuper une place centrale pour la mise en œuvre et le développement harmonieux et durable d’un secteur électrique ouvert et libéralisé et, plus généralement, pour une transition énergétique et écologique réussie de notre pays.

Cette Autorité, qui est en charge de missions aussi complexes qu’indispensables, devra se mobiliser avec rigueur, compétence et sens de l’intérêt général afin de : fixer dans les règles de l’art les tarifs d’accès des tiers au réseau électrique national de transport et aux réseaux électriques de distribution ; veiller à l’équilibre permanent entre l’offre et la demande en énergie électrique et évaluer le programme pluriannuel des investissements relatifs au réseau électrique national de transport et aux interconnexions ; veiller au règlement des différends entre les acteurs du marché, incluant les questions d’accès des tiers aux réseaux et les différends transfrontaliers.

L’action de l’ANRE devrait également  garantir la protection du consommateur et le service universel, en collaboration avec les autres institutions en charge de la protection des consommateurs vulnérables, de la concurrence et de la lutte contre la fraude.

Par ailleurs, cette Autorité devrait également surveiller les marchés, avec pouvoirs d’enquête et de sanction, afin de : garantir la concurrence et le fonctionnement efficace et équitable du marché ; éviter tout abus de position dominante, particulièrement au détriment des consommateurs, et les pratiques et comportements anticoncurrentiels, en collaboration avec les autorités nationales de concurrence habilitées à connaître de ces questions.

Par son action, l’ANRE devrait contribuer à accélérer notre transition énergétique et écologique en : encourageant le déploiement résolu des énergies décarbonées ; favorisant la maîtrise de la consommation énergétique dans les mécanismes de régulation des marchés et des réseaux.

Afin de faire face à l’ensemble de ses missions, l’ANRE devra veiller au respect de ses valeurs et exigences premières que sont : son indépendance (juridique et financière), sa transparence et son impartialité.

En fait, la loi sur la régulation de l’électricité est venue combler une grande lacune du paysage énergétique national dans la mesure où l’ANRE est pratiquement la dernière-née des Autorités de Régulation énergétique de l’espace euro-méditerranéen.

Néanmoins, je voudrais souligner deux insuffisances de la loi sur la régulation de l’électricité : d’une part, cette loi n’intègre pas toutes les dispositions universellement reconnues et mises en œuvre en la matière ; d’autre part, l’étendue des compétences de l’ANRE se  limite, pour le moment, au secteur de l’électricité, alors que dans la quasi-totalité des pays du monde, notamment dans les pays de l’UE et les pays méditerranéens, une seule et même autorité de régulation est en charge au moins des secteurs de l’électricité et du gaz naturel.

Que pensez-vous de l’opportunité d’introduire l’électronucléaire dans le mix énergétique de notre pays ?

L’énergie nucléaire pourrait s’inviter à l’avenir comme une option intéressante dans le mix énergétique de notre pays.

Néanmoins, l’introduction de l’électronucléaire ne semble pas opportune à court et moyen termes pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, je voudrais évoquer la taille encore insuffisante du réseau électrique national et l’impératif de tenir compte du critère de ratio maximum admis de la puissance de l’unité nucléaire introduite par rapport à la puissance électrique totale installée, sachant que les puissances des unités nucléaires standards s’élèvent à 1300-1600 MW, notamment pour la filière PWR (pressurized water reactor), qui est de loin la filière la plus répandue à travers le monde.

Par ailleurs, le recours à l’électronucléaire dans un pays exige l’introduction d’un parc de centrales nucléaires plutôt qu’une unité nucléaire isolée. Cette contrainte est accentuée lorsqu’on pense à l’investissement particulièrement lourd requis pour une centrale nucléaire.

En ce qui concerne le combustible, je voudrais souligner la non pertinence de l’argument avancé selon lequel le Maroc pourrait utiliser l’uranium contenu dans ses phosphates, dans la mesure où des gisements considérables d’uranium à ciel ouvert existent de manière très compétitive à travers le monde (Kazakhstan ; Canada ; Australie ; Namibie ; ….), d’une part, et la dépendance attendue du Maroc pour le cycle du combustible nucléaire (technologie d’enrichissement de l’Uranium que détient un nombre très restreint de pays ; gestion à très long terme des déchets nucléaires), d’autre part.

Par ailleurs, une contrainte supplémentaire réside dans le retour d’expérience relativement insuffisant pour les réacteurs de petite taille destinés aux pays en développement.

Enfin, je voudrais relever le niveau d’exigence très élevé requis tant en matière de sûreté nucléaire que de compétences des ressources humaines durant toute la durée de vie d’un réacteur nucléaire.

Quelle est votre appréciation des actions entreprises en matière de Recherche-Développement-Innovation dans notre secteur énergétique ?

Au-delà de leur contribution à satisfaire nos besoins énergétiques futurs, tout en les optimisant, les projets de développement d’énergies alternatives et ceux visant une sobriété énergétique accrue nous permettront de maîtriser l’utilisation des technologies de valorisation des ressources énergétiques renouvelables et d’être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique.

A cet égard, il convient de souligner le caractère stratégique, innovant et moteur de l’action menée par l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Energies Nouvelles (IRESEN) qui permet de consolider et de mettre en réseau nos capacités de recherche et de développement sur des thèmes ciblés, notamment liés au développement et à l’industrialisation de solutions et de filières technologiques innovantes pour le secteur de l’énergie.

Par ailleurs, il me semble pertinent de développer des technopôles permettant d’associer des entreprises innovantes, notamment internationales, des centres de recherche et des institutions de formation, engagés dans une démarche partenariale afin de dégager des synergies autour de projets innovants, particulièrement en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique.

Que pensez-vous des efforts déployés par les pouvoirs publics afin de renforcer les compétences humaines en accompagnement au développement de notre secteur énergétique ?

Plusieurs actions sont menées par les pouvoirs publics afin de renforcer les compétences humaines, indispensables au développement de notre secteur énergétique.

Parmi ces actions, je voudrais souligner toute l’importance des formations dispensées par nos Instituts de Formation aux Métiers des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique (IFMEREE d’Oujda, de Tanger et de Ouarzazate), dont la création avait été actée par la signature devant Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, lors des 2èmes Assises de l’Energie, tenues en 2011 à Oujda, d’une Convention entre trois organismes du secteur de l’Energie (ONE ; ADEREE ; MASEN) et deux associations professionnelles concernées (FENELEC ; FIMME).

Outre leur formation, les Départements concernés devraient accompagner les lauréats de ces Instituts afin de les intégrer au marché et de les aider à créer leur propre entreprise pour ceux qui le souhaitent : incubation ; accompagnement technique et financier des Start up ; soft skills ; etc.

Que pensez-vous de la décompensation envisagée du butane ?

La subvention du butane constitue un fardeau particulièrement lourd pour le budget de l’Etat.

En outre, cette subvention envoie un signal inapproprié au consommateur, induisant une utilisation non rationnelle et de mauvais arbitrages. De ce fait, cette subvention va à l’encontre du développement des énergies alternatives, notamment renouvelables.

Enfin, cette subvention bénéficie surtout aux ménages aisés dans la mesure où ils consomment les plus grandes quantités de butane.

En conséquence, il est particulièrement indiqué de procéder à la suppression progressive de cette subvention, tout en octroyant des aides ciblées aux ménages les plus démunis.

A cette fin, il convient de s’inspirer des approches réussies qui ont été adoptées par certains pays en développement pour supprimer les subventions des produits énergétiques.

Quel regard portez-vous sur les opportunités de renforcement de la coopération du Maroc avec les autres pays africains dans le secteur énergétique ?

Le secteur énergétique africain fait face à plusieurs défis : situation énergétique contrastée, dans la mesure où les ressources potentielles sont considérables mais non exploitées ; mix énergétique peu diversifié avec prédominance de la biomasse.

Par ailleurs, la plupart des pays africains souffrent d’un accès insuffisant à une énergie moderne, abordable et fiable, particulièrement pour les tranches à faible revenu de leur population :  près de 650 millions de personnes n’ont pas encore accès à l’électricité en Afrique subsaharienne ; le taux moyen d’électrification global de la population africaine s’élève à peine à 40 %, dépassant 50 % dans seulement 19 pays ; le taux d’électrification rurale de l’Afrique est d’à peine 23 % et est inférieur à 5 % dans au moins 17 pays.

De nombreuses actions et initiatives internationales ont déjà été menées, en appui aux efforts des Etats, pour réduire la pauvreté énergétique africaine.

Par ailleurs, les pays africains doivent impérativement améliorer la gouvernance et le cadre législatif et réglementaire de leur secteur énergétique afin d’attirer le financement privé et faire face à l’ampleur des investissements requis.

Le Maroc accompagne déjà depuis plusieurs années une quinzaine de pays africains pour le développement de leur secteur énergétique, particulièrement dans le domaine de l’électricité : assistance technique, études et développement d’infrastructures électriques (centrales de production ; réseaux de transport et de distribution ; électrification urbaine ; éclairage public) ; développement de Systèmes d’Informations ; formation et gestion des ressources humaines.

Cette contribution devrait se développer davantage et se matérialiser à plusieurs niveaux, permettant de partager l’expertise et l’expérience acquises par le secteur énergétique marocain.

Parmi les domaines potentiels d’accompagnement du Maroc, je voudrais citer en particulier l’amélioration de la gouvernance du secteur énergétique, notamment par la mise en œuvre des éléments importants suivants : stratégie énergétique appropriée ; dispositif institutionnel optimisé ; cadre législatif et réglementaire clair, cohérent, stable et incitatif ; conditions requises pour l’édification de marchés énergétiques nationaux et régionaux.

Un autre champ particulièrement crucial est le développement de l’accès à l’électricité.

L’expérience marocaine d’électrification rurale a été une réussite totale : taux d’électrification rurale : 18 % en 1996 – 98 % en 2012 et 99.9 % aujourd’hui ; population bénéficiaire : 12,8 M hab.

Cette expérience est déjà partagée avec quelques pays africains (contrats de concession d’électrification rurale dans deux régions du Sénégal et projets au Mali, au Tchad et au Niger) et pourrait être mise à la disposition d’autres pays africains.

L’accompagnement du Maroc pourrait également concerner : la valorisation du potentiel considérable d’énergies renouvelables par la mise en œuvre de programmes ambitieux intégrant les aspects technique, institutionnel, législatif, réglementaire, incitatif et financier, et faisant appel à tous les acteurs concernés ; la mise en œuvre d’une politique volontariste d’efficacité énergétique, intégrant la mise en œuvre d’institutions dédiées, dotées des compétences humaines adéquates, d’un dispositif législatif, réglementaire et incitatif approprié et de mécanismes de financement novateurs (Tiers-investisseur ; finance verte ; …).

Par ailleurs, l’accompagnement du Maroc pourrait consister en le renforcement des compétences humaines des pays africains en les faisant bénéficier des infrastructures relativement développées au Maroc pour la formation des techniciens dans les métiers de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables (notamment les IFMEREE d’Oujda, de Tanger et de Ouarzazate).

Enfin, l’accompagnement du Maroc pourrait contribuer au renforcement de la coopération régionale et au développement des Power Pools régionaux, notamment celui de l’Afrique de l’Ouest, permettant la mise en œuvre effective de marchés régionaux intégrés de l’énergie.

En effet, je voudrais souligner le caractère pertinent, prioritaire et stratégique de l’intégration régionale des marchés de l’énergie dans la mesure où elle permet de : sécuriser les approvisionnements ; développer les échanges transfrontaliers ; mutualiser les efforts pour optimiser le développement des infrastructures requises, notamment les centrales électriques ; bénéficier des complémentarités entre mix énergétiques ; promouvoir les projets d’énergies renouvelables.

A ce jour, cinq organisations énergétiques régionales sont en place en Afrique (Power Pools), permettant de tirer profit des avantages d’une intégration régionale des marchés de l’énergie : Afrique australe (le plus avancé) ;  Afrique de l’Ouest (en cours de développement) ;  Afrique centrale ;  Afrique de l’Est ;  Comité Maghrébin de l’Electricité (COMELEC), actuellement à l’arrêt alors que sa création avait précédé celle des trois autres commissions thématiques mises en œuvre lors de l’avènement de l’UMA afin de renforcer la coopération énergétique maghrébine (industrie pétrolière ; planification énergétique et maîtrise de l’énergie ; énergies renouvelables).

Le projet de Gazoduc Africain Atlantique Nigéria-Maroc contribuera à la mise en œuvre d’une interconnexion gazière au sein des pays de la CEDEAO.

En outre, ce gazoduc d’environ 5.600 km, qui longera la côte ouest-africaine depuis le Nigeria, en passant par 11 pays jusqu’au Maroc et qui disposera d’une capacité maximale de 30 Md m3/an, permettra de fournir quelques 18 Md m3/an aux pays européens.

Ce gazoduc, qui favorisera l’électrification et la satisfaction des besoins en gaz naturel des pays traversés, sera relié au Gazoduc Maghreb-Europe et au réseau gazier européen. Il permettra également d’alimenter les Etats du sahel (Niger, Mali, Burkina Faso et Tchad).

L’importance de l’accompagnement du Maroc de l’énergie des autres pays africains, tant en matière de gouvernance, que d’accès à l’électricité, de développement des énergies renouvelables, de promotion de l’efficacité énergétique, de renforcement des compétences humaines et de développement de marchés régionaux intégrés de l’énergie, est parfaitement en ligne avec : la volonté du Maroc de renforcer sa coopération avec les pays de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; le lancement par le Maroc de l’Alliance Atlantique Africaine ; l’Initiative Royale en faveur de l’accès des Etats du Sahel à l’Atlantique ; le rôle de 1er plan que le Maroc devrait jouer en contribution à la réalisation des objectifs de développement durable de l’Afrique (vision 2063) sous l’égide de l’Union Africaine.

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