Essaouira, la mariée de l’Atlantique aux mille et une saveurs

Anciennement appelée «Amogdul» (la bien gardée) ou encore «Mugadur» – tout proche de «Mugadir» qui signifie en berbère «la remparée», ou «celle au rempart», d’où l’origine du nom de Mogador-, Essaouira (la bien dessinée) trône sur la côte atlantique, dans un bel écrin de nature. La «ville du vent» émerveille non seulement par sa beauté naturelle et brute à la fois, ses forêts, ses dunes, ses lacs, son océan et sa côte sauvage mais aussi par sa culture et ses arts bercés par un climat doux, toute l’année. Bâtie sur une presqu’île rocheuse, en face s’érigent les Iles de Mogador protégeant la baie et le sable fin de la splendide plage contre les vagues fortes de l’Atlantique et abritant les faucons d’Eléonore, les goélands et les mouettes qui animent le ciel bleu de cette magnifique réserve naturelle. Au loin, les adeptes du surf, windsurf et kitesurf ne se lassent pas de la qualité du vent qui embrasse les lieux au cachet si particulier. Du cœur du cocon fait de murailles qui cernent la cité d’Alizé tel un joyau, la ville, où le bleu et le blanc règnent en maîtres, invite à un voyage envoûtant, hors du temps et de l’espace, entre ses remparts séculaires, ouvrages d’art et de défense. Au détour de chacune des ruelles parsemées de maisons consulaires, le visiteur a rendez-vous avec l’Histoire, un élément du patrimoine ou encore une galerie vouée à l’œuvre d’artistes qui sortent de l’ordinaire.

Histoire d’une forteresse

Dans le but de s’ouvrir sur l’Europe et sur le monde afin de développer le commerce international, Mohammed Ben Abdellah alors califat de la vice-royauté de Marrakech, propose à une compagnie danoise de s’installer dans l’îlot de Mogador, en 1751. Et c’est en 1757 alors qu’il devient Sultan, après la mort de son père, qu’il fait de Marrakech sa capitale et décide de fonder Essaouira pour disposer d’un port accessible, à longueur d’année. La médina fortifiée, telle qu’elle existe aujourd’hui, est l’œuvre de Théodore Cornut, un spécialiste français qui avait été employé par Louis XV pour la construction des fortifications du Roussillon. Son inspiration est puisée dans la forteresse de Saint-Malo et fait réaliser son plan par des prisonniers français, pris lors de la défaite de Larache. La ville est alors organisée en damier et l’enceinte qui étreint la cité rappelle le style Vauban dont il était le disciple. D’ailleurs, le plan original du port et de la Kasbah est conservé à la bibliothèque nationale de France à Paris. Force est de rappeler que la médina d’Essaouira est donc la seule médina du Maroc construite sur plan. Aussi la fameuse Scala est-elle bâtie avec des fortifications installées dans la baie, en plus des batteries de canons à feux croisés, selon les normes de l’architecture militaire européenne de l’époque tout en respectant, toutefois, les principes de l’architecture et de l’urbanisme arabo-musulmans. Depuis, reliant le Maroc et l’Afrique subsaharienne à l’Europe et au reste du monde, elle a été le premier port incontestable de commerce international, des siècles durant. Et c’est d’ailleurs par Mogador, ou le port de Tombouctou, que le thé est introduit au Maroc au XVIIIe siècle. De facto, durant le règne du Sultan, Mogador prend son essor et connaît son âge de gloire en devenant la capitale diplomatique du pays, entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle. Et comme les belles choses ne durent pas, la ville commence à se détériorer, considérablement, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. En 1799, assaillie par une violente épidémie de peste qui emporte environ 4.500 personnes, la ville voit partir ses chrétiens. Par la suite, il y a eu le bombardement dont elle fait l’objet, en 1844, avant qu’elle ne se dégrade encore plus, sous le protectorat français.

 Histoire juive de la ville

Pour établir des relations avec l’Europe, le Sultan se sert de la communauté juive qui fut baptisée «Toujjar assoultane» (marchands du Sultan). Ils rempliront alors le rôle d’intermédiaires entre lui et les puissances étrangères. Ainsi, pour alester la Kasbah devenue trop peuplée, le Sultan Slimane Ben Mohammed ordonne la construction du mellah, en 1807 afin d’y installer tous les Juifs de la ville dont le nombre dépassait, à l’époque, celui des musulmans. Malheureusement, Essaouira se verra quitter par ses juifs, vers les années 1940 et 1950 pour aller principalement en Israël mais aussi en France, au Canada et aux États-Unis, avant la guerre des Six jours, qui provoquera un départ massif, en 1967. Aujourd’hui, au mois de septembre, les juifs du monde entier viennent se recueillir sur la tombe du rabbin Chaim Pinto, enterré à Essaouira. Une occasion pour les descendants des anciens résidents qui viennent, imprégnés de nostalgie, fouler la terre des ancêtres et découvrir leurs origines. Pour l’anecdote, le général Vichy aurait demandé à Feu le Roi Mohammed V, pendant la seconde guerre mondiale, combien de juifs vivaient au Maroc, et la réponse du Monarque ne s’est pas fait attendre : «Je n’ai pas de juifs mais que des Marocains». Preuve s’il en faut, les deux cimetières juifs et leurs tombes qui s’ancrent dans la terre d’Essaouira pour témoigner de plusieurs générations juives dans la ville.

Source d’inspiration de nombreux artistes et grandes personnalités, depuis les temps immémoriaux tels Tayeb Seddiki, Haïm Zafrani, David Bensoussan, André Azoulay et bien d’autres, la cité aux murs crénelés où gît le corps d’Edmond Amran El Maleh, a su garder, au fil des siècles, toute son authenticité et son histoire. Son patrimoine riche et exquis a servi de décor à plusieurs séquences cinématographiques renommées notamment Othello qui a connu un franc succès en 1952.

Pour le film Kingdom of Heaven, le réalisateur en a fait la Jérusalem médiévale en 2004. Dans la série Game of Thrones, les remparts de la Kasbah ont servi de paysage pour les punis d’Astapor. Et ce n’est pas fortuit si en décembre 2001, l’UNESCO inscrit la médina au registre du Patrimoine mondial de l’Humanité. N’est-ce- ce pas la ville dont Paul Claudel avait dit qu’«Il n’y a qu’un seul château que je connais, où il fait bon vivre enfermé. Il faut plutôt mourir que d’en rendre les clefs. C’est Mogador, en Afrique» ?

Mogador, symbole de tolérance

Faut-il rappeler qu’Essaouira a longtemps été un symbole de tolérance, depuis sa création par le sultan Mohammed Ben Abdallah au XVIIIe siècle ? Amazighs, Arabes, Africains et Européens ont longtemps cohabité dans le respect et la richesse de la différence. Musulmans, Juifs et Chrétiens y travaillaient confortablement côte à côte. Ceci étant, la culture de la cité des Alizés est imprégnée d’un brassage riche d’anciennes traditions et de nombreuses influences qui font d’elle un creuset où verse une identité plurielle. Mémoire d’une Histoire dense, Essaouira étreint nombreux édifices religieux tels que des zaouias (à elle seule, elle compte une quinzaine) mais aussi l’église portugaise construite vers la fin du XVIIIe siècle par les négociants européens, la synagogue de Simon Attias, construite à la fin du XIXe siècle par un marchand juif dont elle porte le nom et l’église Notre Dame de l’Assomption, construite en 1936 par des prêtres espagnols.

Un métissage de musiques et de cultures

Ville d’art et d’histoire, Essaouira constituait un havre de paix et de ressourcement pour les hippies du monde entier, dans les années 1960. À tel point que Cat Steven, Jimmy Hendrix et d’autres stars de l’époque venaient se régénérer dans l’atmosphère magique de l’ancienne Mogador. Ces dernières décennies et chaque année, ce sont des milliers de mélomanes qui se ruent vers la ville, escale incontournable, pour découvrir les nombreux festivals, porteurs d’un message universel invitant au dialogue entre les cultures et faisant vibrer la cité aux rythmes tantôt de l’Orient tantôt de l’Occident. À Essaouira, les saisons se suivent et ne se ressemblent pas et les fluctuations particulièrement conviviales et chaleureuses non plus. Depuis 1998, le Festival des Musiques du Monde diffuse son ambiance magique et ravive la spiritualité ancestrale des Gnaoua dans les rues d’Essaouira faisant du mois de juin un rendez-vous dédié aux «Musiques du Monde». En automne, elle résonne aux assonances du Festival des Andalousies atlantiques, célébrant l’art et le patrimoine arabo-andalou et dévoilant un passé fort et riche de métissage ethnique, culturel et artistique propre à la cité. Travestie en une vaste scène de spectacles à ciel ouvert, Essaouira danse aux couleurs d’un métissage d’harmonies qui font éterniser l’âme de l’authenticité plurielle d’une valeur universelle exceptionnelle. Dès lors, la beauté de la ville jumelée avec La Rochelle et Saint-Malo (en France), Etterbeek (en Belgique), l’Île de Gorée (au Sénégal), et Changshu (en Chine), aurait le goût d’inachevé sans son art pictural, son artisanat qui porte l’empreinte des lieux et qui constitue la principale activité des Souiris, en plus de son huile d’argan qui ensorcelle les touristes.

En somme, à Essaouira, la ville aux remparts et fortifications portugaises et au patrimoine judéo-musulman, on se repose, on se ressource et on se cultive.

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