Fiscalité 2022 : Les attentes de la réforme « majeure »
Par Mouhamet Ndiongue
La mise en place d’un système fiscal efficace et équitable est loin d’être une tâche facile. Annoncée comme révolutionnaire, la réforme fiscale 2022 devrait permettre de mobiliser d’une manière équitable et juste les recettes nécessaires sans recours excessif à l’emprunt mais aussi d’encourager le développement d’un tissu productif performant. Elle devrait favoriser le financement de la recherche et de l’innovation, autant de facteurs très importants pour la croissance économique à long terme. Cependant, la réforme fiscale pourra-t-elle soutenir le financement des programmes de l’Etat ?
Dans sa réforme, le gouvernement veut convaincre et l’un des secteurs cibles est le secteur informel qui joue un rôle très important pour l’économie marocaine. Mais les recettes fiscales collectées au niveau de ce secteur restent très faibles compte tenu de sa capacité. Les estimations du poids de l’emploi informel dans l’emploi total varient de 36% (selon la dernière enquête du Haut-Commissariat au Plan (HCP) de 2013 sur le secteur informel) à 79% (selon les estimations (2019) de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Ce poids important de l’informel combiné à un manque de données et de statistiques fiables et de qualité sur les entreprises informelles rendent difficile la visibilité pour ce secteur dans la réforme fiscale à mettre en place. En ce sens, des modifications marginales de la réforme fiscale sont généralement préférées à des changements structurels et profonds.
Selon Hamza Saoudi, économiste au Policy Center for the New South (PCNS), « la promotion du civisme fiscal et le rétablissement de la confiance en encourageant une culture de transparence qui va au-delà des discours, se traduit par des mesures et des actions concrètes et tangibles qui améliorent le niveau de vie des citoyens, constituent des conditions préalables pour la réussite de toute réforme fiscale ».
Le secteur informel très attendu
Aujourd’hui, le poids important du secteur informel dans l’économie, à la fois en termes de création d’emplois et de richesse, engendre un niveau élevé de pression fiscale sur les travailleurs et les entreprises opérant dans le secteur formel. Il faut rappeler que l’un des principes fondamentaux de la politique fiscale est d’assurer une équité et une justice. A cet effet, « l’élargissement de l’assiette fiscale est une question extrêmement importante non seulement du point de vue de la mobilisation des recettes fiscales nécessaires pour l’Etat mais aussi pour permettre d’éviter de recourir à une augmentation de la pression fiscale sur les mêmes contribuables du secteur formel », soutient l’économiste au Policy Center. C’est dans ce sens que les mesures visant à encourager la formalisation de l’économie informelle peuvent jouer un rôle important.
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Pour ce faire, indique M. Saoudi, le gouvernement doit veiller à la fois à favoriser l’expansion des entreprises formelles en améliorant le climat des affaires, en luttant contre la corruption et les rentes qui peuvent exister sur le marché et en développant un cadre fiscal, réglementaire et juridique flexible et propice au développement du secteur privé, mais aussi à identifier et relever les défis auxquels sont confrontées les entreprises informelles tout en cherchant à améliorer la productivité et les revenus de leurs employés.
Par ailleurs, la loi de Finance 2022 prévoit, conformément aux recommandations formulées dans le cadre des dernières assises fiscales, des mesures visant la formalisation de l’économie. D’un côté, cette loi propose des mesures incitatives visant à encourager l’emploi formel en matière de suppression temporaire de l’IR pour les recrutements CDI des jeunes. De l’autre côté, la réforme la plus importante à mon sens qui vise la formalisation de l’emploi informel est celle relative à la généralisation de la protection sociale auprès de l’ensemble de la population.
La loi propose également des mécanismes visant à renforcer les moyens de contrôle de l’administration fiscale et de lutte contre l’évasion fiscale à travers la création de commissions régionales de recours fiscal et la révision des compétences des commissions locales des impôts, et la réorganisation de la composition de la commission nationale de recours fiscal.
Quelques grands axes
Pour la fiscalité des entreprises dans la loi de Finance 2022, Hamza Saoudi, spécialiste des politiques de stabilisation macroéconomique au commerce international et à la croissance, rappelle les deux principales mesures qui concernent les entreprises à travers cette loi de Finances 2022. La première est liée au rétablissement de la contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et les revenus professionnels pour l’année 2022. Cette contribution sera appliquée aux personnes physiques titulaires de revenus professionnels ou agricoles et soumises à l’impôt sur le revenu selon le régime du résultat net réel, ainsi qu’aux sociétés dont le bénéfice net est supérieur ou égal à 1.000.000 DH.
En ce qui concerne cette première mesure, « le contexte actuel l’exige et cette contribution permettra de renforcer le mécanisme d’inclusion et de solidarité sociale, surtout dans le contexte actuel marqué par une hausse de l’inflation, par la sécheresse et une année agricole qui s’annonce déjà difficile, mais aussi par une hausse des prix des matières premières, notamment du pétrole et du gaz, et leur impact négatif sur le budget, notamment sur la Caisse de compensation…
La deuxième « grande mesure » est celle relative à la restauration du barème proportionnel en matière d’IS qui vient remplacer le barème progressif d’IS. Cette mesure a suscité « l’étonnement chez plusieurs experts de la fiscalité ». Mais les entreprises qui se trouvent au sein de la même tranche de bénéfice net vont payer un taux d’impôt sur les sociétés identique. De l’autre côté, le fait de garder à la fois cette progressivité entre les classes ou les tranches de bénéfice net et cette proportionnalité au sein des classes va créer un effet de seuil et, in fine, une hausse de la pression fiscale sur les entreprises formelles qui payent déjà leur impôt et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 300 000 dirhams, ce qui sera une contrainte supplémentaire pour elles. Il faut noter que ce taux d’imposition tel qu’il est défini aujourd’hui peut, notamment par cet effet de seuil, créer des externalités négatives ou encourager davantage des comportements indésirables de la part de certaines d’entreprises qui seront tentées par la sous-déclaration ou l’évasion fiscale, et c’est un point important auquel les autorités fiscales devraient être attentives.