Gabriel BANON : « Le Maroc ne doit pas jouer dans la cour de l’école, mais dans la Cour des grands et il le fait bien »

Entretien réalisé par Souad MEKKAOUI

Dans son discours du 20 août, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé les « partenaires traditionnels aux positions ambiguës » à reconnaître la marocanité du Sahara. Le Royaume prend ainsi une décision irréversible qui consiste à placer la cause nationale au-dessus de toutes les considérations dans le cadre de l’établissement de tout type de partenariat bilatéral.

Si le royaume était l’un des plus grands amis de la France avec laquelle il entretenait un partenariat d’exception, aujourd’hui, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient et le Royaume fait montre d’intransigeance quant à son intégrité territoriale.

En effet, la crise s’installe entre les deux pays suite à plusieurs faits avérés dont les visas délivrés au compte-goutte aux Marocains, dans le cadre d’une politique française de sanction à l’égard de l’ensemble des pays du Maghreb. Mais coup de théâtre : la visite d’Emmanuel Macron en Algérie puis la décision de la France de mettre fin à sa politique de restriction de visas pour les Tunisiens, annoncée le 31 août alors que les Marocains essuient les rejets de demandes, ne relèvent certainement pas d’un simple fait de coïncidence. Le politologue Gabriel Banon nous éclaire sur cette crise qui s’annonce entre le Maroc et la France. Entretien.

MD _ On assiste de plus en plus à une crise silencieuse entre le Maroc et la France, ces dernières années. Qu’est-ce qui se passe au juste ?

 GB _ Il est vrai que les relations Maroc/France traversent aujourd’hui une zone de turbulences qu’on ne peut que regretter. Cela ne date pas d’hier et c’est dommage pour les deux parties que cette situation perdure. Il semble que les responsables français, gouvernement et corps diplomatique, n’ont pas pris la mesure de l’évolution du Maroc depuis la fin du protectorat.

Qu’est-ce qui fait que les deux pays n’aient plus les mêmes liens forts d’il y a quelques années ?

Lorsque la mésentente s’installe, les liens aussi forts qu’ils aient pu être, se distendent et un fossé se creuse qui ne peut que s’agrandir si les deux parties ne prennent pas en compte sereinement les intérêts des uns et des autres.

Pour son deuxième mandat, Emmanuel Macron a choisi Alger pour son premier voyage officiel, sachant que l’un des enjeux de la présidence en 2022, en France, est la politique étrangère. Quelle lecture en faites-vous ?

Monsieur Emmanuel Macron a donné la priorité à ses intérêts algériens. C’est son droit le plus strict, même si l’histoire nous dit que ses prédécesseurs ont jugé différemment. Le Maroc est devenu un État souverain, une puissance régionale avec des alliances diversifiées qui font la force de sa diplomatie. Je rappelle toujours à mes auditeurs et mes étudiants qu’un ETAT N’A PAS D’AMIS MAIS DES INTÉRÊTS. Et si on doit comprendre les intérêts de la France, la réciprocité est qu’elle comprenne que le Maroc aussi a des priorités comme la marocanité des provinces du Sud et que l’intégrité de son territoire est une cause non négociable. Le dernier discours de Sa Majesté a été clair sur ce sujet et les partenaires du Maroc dont la France se doivent d’éclaircir leur position sans ambiguïté.

Comment expliquez-vous la décision de la France de réduire de façon drastique, qualifiée d’injustifée par Nasser Bourita, l’octroi des visas aux Marocains ? Pourquoi le Maroc n’a-t-il pas opté pour la réciprocité ? Quelle est votre analyse de la nouvelle diplomatie marocaine ?

La décision de la France de réduire d’une façon drastique et aveugle l’octroi des visas aux Marocains est une réponse de cour de récréation pour un sujet qui relève de la négociation. « Eh bien, moi je ne vais plus donner de visas, Na ! » Je ne peux pas appeler cela de la diplomatie mais de l’aigreur. Oui, le Maroc est aujourd’hui un État doté d’une diplomatie active, majeure, je dirai plus, le Maroc a, aujourd’hui, une diplomatie de combat et c’est tant mieux pour la défense des intérêts du Royaume. Mais cette situation ne devrait pas perdurer. La réciprocité en la matière est une fausse bonne idée. Cela installera durablement la mésentente dommageable pour les deux pays. Le Maroc ne doit pas jouer dans la cour de l’école, mais dans la Cour des grands et il le fait bien.

Compte tenu des relations historiques entre le Maroc et la France, celle-ci étant le deuxième partenaire économique du Maroc, depuis quelques années, derrière l’Espagne, la République française ne devait-elle pas être la 1ère à reconnaître la marocanité du Sahara au moment où la position des USA, de l’Espagne et de l’Allemagne est on ne peut plus claire ?

Je regrette vivement, -et je l’ai d’ailleurs fait publiquement au Forum MD Sahara à Dakhla-, que compte tenu de ses liens historiques avec le Maroc et de sa connaissance approfondie des réalités marocaines, la France n’ait pas été la première, avant les Etats-Unis et les autres nations, à reconnaître officiellement la marocanité du Sahara marocain.

A votre avis, qu’est-ce qui dérange le plus la France, cette ancienne puissance coloniale qui a affaire à un nouveau Maroc ?

Je suis persuadé que les responsables du Quai d’Orsay n’ont pas pris la mesure du développement du Maroc, particulièrement en politique étrangère.

Cette crise que traversent les relations franco-marocaines a relégué à la deuxième place, derrière l’Espagne, la France dans ses réalisations économiques, investissements et échanges commerciaux.

Comment la France voit-elle le rapprochement de Rabat avec Tel-Aviv ?

Il est notoire que la France n’a pas vu d’un bel œil la signature par le Maroc des accords d’Abraham. Je peux le concevoir car Israël va être et est déjà un concurrent redoutable pour le complexe militaro-industriel français. Par ailleurs la maîtrise de l’eau et des problèmes agricoles pour des sols difficiles n’est comparable à aucun pays y compris la France.

Comment, à votre avis, les relations entre les deux pays peuvent-elles évoluer ?

Je suis persuadé que cette crise sera surmontée, car trop de liens, même s’ils se sont distendus quelque peu, existent entre les deux pays. Il faut souhaiter qu’on tourne rapidement la page des visas, car les étudiants marocains risquent de se détourner des grandes écoles françaises où ils brillent chaque année. Ils risquent d’aller voir ailleurs, aux Etats-Unis, Londres, Berlin ou Moscou. Et nous savons, par expérience, que les étudiants à l’étranger deviennent des ambassadeurs des pays où ils ont fait leurs études.

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