Gabriel Banon : Une sortie en grand Seigneur

PORTRAIT

La vie de Gabriel Banon se lit comme une fresque épique, peinte d’histoires qui s’entrecroisent à travers des époques et des continents, une mosaïque de vies entrelacées, dévoilant un destin hors du commun, de celui qui a conseillé des chefs d’État et quelques grands de ce monde.

De la Cour royale de Suède aux confins du Kremlin, en passant par les échos de la voix de Yasser Arafat et les échanges avec George Bush père, Gabriel a tissé sa toile au sein de l’élite mondiale. Ses interactions avec des personnalités telles que Henry Kissinger et l’ancien président Gerald Ford ne sont que la partie émergée d’un iceberg constitué d’expériences riches et d’une expertise reconnue, faisant de lui un Conseiller et un politologue de renom.

Le fruit ne s’éloigne guère de l’arbre

Né sous le ciel casablancais, tout ou presque prédestinait Gabriel à embrasser un parcours exceptionnel. Son père, Jacob Banon, avocat éminent et Conseiller de Feu le Roi Mohammed V, -avec lequel il partageait la pas­sion de la musique andalouse- et pré­sident de la com­munauté juive de Casablanca, durant de nombreuses an­nées, avait bel et bien transmis à son fils la fibre des af­faires politiques dès son jeune âge. En effet, Dès l’enfance, « Gaby » côtoie des personnalités historiques et se familiarise avec les rouages du pouvoir, une prédisposition qui le mènera à fréquenter les hautes sphères du monde entier.

ce dernier grandit dans un environnement où la politique était le pain quotidien. Les discussions de haut vol entre figures illustres comme Winston Churchill, le grand vizir El Mokri et le futur roi Olav de Norvège, auxquelles il assistait, ont façonné sa vision du monde dès son plus jeune âge. Celui-ci observait, s’imprégnait des négociations et des décisions qui se prenaient dans la haute sphère du pays et s’initiait au métier de son père. Cette enfance, bercée entre les murs de la tradition et les échos de la diplomatie, a forgé en lui une vocation indéniable pour les arcanes du pouvoir. Il s’est mû ainsi dans une atmosphère royale aux tons prin­ciers, ponctués de jeux et de rires avec Feu Hassan II, encore enfant. C’est dire que dans sa vie, le hasard n’y a pas de place. « Je ne faisais que suivre une voie tracée » m’avait-il dit.

L’éducation de Gabriel, ancrée dans la dualité des cultures et des savoirs, de la salle de classe du lycée Lyautey aux bancs de l’École polytechnique d’Oslo où il obtient un diplôme d’ingénieur, en passant par un apprentissage profond du Coran dans le msid où il avait appris 25 hizbs, puis à Lyon où il décroche une licence en droit reflète la richesse d’un parcours sans frontières. Ces années de formation ont été le creuset d’un esprit à la fois analytique et ouvert, capable de naviguer avec aisance dans les jeux complexes de la politique internationale.

Plusieurs vies en une seule

Son retour au Maroc fut le prélude à une série d’engagements significatifs, de la création de la Chambre syndicale des ingénieurs du Maroc à une implication active dans le tissu syndical de l’UMT, témoignant d’une volonté de contribuer à la construction du pays. Membre du Cabinet du ministre de l’Industrie, Thami Ouazzani, il retourne en France en 1956, pour s’acquitter de son service militaire pendant lequel il est envoyé en Israël, en tant que conseiller du commandant en chef de l’armée de l’air israélienne. Mais c’est sur la scène internationale que Gabriel Banon a véritablement déployé ses ailes, embrassant une carrière qui l’a vu conseiller des chefs d’État et jouer un rôle de premier plan dans des moments clés de l’histoire contemporaine.

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L’appel de la diplomatie et du conseil l’a mené bien au-delà des frontières marocaines, de la présidence d’entreprises industrielles en France à des missions délicates en Israël et des responsabilités auprès de l’OLP, en passant par des fonctions stratégiques en Russie et des engagements pour la paix au Moyen-Orient. Chaque étape de son voyage a été marquée par un dévouement inébranlable aux principes de paix, de dialogue et de développement économique.

De retour sur le sol français, Banon gravit les échelons pour devenir directeur puis président directeur général des usines Alfa Laval, de 1961 à 1991, après une période significative à la tête des usines Japy et du Groupe Worms pendant quatre ans. En 1969, sa compétence le propulse au rôle de Conseiller pour la politique industrielle auprès du Président français, Georges Pompidou, avant de prendre les rênes de l’Institut de développement industriel, pilotant ainsi des initiatives clés dans l’industrie nucléaire, l’investissement et le leasing d’avions.

Sa carrière prend une dimension internationale lorsqu’il rejoint le Conseil consultatif de l’Université de la Caroline du Sud à Colombia, de 1986 à 1992. Cette étape préfigure un tournant majeur suite aux Accords d’Oslo et au début du processus de paix au Moyen-Orient, où sa rencontre avec Yasser Arafat le propulse au rang de Conseiller économique du « Raïss ». Sa mis­sion fut détaillée par le Conseil de l’OLP, dont copie a été adressée par le Président Arafat au Secrétaire d’État américain, d’alors, Warren Christopher, le 3 avril 1994 et il assumera ce poste pendant dix ans malgré les critiques d’une partie de sa communauté. Pourtant, il a tou­jours milité contre toutes les formes de haine et d’extrémisme politique tout en dé­fendant les initiatives de paix au Moyen- Orient et la coexistence pacifique de ses peuples.

À la tête de la Strategic and Development Policy Advisors, basée en France, Banon joue un rôle crucial dans l’assistance à la Palestine en matière de développement économique et agit en tant que médiateur en Iran. Cette double casquette de chef d’entreprise industrielles et de Conseiller économique et politique auprès de chefs d’État illustre son engagement pour une gestion éthique et une gouvernance éclairée.

En 2005, son expertise le mène à la Fédération de Russie, où il conseille le Conseil de sécurité économique sur le renforcement des liens économiques avec les nations arabes. Et jusqu’à son dernier jour, il a continué d’œuvrer pour la paix et la réconciliation en tant que Secrétaire général du groupe de travail israélo-palestinien de Caux, en Suisse, tout en conseillant divers gouvernements africains. La carrière de Gabriel Banon, dense et diversifiée, incarne l’itinéraire d’un homme qui a traversé les époques et les continents, toujours animé par une quête de justice, d’équité et de paix.

Gabriel Banon : Un polymathe de la géopolitique

Depuis 2012, Gabriel Banon, illustre figure de la géopolitique, s’est lancé dans une nouvelle aventure en devenant chroniqueur en économie et géopolitique, une passion qui lui a valu le titre de « Géopoliticien de l’année » en 2013, distingué par un panel de journalistes spécialisés à Genève. Devenu une voix écoutée dans les médias, Gabriel Banon a partagé sa vision de la géopolitique mondiale avec clarté et perspicacité, démystifiant les enjeux internationaux pour le grand public. Pour un esprit aussi aiguisé que le sien, le passé livre ses secrets, permettant d’anticiper avec finesse les jeux du pouvoir. Armé d’une compréhension exhaustive de l’histoire mondiale, Banon soutient que la prévisibilité règne au cœur des événements globaux, écartant l’idée de spontanéité dans les affaires du monde.

Dans la même lignée, Gabriel Banon, par sa plume et sa parole, a su éclairer les enjeux géopolitiques majeurs, offrant des clés de compréhension essentielles pour appréhender un monde en perpétuelle évolution. Sa capacité à anticiper les dynamiques de pouvoir, enracinée dans une connaissance profonde de l’histoire et des sociétés, a fait de lui une voix écoutée et respectée, un guide à travers les complexités de notre époque. Partagé entre Casablanca, Paris et Genève, Gabriel Banon a continué à jeter des ponts entre les cultures et les nations, demeurant un Conseiller recherché et un observateur avisé des scènes politique et économique mondiales jusqu’au dernier souffle. Sa vie, reflet d’une passion indéfectible pour la géopolitique et un engagement sans faille pour le dialogue et la compréhension mutuelle, demeure une source d’inspiration pour tous ceux qui cherchent à décrypter les rouages du pouvoir et à œuvrer pour un monde meilleur.

Le plus marocain de tous

Proclamant son amour pour le Maroc, Banon le décrit comme « un pays à nul autre pa­reil, creuset de plusieurs civilisations. Il s’est construit au fil des siècles, une personnalité propre qu’on ne peut igno­rer », ayant forgé à travers les siècles une identité distincte. En tant que politologue émérite, Banon enrichit notre connaissance, nous ini­tiant à la géopolitique, nous enseignant que chaque siècle est marqué par des événements majeurs qui impactent le siècle suivant et qu’il faut bien comprendre les événe­ments qui se déroulent sur l’échiquier mondial pour pouvoir décortiquer la complexité du monde dans lequel nous vivons pour décrypter la partie invisible de l’iceberg, et nous expliquant, sans dé­tours, les enjeux (géo) politiques et éco­nomiques mondiaux.

Avec une clarté dépourvue de tout pédantisme, il a rendu la géopolitique accessible, prouvant qu’il suffit de comprendre pour anticiper. Ses analyses, qui naviguent entre l’Orient et l’Occident, sont des leçons incontour­nables de géopolitique, offrant des perspectives essentielles sur les dynamiques politiques, ponctuées d’anecdotes historiques qui illuminent les coulisses du pouvoir mondial, se déroulant sous nos yeux, au gré des événements, faisant dans le politiquement « incorrect », loin de la langue de bois. Banon, par son approche souvent qualifiée de politiquement « incorrecte », ouvre une fenêtre sur le monde exclusif des décideurs, loin des discours convenus.

Lire ses chroniques c’est porter un autre regard sur le monde dont il nous a fait l’état des lieux et des rouages de la (géo) politique en nous introduisant insensiblement au cœur même des centres de décisions et en jetant le faisceau sur les motivations de ceux qui tirent les ficelles du monde. Il n’est donc pas étonnant que ce grand « touche à tout », maîtrisant aussi bien les équations mathématiques que les enjeux politiques et les jeux de pouvoir, ait enrichi le champ de production littéraire par ses écrits. Sur ce plan aussi, Gabriel Banon avait plusieurs flèches à son arc. De la géopolitique au lyrisme en passant par l’économie, il mène le lecteur dans les coulisses labyrinthiques de la politique ou dans une dimension poétique où son cœur prenait la plume et tout devenait alors métaphores et images ou le plongeait dans le monde des chiffres régi par les enjeux des pouvoirs.

Somme toute, Banon était de ces personnes dont les pensées et les propos reflètent l’élégance de l’esprit et l’élévation de l’âme. Son bonheur, il le trouvait dans le partage de sa vision sur les écueils politiques que connaît le monde.

Aujourd’hui, Gabriel Banon nous quitte à l’âge de 96 ans, après une belle vie, dirai-je, exceptionnellement riche. « J’ai tout vu et je pourrai mourir tranquille avec mon cœur d’enfant ». Il ne savait pas que ce cœur allait le lâcher. Il s’en va, serein et fier de ce qu’il a été, parmi les étoiles qu’il aimait tant.

Adieu Gaby … Tu auras vécu royalement et parti noblement …

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