Henri-Louis Védie: « la crise Maroc-Algérie fait perdre deux points de croissance de chaque côté »

De par sa position géographique et son engagement indéfectible en faveur du progrès et de la stabilité de l’Afrique, le Maroc se positionne comme un véritable leader africain. Mais aussi en tant qu’allié stratégique pour l’Union européenne. Un positionnement exceptionnel qui fait du royaume une puissance africaine génératrice d’opportunités pour le développement socio-économique du continent.

Henri-Louis Védie, Senior Fellow au Policy Center for the New South et Docteur en Sciences Économiques, met en avant, dans cette interview accordée à Maroc Diplomatique, les facteurs majeurs ayant permis au Maroc de consolider sa position géopolitique distinguée sur les marchés européens et africains

Comme il revient sur les répercussions de la crise avec l’Algérie sur le développement des deux pays, tout en mettant l’accent sur l’importance des EnR à même de permettre au royaume de se tirer d’affaires et d’assurer sa croissance économique.

 

Maroc diplomatique : Comment expliquez-vous la position du Maroc face au marché européen et à l’importance de la carte géopolitique en Afrique ?

Henri-Louis Védie : La Marche verte et le retour des Provinces du Sud dans le giron marocain vont conforter le Royaume « passage obligé entre I ’Europe et l’Afrique ». Mais pour que cela devienne une réalité, i1 a fallu doter ces provinces d’infrastructures routières, aéroportuaires, portuaires totalement inexistantes en 1975. Rappelons-nous, en 1975 tout n’était pas à refaire, mais à faire. Partant pratiquement de rien, i1 a donc fallu tout construire, innover et inventer pour vaincre les difficultés environnementales propres aux provinces (chaleur, vent, désert etc.). Ce qui fut fait, permettant aux populations locales de disposer d’eau potable, d’électricité, de logements salubres, d’infrastructures routières, puis portuaires et aéroportuaires, d’hôpitaux, d’écoles etc.

Ceci, bien sûr, n’aurait pas été possible sans une volonté royale de tous les instants et des investissements considérables, faisant du pari de leur développement économique un pari gagnant.

Désormais porte d’entrée de l’Afrique vers l’Europe mais aussi porte d’entrée du Maroc vers l’Afrique subsaharienne, ces provinces vont aussi contribuer au retour du Royaume au sein de l’Union Africaine, première étape de son leadership africain. Et si le Maroc n’a pas obtenu, comme en avait fait la demande en son temps Hassan II, l’entrée du Royaume dans I’UE, il est le seul des pays du Maghreb à avoir bénéficié alors d’accords privilégiés avec I’UE. Accords qui perdurent fort heureusement aujourd’hui. S’il existe des tensions avec le Parlement européen, je le regrette profondément.  Et, en ce qui concerne les relations avec la France, les difficultés présentes amplifiées et exagérées par celles et ceux qui souhaitent en profiter, ne sauraient remettre en cause le partenariat fraternel, qui existe, depuis toujours, entre les deux pays.

Êtes-vous d’avis que le Maroc a bien droit de se retourner vers le marché africain qui regorge plus de potentialités contrairement au marché européen, très complexe et contraignant pour les entreprises marocaines.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que le Maroc abandonne l’Europe au profit de ces nouveaux contrats commerciaux avec l’Afrique. Il est faux, donc inadmissible de dire cela. C’est exactement le discours que tiennent les détracteurs des bonnes relations entre les pays européens et le Royaume. On rappellera, à titre d’exemple, qu’au moment où la France a eu à délocaliser certaines de ces activités, Dacia Renault par exemple, elle a choisi le Maroc. Et ce, même si à l’époque la presse européenne, parfois française, s’adonnait avec joie critiquer cette décision. On connaît la suite et le formidable succès de Tanger Med. En développant ses partenariats en Afrique, le Maroc n’abandonne donc pas l’Europe, cette dernière pouvant même en tirer avantage à moyen et long terme.

Est-ce que la crise avec l’Algérie a des conséquences négatives sur l’économie des deux pays ? Quels leviers économiques le Royaume doit user pour se tirer d’affaire ?

Avec l’Algérie, c’est malheureusement une constante de ces dernières décennies, la crise perdure. Je dirais que le fond du problème est similaire à ce qu’il se passe aujourd’hui avec la Russie et l’Ukraine, les perdants sont des deux côtés : deux points de croissance de chaque côté pour l’Algérie et le Maroc, beaucoup plus pour la Russie et l’Ukraine.

Que doit faire le Maroc ? Une seule certitude, on ne peut marier deux personnes si l’une des deux le refuse avec obstination. Le Maroc doit donc continuer dans la voie qui est la sienne depuis 1999, celle du développement économique s’inscrivant dans la durabilité et la transition énergétique, celle de la valorisation de son formidable capital humain, humain, particulièrement apprécié en Europe etc. On rappellera, ici, le choix stratégique gagnant qui fut le sien en investissant dans les énergies renouvelables. Un pari exceptionnel, à un moment où le cours du baril de pétrole était au plus bas. En s’engageant avec force dans cette voie et en diversifiant ses énergies propres, particulièrement l’éolien et le solaire, le Royaume est devenu incontestablement le leader africain en la matière.

Aujourd’hui, 60 % des énergies marocaines sont renouvelables En continuant dans cette voie, et en cas de réussite, le seul risque que prend le Royaume avec l’Algérie, c’est…. de voir perdurer cette crise. Mais comme dit le proverbe, » mieux faire envie que pitié ».

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