Hicham Houdaifa : « Le hchouma est la cause de bon nombre de cas de non-signalement des agressions sexuelles sur les enfants »

Dans son dernier ouvrage « Enfance au Maroc : une précarité aux multiples visages », le journaliste et écrivain Hicham Houdaïfa met le focus sur la situation de la petite enfance au Maroc, notamment les différentes formes de précarité dans laquelle sombre cette tranche, la plus vulnérable de la société. Celui-ci plaide ainsi pour ériger la protection de l’enfance en urgence nationale.

MAROC DIPLOMATIQUE : Pour commencer, pourquoi avez-vous décidé de traiter de la protection de l’enfance en particulier dans votre dernier ouvrage ?

Hicham Houdaïfa : Depuis le lancement de la collection Enquêtes en 2015, nous avons fait le choix éditorial d’être à l’écoute de la société et d’aller à la rencontre de celles et de ceux dont la voix peine à se faire entendre. Avec comme objectif : inciter les citoyens à prendre part au débat public en connaissance des enjeux. Après avoir travaillé sur la situation des femmes précarisées dans « Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond, En Toutes Lettres, 2015 », il était naturel de m’intéresser à la situation des enfants en difficulté.

MD : Quelles sont les différentes thématiques que vous traitez dans ce livre ? 

H.H : J’ai traité des thématiques classiques qui ont un rapport avec l’enfance en difficulté : les enfants de la rue, le travail précoce, la réalité dans les centres de protection de l’enfance, l’exploitation sexuelle des enfants, l’accès aux soins et à l’école pour les enfants en situation de handicap…

MD : « Enfance au Maroc, Une précarité aux multiples visages », on retient du titre de l’ouvrage que la précarité prend plusieurs formes quand il s’agit de l’enfance. Quelles sont, donc, ces formes que vous avez pu observer sur le terrain ?

H.H : Là où je me suis rendu, dans des douars enclavés comme dans les ceintures de la pauvreté des zones urbaines, l’enfance est privée d’école, d’accès à la santé, parfois de nutrition et d’eau potable. Des enfants vivent dans des « maisons », sans assainissement et sans toilettes. Une précarité avec des conséquences terribles pour les enfants : de l’abandon scolaire et donc du travail précoce, dans les champs agricoles, dans les ateliers clandestins ou comme petites bonnes. Parfois, ils doivent faire face à d’autres facteurs de fragilité : la maladie d’un parent, la démission du père ou de la mère et la violence…

MD : Pour vous, l’État est démissionnaire et c’est la société civile qui est au front, ce constat est-il révélateur de la place qu’accorde le Maroc à la petite enfance dans ses politiques publiques ? 

H.H : Au Maroc, la responsabilité de la protection de l’enfance se perd entre plusieurs ministères : celui de la Solidarité, de la Femme et du Développement social, mais aussi celui de la Jeunesse et des Sports, de l’Éducation, de la Justice, de la Santé, de l’Intérieur, de l’Emploi, en plus de l’Entraide nationale. La coordination entre ces parties laisse à désirer et les ressources humaines dédiées à la protection de l’enfance sont insuffisantes. Le Maroc a adopté en juin 2015, la politique publique intégrée pour la protection de l’enfance. Une politique qui tarde à être appliquée sur le terrain surtout à travers le volet important du Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance.

MD : D’ailleurs, quel bilan faites-vous de la protection de l’enfance au Maroc à la lumière des derniers crimes sexuels qui ont secoué l’opinion publique ces dernières semaines ? 

H.H : Ces derniers crimes sexuels montrent toute l’importance de la mise en œuvre d’une véritable politique de protection de l’enfance, garantir une véritable complémentarité entre les différents programmes gouvernementaux et les services fournis par les acteurs œuvrant dans le domaine.

MD : Pensez-vous le volet réglementaire entrave l’évolution de ce dossier ? Est-ce qu’il faudrait peut-être renforcer l’arsenal juridique dans ce domaine si on veut faire avancer les choses ?

H.H : Il est vrai que dans le volet de l’exploitation sexuelle des enfants, la loi n’aide pas. Des études ont été réalisées dans ce sens, notamment « l’Étude comparative entre la législation nationale et internationale en relation avec les violences sexuelles à l’encontre des enfants », menée par l’association Amane et publiée en 2018. Elle évoque des problèmes structurels : la lenteur des procédures judiciaires, les modalités de participation de l’enfant à la procédure judiciaire qui ne se conforment pas aux normes internationales, l’absence d’espaces adaptés aux enfants, la faiblesse des signalements. En plus des problèmes inhérents au Code pénal notamment quand la distinction n’est pas faite entre les différents types de violences sexuelles.

MD : Est-ce que la notion du « tabou » exacerbe la précarité de l’enfance au Maroc ? 

H.H : Le tabou, le hchouma est la cause de bon nombre de cas de non-signalement des agressions sexuelles sur les enfants. Les assistantes sociales que j’ai interviewées disent que plusieurs de ces crimes restent cachés au nom de la réputation de la famille. Puis pour beaucoup, l’agression sexuelle veut dire un acte sexuel complet. Tout cela nécessite des campagnes de sensibilisation ciblant, notamment dans les médias publics, pour favoriser le signalement.

MD : À votre avis, que faut-il faire pour rétablir la situation de l’enfance au Maroc ? Quelles sont les pistes à suivre ? 

H.H : Il faut ériger la protection de l’enfance en urgence nationale. Tout le reste découlera naturellement. Il faut bien sûr harmoniser les actions des acteurs de la protection de l’enfance, étatiques, et ceux relevant de la société civile et mettre en application le plus rapidement, le Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance. D’ailleurs, on devrait écouter un peu plus les acteurs de la société civile qui ont su développer une expertise basée sur le travail du terrain. C’est grâce à eux que ce travail sur l’enfance a été réalisé.

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