Hommage à Hansjörg Huber, le père des enfants abandonnés

Tribune

Par Monceyf Fadili (*)

Hansjörg Huber nous a quittés il y a quelques jours, laissant une forte impression de tristesse au sein de la communauté des associations et des personnes œuvrant à l’aide à l’enfance et, de manière plus large, aux défenseurs des droits de l’enfant et à la dignité.

Avec lui s’en va l’une des personnalités qui auront marqué le monde des enfants abandonnés au Maroc – 30.000 par an – au cours des quinze dernières années. Philanthrope dans l’âme, Hansjörg représentait le type même du mécène, dans sa démarche humaniste, mais aussi militante : humble et modeste, accessible à tous et ouvert au dialogue, courtois et bienveillant, mais également doté d’une force de conviction qui n’avait d’égale que sa force au travail, son  sens de l’organisation et sa capacité à mobiliser appuis et ressources, plaidoyer et défense des droits, pour donner un caractère pérenne à ce qu’il considérait comme l’accomplissement d’une mission, l’aboutissement d’un parcours de vie : accueillir les enfants abandonnés au sein d’une structure dédiée, pour redonner espoir à des enfants dont le seul tort était d’être venus au monde, « des enfants à qui la chance a tourné le dos avant même qu’ils arrivent au monde, car personne ne s’est jamais réjoui de leur naissance ».

Un projet d’une telle ambition prend tôt naissance chez ce Suisse originaire de Zurich, qui décrivait son parcours personnel dans un environnement familial des plus confortables, bien entouré, et par une carrière professionnelle dans le monde des assurances. Une interpellation lorsque, jeune adulte au milieu des années 60, Hansjörg visite un centre accueillant des enfants tibétains – dont beaucoup d’orphelins – victimes de la guerre ; il y voit la marque de l’abandon et du désespoir, mais aussi une expression d’injustice. S’ensuit la volonté de reprendre le flambeau pour une action d’aide et d’accompagnement à l’enfance abandonnée, un projet qui prendra forme en 2013 à Marrakech, par la création de l’association « Atlas Kinder – Les enfants de l’Atlas » – et la construction de « Dar Bouidar », un village pour l’enfance abandonnée implanté sur 12 ha au pied de l’Atlas, dans les environs de Tahanaout et à une trentaine de kilomètres de Marrakech. 

→ Lire aussi: Hansjörg Huber, fondateur du village des enfants de l’Atlas, n’est plus

Une fenêtre d’espoir pour des enfants non désirés et stigmatisés par la société, me disait-il, victimes de promesses de mariage non tenues, d’inceste, de viol ou de prostitution. Le premier geste de générosité consiste en la mobilisation de fonds propres, la moitié de son patrimoine, pour lancer en 2013 la construction du village. Celui-ci ouvre ses portes en 2015 et accueille le visiteur avec deux bannières déployées en façade, par des slogans qui donnent le ton de l’esprit et de la vocation de l’association tels que voulus par son initiateur : « Aidez des enfants à vivre une vie digne » et « Remplissez tout un village de rires d’enfants ». Ou comment allier deux valeurs propres à l’épanouissement de l’enfant, que sont la dignité de la personne et la joie de vivre.

Offrir une maison à des enfants abandonnés est l’objectif premier du village, « mais au-delà de quatre murs et d’un toit, on voudrait aussi qu’il soit un Eden dont les hôtes seraient des enfants abandonnés ». Un aménagement progressif que Hansjörg Huber conduira avec une rare abnégation, en s’appuyant sur les énergies collectives, le mécénat et les dons privés – nationaux et internationaux –, un bénévolat actif, en ayant l’intelligence de dépasser, par des résultats éloquents, les doutes parfois exprimés à l’encontre de son projet. 

Hansjörg n’aura de cesse, pour mener à bien un projet qui fait aujourd’hui figure de bonne pratique, dans le monde de l’aide à l’enfance abandonnée et aux orphelins, de mobiliser toutes les potentialités nécessaires – humaines et matérielles –, afin que la « réalisation d’un rêve » demeure une chance pour la communauté des enfants de Dar Bouidar. A cet effet, il n’hésitait pas à organiser, en décembre 2017 à Marrakech, une vente aux enchères d’une partie de sa collection personnelle de tableaux, afin d’en offrir le produit aux enfants du village et à son fonctionnement. Une action démonstrative d’un engagement sans faille, « pour montrer à l’humanité tout entière que les enfants ont des droits à respecter et qu’ils sont égaux en leur donnant un dossard pour cette magnifique course qu’est la vie ».     

Alors qu’il nous quitte, Hansjörg Huber laisse en legs, à sa famille et aux proches qui l’ont soutenu, mais surtout aux enfants de Dar Bouidar qu’il considérait comme les siens, un modèle d’engagement civique, de don de soi, d’éthique et de sens du partage. En moins de 10 ans, le village sera passé de 30 à 200 enfants, dont une vingtaine en situation de handicap. Des enfants qui bénéficient d’un accueil d’une rare qualité, dans un monde où rien ne leur était destiné, que ce soit en termes d’hébergement avec une quinzaine de maisons animées par des mères d’accueil, une pouponnière pour le premier âge, un cadre d’éducation préscolaire et primaire ouvert à l’apprentissage des langues, un suivi médical, un champ d’éveil et  de loisirs intégrant une ferme potagère et  un centre d’équitation dirigé par un maître de sports équestres, une mosquée aux fins de l’ancrage culturel et social ; sans compter les nombreuses sorties et excursions, pour l’ouverture au monde. Le tout s’appuyant sur une structure logistique et d’encadrement de plus de 100 personnes, et l’incitation au bénévolat chez les jeunes, à l’échelle nationale et internationale. Dans un environnement où l’enfance abandonnée ne bénéficie pas de toute l’attention requise et de dispositifs juridiques appropriés, l’expérience de Dar Bouidar constitue une leçon de solidarité, une manière forte de donner à des enfants sans horizon « une deuxième chance pour se construire un avenir meilleur à travers l’éducation, la confiance en soi, la résilience et la culture ».    

Hansjörg Huber repose au cimetière chrétien de Marrakech, une manière de rester proche de ses enfants, comme il se plaisait à le dire. L’occasion pour celles et ceux qui l’ont connu et apprécié, de pouvoir se recueillir. Ses fils ont pris l’engagement de poursuivre le travail de leur père, pour que lui survive son œuvre. A sa famille et à ses proches, à l’équipe de Dar Bouidar et à ses nombreux enfants, toutes nos condoléances.

*Expert international en planification urbaine et développement territorial

  Ancien Conseiller ONU-Habitat

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