Il est temps de repenser notre « sens du Maroc » !

Par Abdessamad Mouhieddine

A travers la planète tout entière, le néolibéralisme a révélé ses limites et, avant tout, ses turpitudes systémiques. Sa longue ignorance des besoins vitaux des humains vient d’être frontalement et légitimement exécrée «à la faveur» d’un tsunami viral à nul autre pareil.

Reprendre, au lendemain de la pandémie du Covid-19, son «bonhomme de chemin» néolibéral comme si de rien n’était, comme si l’horrible hécatombe n’était pas passée par là, serait proprement criminel.

Aussi est-il, dès aujourd’hui, urgent, «nécessaire et universel», de rebattre les cartes du mode de gestion économique, sociale, politique et culturelle dans notre pays. Le temps d’une remise en question globale est venu et ne peut souffrir aucun report, aucun répit.

Chacun sait, le Roi le premier, que le Royaume a accumulé des déficits colossaux aux chapitres fondamentaux que sont la santé, l’éducation, la justice sociale et la justice tout court. Il est donc évident que l’on soit acculé à s’attaquer à ces déficits dès le lendemain du déconfinement sanitaire.

La Commission du «nouveau modèle de développement» devra s’atteler à intégrer dans ses analyses comme dans ses propositions des approches innovantes, quitte à bouleverser radicalement la hiérarchie des priorités tant doctrinaires que budgétaires.

Je souhaite, quant à moi, pointer ici des échéances dont la dangerosité en menaces mortelles peut équivaloir sinon surpasser celle de la pandémie virale actuelle.

Je veux nommer, en premier lieu, le déficit hydrique qui se pointe à l’horizon et qui montre son nez d’ores et déjà dans nombre de nos régions, à commencer par le Souss et le Rif.

D’ailleurs, cette année, le Maroc connaît une sécheresse bien plus sévère que celle de 2019. Selon le rapport de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique publié en août dernier, d’ici 2025, le stress hydrique devrait s’aggraver considérablement. Le Maroc pourrait ainsi connaître un état de «pénurie d’eau», avec des prévisions de moins de 1.000 mètres cubes d’eau douce disponibles par an et par habitant.

Même si Rabat a élaboré «un programme doté d’une enveloppe de 12 milliards de dollars qui prévoit la construction de barrages, l’amélioration de la consommation de l’eau, la préservation des ressources en eau, l’augmentation de l’approvisionnement dans les zones rurales», la question même du rapport du Marocain à l’eau restera posée aux niveaux culturel et technologique.

Au niveau culturel du fait que le Maroc tarde à imposer un comportement restrictif par le biais de mesures normatives coercitives. Il y va de la «survie» des hommes, des territoires, des terroirs et des villes du Royaume. On ne peut plus admettre l’irresponsabilité des ménages ou encore et les fuites des réseaux urbains qui se comptent par dizaines de milliards de mètres cubes d’eau ! Il est donc urgentissime de retrouver le courage politique en doublant les campagnes de sensibilisation de mesures juridiques gratifiant sur facture les économies et sanctionnant les excès. Il y a lieu, parallèlement, de stopper, pour une période de dix à vingt ans, la construction des golfs si «hydrivores» et la rationalisation drastique du creusement de puits en milieu urbain, généralement destinés au remplissage des piscines.

Au niveau technologique, il est aujourd’hui urgent pour le Royaume de couvrir l’ensemble de son territoire, notamment dans les villes de grande, de moyenne et même de petite taille, de stations d’épurement et d’assainissement des eaux usées afin d’étoffer le volume hydrique global du pays.

A ce même niveau, et dès aujourd’hui, avant que ne nous y précèdent les autres pays hydro-déficitaires qui constituent désormais les deux tiers de l’humanité, le Maroc devra se hâter à rechercher l’équipement rapide du pays en centrales nucléaires civiles vouées
au dessalement de l’eau de mer. Notre littoral de près de 4.000 km ne constitue-t-il pas un atout que nous jalousent nombre de pays, dont certains de nos plus proches voisins ?

Ces centrales nucléaires civiles sont aujourd’hui disponibles, notamment en Chine et en Russie, à des coûts abordables et à des conditions financières libératoires très favorables en taux comme en durée. Même l’Iran a développé cette technologie avec brio, rendant le prix du litre d’eau dessalée dérisoire. Souffrant lui-même d’un stress hydrique particulièrement cruel, ce pays ne tardera pas à en installer copieusement sur ses littoraux de la Mercaspienne, du Golfe persique et du Golf d’Oman dès la levée des embargos sur ses besoins en machines-outils.

En second lieu, je pointerais les choix doctrinaires du mode de gestion de notre agriculture et de nos richesses halieutiques.

De la même manière que le Coronavirus a révélé la grave désindustrialisation occidentale, notamment au registre des pharmatechnologies – 90% des médicaments sont fabriqués en Chine!–, l’air du temps où règnent toutes les angoisses de pénurie impose de garantir la sécurité alimentaire des Marocains. Cette sécurité passe par la révision radicale de notre doctrine agricole en privilégiant les cultures céréalières et notre gestion des richesses halieutiques en les mettant au plus vite à l’abri des chalutiers et autres bateaux-usines européens et asiatiques.

En troisième et dernier lieu, je ne nous vois plus continuer à ajourner la mise en place réelle, tangible et concrète d’une véritable régionalisation garante d’un authentique développement territorial campant les attentes diverses et variées des populations in situ. Cela passera par une refonte totale de la «doctrine d’État». Cette doctrine aurait alors à consolider la primauté de l’Etat-providence tout en transférant des pouvoirs réels aux régions, y compris aux chapitres de la santé, de l’éducation et de la culture.

Mais, en attendant, l’urgence sera, dès le lendemain du déconfinement, celle de lancer un grand débat national autour du «nouveau modèle de développement» dont la Commission du même nom aura intérêt à livrer au plus vite les premières esquisses.

En vérité, on le voit bien, le Maroc est appelé aujourd’hui à se remettre fondamentalement en question, quitte à braver les mentalités si conservatrices et parfois même si régressives, principalement sous le chapiteau des obscurantistes «marchands du Paradis» !

Il est temps de revoir notre «sens du Maroc» !

 

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