IMAD, pour qu’il n’y ait plus d’autre « Merah »

Latifa Ibn Ziaten est une militante qui mène un combat au sein de l’association «IMAD», au nom de son fils assassiné par le jeune Mohamed Merah. Une association qu’elle a créée dans l’objectif de s’adresser aux jeunes et de leur parler de paix et du vivre ensemble, deux mois après les tragiques assassinats qui ont secoué les villes de Montauban et Toulouse, les 11 et 12 mars 2012. Latifa évoque l’éducation comme la base de tout. La famille, l’école, les centres sociaux de proximité et la société entière portent la responsabilité des dérives des jeunes aujourd’hui en France.

Maroc Diplomatique : Que pensez-vous de la vie des jeunes Français d’origine maghrébine?

Latifa Ibn Ziaten : La vie des jeunes est très difficile. Ils sont très fragiles et leurs parents ne peuvent rien faire pour remédier à cela. Les jeunes sont perdus. Ils sont en manque d’amour, de tendresse et de valorisation. Ils n’ont pas confiance en eux. Personne ne les écoute. Ils se sentent seuls et complètement à la marge. Stigmatisés en permanence, ils se retrouvent isolés et de plus en plus exclus de la société à laquelle ils appartiennent. Il y a un travail énorme à faire auprès des jeunes des cités. Je les ai rencontrés, beaucoup d’entre eux vivent dans la souffrance.

En tant que femme de terrain, quel est votre combat auprès des jeunes?
Je me bats au quotidien pour éviter qu’il y ait « d’autres Merah ». Je plaide pour qu’on tende de plus en plus la main et qu’on dialogue davantage avec les jeunes en rupture dans les écoles, les quartiers déshérités et les prisons, pour les empêcher de dériver et de sombrer dans l’extrémisme. J’anime des ateliers et je fais des interventions pour parler de mon expérience et de celle d’autres femmes.

Comment éviter une reproduction de ce type de crime commis au nom d’Allah?

On ne peut s’en sortir qu’avec une bonne éducation. Cela commence à la maison avec les parents et avant d’aller à l’école. J’essaye de convaincre les jeunes que la foi et la religion relèvent de la sphère privée et que cela ne doit en aucun cas être imposé aux autres ou porté en public. Et que l’Islam est une religion de paix et non de guerre. L’Islam plaide pour le rapprochement entre les peuples. Nous avons tous les mêmes contraintes et les mêmes problèmes, et nous devons les affronter ensemble. Il faut briser les barrières créées par les intégristes qui cherchent à faire disparaître l’empathie à l’égard de l’autre différent de nous, indifféremment de sa couleur ou sa religion. Et c’est à la famille de faire son travail.

La famille ne peut peut-être pas remplir son rôle social, car on entend souvent dire que les parents sont désemparés, voire dépassés?

J’ai déjà tiré la sonnette d’alarme et je dis aux parents que ce n’est pas normal et qu’ils ne doivent pas baisser les bras. Ils n’ont pas l’autorité et n’imposent pas leur respect. À la maison, les jeunes trouvent un modèle et à l’école ils y trouvent un autre.

Les enfants ne trouvent pas l’amour que doivent leur donner leurs parents. Un travail double doit s’opérer à l’égard des jeunes et auprès des parents. Ces derniers sont responsables des actes de leurs enfants. Ils doivent les suivre, les éduquer et les contrôler. Je ne trouve pas normal que les enfants sortent de l’autorité des parents, ou que ces derniers affirment qu’ils sont dépassés. C’est inacceptable à mon avis. Je peux comprendre quand il s’agit d’enfants qui ont vécu dans des foyers d’accueil ou des orphelinats, mais pas lorsqu’ils ont des parents.

Que se passe-t-il dans les cités?

En tant que femme de terrain, je vois que les jeunes des cités souffrent d’un manque terrible. Je ne parle pas uniquement de tout ce qui est matériel. Mais également d’affection, d’amour, d’intérêt à leur égard, à ce qu’ils font, à ce à quoi ils aspirent et à leurs rêves. Les jeunes ne quittent leurs maisons que pour se regrouper entre les murs des immeubles. Ils ne sortent pas et n’ont pas d’activité sportive ou culturelle.

Les cités sont devenues des bombes à retardement, qu’on risque de voir exploser un jour, à notre insu. Les jeunes sont en décalage avec ce qui se passe dans la vie autour d’eux, barricadés dans leurs cités et en proie à de vives inquiétudes, qui prennent souvent l’illustration dans les replis identitaires.

Des identités revendiquées par de jeunes Français. Un penchant vers l’extrémisme chez les jeunes?

Ces jeunes, livrés à eux-mêmes, n’ont pas de repères. Ils n’ont pas d’horizon, ne savent pas à quel saint se vouer. Ils sont fragiles et ne sortent pas de chez eux, de leur cité. La majorité n’a pas réussi à l’école et n’a pas suivi de formation non plus. Ils cherchent un exutoire et un refuge. Les extrémistes les prennent et les modèlent à leur manière. Les jeunes cherchent une visibilité. Et on voit cela dans leur code vestimentaire. Ils oublient que la place de la religion est dans le cœur.

Que pensez-vous des récupérations hasardeuses qu’en font les politiques et les médias?

Les médias ne font pas bien leur travail. Lorsqu’il y a un événement, un fait divers ou un acte quelconque dont l’une des parties est d’origine maghrébine, ils s’empressent de dire que c’est un Maghrébin ou un Arabe au lieu de dire que c’est un Français. Un produit de la France. Ces jeunes sont nés ici. Ce sont des enfants de la République.

Quelles sont les causes des attentats de Paris, à votre avis?

D’abord, je condamne fermement ces actes criminels. Et ce ne sont pas des musulmans. L’Islam n’incite pas à tuer les autres. Ces jeunes livrés à eux-mêmes sont le produit d’un échec scolaire et d’un absentéisme parental qui explique leur basculement vers la délinquance, en premier temps, avant de commettre l’irréparable.   Leur parcours peut en témoigner. Ils sont récupérés par une secte. Et c’est au nom de cette secte qu’ils ont perpétré leurs crimes odieux.

Que doit-on faire pour inculquer les valeurs universelles et le bon sens aux jeunes et aux enfants pour éviter les problèmes futurs?

Il est de notre devoir de sortir dans la rue et de parler aux jeunes. Leur donner de l’amour, de l’attention et de l’affection, ils en ont besoin. Les jeunes des cités, même les diplômés, n’arrivent pas à trouver un travail. Ils sont stigmatisés, leurs noms et leurs adresses leur portent préjudice. J’ai déjà alerté contre ça avant que les jeunes ne commencent à partir combattre en Syrie. Ils n’ont rien. Pas d’espoir. Il faut les repérer à leur retour. Les mettre en prison n’est guère la solution. Ils en ressortent encore plus radicalisés. On a déjà l’échantillon des Kouachi et de Coulibaly. L’intégrisme se nourrit des facteurs sociaux et se déploie dans ce cadre de crise économique, il se développe également en parallèle avec la montée du racisme qui existe depuis des années. Il faut aller au-delà. Il faut faire preuve d’intelligence, de savoir-faire et de savoir-vivre pour se faire accepter et déjouer toutes les difficultés.

IMAD au chevet des jeunes

L’association IMAD pour la jeunesse et pour la paix a été créée en 2002 par  Latifa Ibn Ziaten dans le but de rendre hommage à son fils Imad Ibn Ziaten et d’intervenir auprès des enfants et des jeunes, des adultes, des élèves d’écoles et des détenus en prison afin de prévenir les dérives sectaires et extrémistes, notamment dans certains quartiers où sévit l’extrémisme et la délinquance; mettre sur pied une structure éducative laïque et républicaine, appuyée par une cellule d’écoute religieuse multiconfessionnelle, chargée d’intervenir en milieu carcéral ainsi que dans les écoles, particulièrement celles des quartiers où la jeunesse se voit en proie au désarroi et subit le règne du non-droit ; promouvoir la laïcité et affirmer haut et fort qu’elle ne signifie pas le rejet de la religion, mais au contraire le droit de vivre sa foi, tout en ayant l’obligation de respecter celle des autres ainsi que les lois de la République.

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