Inflation , crise, dette, conjoncture… Que faut-il comprendre?

Par Khalid Doumou

Pour mieux comprendre les imbrications entre les différents phénomènes macroéconomiques qui dépassent l’entendement des non-initiés à l’économie, et ainsi mieux s’extirper de l’emprise inflationniste

Beaucoup de choses ont été dites et écrites ça et là sur l’inflation et ses répercussions macroéconomiques, mais il m’a semblé que certains éclaircissements de circonstance, en l’état actuel des choses, étaient de mise. Tout d’abord, pour bien cerner les problématiques monétaires, il faut revenir à l’importance des transactions dans les échanges marchands en général.

Lorsque j’achète un litre de laitier à ma laitière, je la paie en dirhams, c’est-à-dire que je lui délègue une sorte de reconnaissance de dette disons de 6,50 dh. Et c’est ensuite à ma laitière de décider de ce qu’elle fera de cette rentrée d’argent qu’elle ne peut consommer en l’état.

En 2008, lors de la crise des subprimes, le PIB mondial était de 80 000 milliards de $ pour une dette globale de 140 000 Milliards de $. En 2019, le PIB mondial est passé à 92 000 milliards de pour une dette de 250 000 milliards de $, et aujourd’hui celui-ci est toujours estimé à 92 000 milliards de $ mais pour une dette globale qui s’est aggravée aux alentours de 300 000 milliards de $.

Le risque de création de bulles financières advient lorsque la masse monétaire créée ne trouve pas son équivalent dans l’économie réelle. Les marchés financiers sont alors souvent évalués à des niveaux excessifs.

Deux mécanismes avaient empêché l’inflation de se développer, et ce, malgré que tous les ingrédients étaient réunis pour avoir à constater une inflation galopante bien avant aujourd’hui.

Le premier de ces mécanismes a été la baisse artificielle des taux d’intérêts au niveau mondial. La baisse des taux signifiant des conditions d’investissement rendues plus aisées, les conditions de financement étaient tellement favorables que l’on a pu baisser les prix, tout en permettant aux plus grands groupes mondiaux d’engranger des profits colossaux à l’échelle mondiale. Mais malheureusement, les taux faibles encouragent également la création de dettes qui n’ont aucune incidence directe sur la création de richesses nationales, et donc sur la hausse du PIB.

On a donc constaté à l’époque, un déséquilibre croissant entre niveau de dettes atteint et création de richesses domestiques. L’émission de dettes ne s’est pas traduite, loin s’en est fallu, en investissements productifs. La tendance qui a prévalu en effet, a été l’utilisation de ses taux très faibles pour de la dépense publique, qui a permis au pouvoir politique de se rendre encore plus populaire aux yeux de la population, et ce, à moindre frais. Certains États se sont alors mis à redistribuer de la richesse, mais pas d’argent. La question fondamentale derrière la monnaie devant toujours être, est-ce qu’il y a de la véritable création de richesses qui se traduit par une augmentation du PIB ou pas ?

La deuxième façon d’empêcher l’inflation des prix sur les marchés des biens et des services, a été le développement de la production du pétrole et du gaz de schiste de 2010 à 2012, qui a coïncidé avec une baisse extraordinaire des prix de l’énergie à l’échelle mondiale. Car tout le monde sait bien que la baisse du coût de l’énergie est extraordinairement efficace pour contrer l’emballement de l’inflation.

Ainsi, nous avons vécu pendant plusieurs années en terrain inflationniste (déséquilibre entre niveau de dettes et création de richesses nationales), une inflation latente, mais qui ne s’est pas déclarée de manière palpable et explicite.

Aujourd’hui ces deux éléments fonctionnent en sens inverse.

Lorsque l’activité économique a repris après le confinement, la demande a été timide dans un premier temps, ce qui a fait que les prix ont eu une tendance baissière. Il faut se souvenir qu’à fin Avril 2020, les prix du pétrole ont même plongé en territoire négatif, car il fallait alors désengorger les cuves de stockage, les supertankers et les pipelines. Quand l’économie reprend véritablement, on ressent alors un véritable choc de croissance, très difficile à digérer par l’économie mondiale.

De nouvelles tensions se sont alors manifestées sur l’offre mondiale à cause du désinvestissement industriel pendant la crise sanitaire, et la difficulté de retrouver de la main-d’œuvre désireuse de reprendre le chemin du travail dans les mêmes conditions qu’avant le corona virus disease (Grande démission ou big quit aux États-Unis et en Europe).

Des problèmes de ruptures de chaînes d’approvisionnement sont alors apparus fin 2021 (goulots d’étranglements dans les processus de production industrielle et d’approvisionnements logistiques par mer et par terre). Ces pénuries qui avaient été jugées à tort comme passagères par la FED et la BCE persistent d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui (exemple du raffineur ESSO en France qui est obligé d’assurer le minimum syndical). La pénurie a créé un « choc de pénurie » qui avait été mal anticipé par les principales banques centrales qui pensaient que dès que la machine économique mondiale tournerait à plein régime, tout rentrerait dans l’ordre, les prix devant revenir à leur étiage normal d’avant-crise, mais c’était sans compter sans le reconfinement forcé de la Chine qui a beaucoup ralenti la supply-chain mondiale.

Un autre choc externe va d’ailleurs venir chambouler la reprise économique mondiale, et c’est la perte de valeur de certaines monnaies de référence, dont l’euro vis-à-vis du dollar (perte estimée à 12% en 2022). Cette dévaluation a alors créé un environnement propice à l’inflation latente qui est née de la période de déséquilibre antérieur entre un endettement croissant, et un PIB qui a stagné.

Le deuxième phénomène qui va venir perturber une reprise plus franche de la croissance a été d’ordre météorologique, avec le retour du phénomène la niña (réchauffement climatique). Notre pays a d’ailleurs constaté une augmentation de 1°C de la moyenne du réchauffement attendu, et une saison agricole que l’on peut qualifier de catastrophique avec 35 Millions de quintaux (contre 75 en moyenne annuelle habituelle).

Et lorsque les récoltes sont moins bonnes, les prix des produits alimentaires augmentent.

Et la problématique de la hausse des prix de l’alimentation, c’est qu’elle se transmet directement à la population qui en ressent les effets immédiats dans son portefeuille, et notamment les classes défavorisées qui consacrent une part importante de leurs revenus au poste de dépenses alimentaires.    

Les prix des semi-conducteurs ont par exemple augmenté, mais ils font partie des dépenses dites somptuaires, et n’ont donc été ressentis que par ceux qui devaient acheter du matériel électronique ou une voiture.

Se rendre compte de l’inflation alimentaire entraînant le choc des salaires par les prix, et ce qui fait entrer dans la boucle inflationniste dite prix-salaires.

Quand nous constatons une érosion importante du pouvoir d’achat de tous les plus bas salaires, il n’est plus d’autre réponse acceptable que la hausse des salaires. Et c’est d’ailleurs ce que nous avons constaté avec la hausse récente du SMIG de 5% et du SMAG de 10%.

Car si tous les plus bas salaires augmentent, cela signifie que le coût de toutes les productions augmentent, et que l’augmentation des salaires risque d’être insuffisante,  parce que tous les produits que le salarié va acheter vont connaître une augmentation, parce que eux aussi auront été produits avec le concours de salariés dont les salaires avaient été également revus à la hausse. Sauf bien entendu, et ce qui serait une initiative exceptionnelle, des patrons « citoyens » décidaient de concert de ne pas répercuter la hausse de leurs coûts salariaux sur le consommateur final, ce qui demeure du domaine de l’utopie.

Mais la boucle prix salaires reste le scénario le plus plausible. L’inflation devient incontrôlable, et on rentre alors inexorablement dans ce que l’on appelle communément la spirale inflationniste, laquelle a été accélérée par le conflit Russo-Ukrainien qui sous-tend en filigrane une crise géopolitique beaucoup plus profonde entre le monde dit occidental, et le géant de l’ancien empire soviétique.

Ce conflit a touché en premier lieu les produits énergétiques (gaz et pétrole en tête mais également le néon Ukrainien) et alimentaires (grandes cultures : blé et céréales) précédemment exportés de la Russie et de l’Ukraine désormais empêtrés dans un conflit dont on ne voit pas encore le bout malheureusement.

Et pour rééquilibrer le système, il est absolument nécessaire de créer de la valeur, laquelle création suppose de disposer de ressources humaines lorsque les pays occidentaux sont déjà en situation de quasi plein-emploi (Brain drain et immigration choisie déjà engrangés dans un processus de gestation avancée et qui transparaît déjà dans la politique des visas lancée par certains partenaires historiques du Maroc).

En l’occurrence, en situation de pénurie de main-d’œuvre, qualifiée comme non qualifiée, la situation se traduit par une augmentation des salaires, lorsqu’on veut recruter des talents dont on ne dispose pas (Développeurs de logiciels informatiques), lorsqu’on parle d’hyper-qualification, au personnel non qualifié dont on a besoin pour la période des vendanges, de la cueillette, ou du personnel devant travailler dans le domaine de l’hôtellerie, des cafés et des restaurants (Saisonniers).

D’où le cercle vicieux dans lequel on se trouve enfermés ; ne pouvant pas produire de richesses supplémentaires, car on manque de main-d’œuvre, mais en revanche être obligés d’augmenter les salaires, au risque de voir notre personnel émigrer chez la concurrence. Mais lorsqu’on augmente les salaires sans création de valeur supplémentaire, on crée de l’inflation, puisqu’on verse plus de monnaie pour exactement la même valeur économique.

En outre, il ne faut pas minimiser le risque social extrêmement important de l’inflation galopante pour les populations les plus démunies.

Le deuxième danger de l’inflation étant le danger associé à l’épargne, et le danger associé à l’investissement des entreprises. Comme disait J.M Keynes : « L’inflation c’est l’euthanasie du rentier », mais il faut se méfier de cette petite plaisanterie. Car lorsqu’on a de l’hyperinflation, cela signifie que notre monnaie se dévalue, et que l’on fait disparaître l’épargne. Et ce mécanisme est dangereux, car il cisaille les mécanismes d’investissement, c’est-à-dire qu’il conduit à avoir une logique d’investissement qui essaie de pivoter vers le non-monétaire.

Investir, c’est utiliser sa richesse en monnaie, et quelque part accepter de supporter de voir sa monnaie dévaluée lorsque confiée à un tiers de confiance.

Investir c’est également espérer dégager une rémunération monétaire, c’est-à-dire accepter un aléa très fort sur notre retour sur investissement futur, alors que le risque de perdre de la valeur extrinsèque de la monnaie (valeur d’échange) est déjà présent en période de forte inflation. Les agents économiques en position d’épargner cherchent alors des valeurs refuge, que ce soit de l’or, de l’immobilier, ou des œuvres d’art, qui peuvent nous mettre également en situation de stagflation.

Par rapport à cet état de fait, les banques sont tenues de réagir.

Soyons bien clairs. La problématique de la faiblesse des revenus est du ressort de l’État. Il faut donc maintenir le pouvoir d’achat des personnes les plus exposées à l’appauvrissement dans la population domestique, à savoir, la classe moyenne inférieure, le prolétariat et la population disponible à la recherche d’un emploi.

La problématique de l’épargnant, c’est le problème des banques centrales. L’idée étant de remonter les taux d’intérêt, et rémunérer suffisamment la monnaie, pour qu’il n’y ait pas de disparition de l’épargne disponible, et que l’on ne casse pas le mécanisme d’investissement. Parce que s’il casse, on perd alors tout espoir de sortir de la crise inflationniste par le haut, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’une véritable création de richesses par la machine économique.

Paul Volcker qui est mort en 2019, est considéré comme le banquier central qui avait vaincu l’inflation aux Etats-Unis dans les années 1970. Il avait passé le taux de  base bancaire à 20%, avec une inflation ayant atteint 13%. Honni à l’époque, il avait été vénéré par la suite.

Si l’inflation se propage à l’ensemble de l’économie, bien évidemment, la récession sera inévitable.

Un des points qui a ressurgi fortement dernièrement est le risque de changes.

La problématique pour la BCE, contrairement à la FED, c’est la non-uniformité des États qui composent la zone Euro, certains étant en posture économique et financière beaucoup moins confortable que d’autres. Et la crainte évidemment, c’est qu’une remontée trop forte des taux ne crée des situations d’emprunts non soutenables par certains États européens , en risquant une fragmentation accrue de la zone euro (en donnant du grain à moudre aux eurosceptiques).

En Juillet 2022, la BCE avait eu la main ferme en annonçant par surprise une hausse de 50 points de base, quand 25 étaient attendus. Lors de sa réunion du 8 Septembre, la BCE a décidé d’une nouvelle hausse de ses taux. Elle a relevé ses 3 taux directeurs* (opérations principales de refinancement, de la facilité de prêt marginal, et de la facilité de dépôt ) qui sont passés respectivement à 1,25%, 1,50% et 0,75% à partir du 14 Septembre dernier, une première dans l’histoire de l’euro. Elle efface ainsi une décennie de taux inférieurs à 1%, voire négatifs.

Au Maroc,  le taux directeur de BAM se situe aujourd’hui à 2% , pour une inflation ayant grimpé à 8%. Les taux d’intermédiation des banques sont très élevés avec des banques nationales qui prêtent à l’économie aux alentours de 6,6%. Il faut donc rester vigilants sur ce volet des marges d’intermédiation bancaires, car en réalité les banques doivent être un outil mis au service de la croissance domestique et pas que des entreprises prédatrices destructrices de développement, d’innovation et d’investissement.

*Opérations principales de refinancement : elles consistent en des opérations de cession temporaire, destinées à fournir des liquidités de manière régulière, avec une fréquence hebdomadaire, et normalement une échéance d’une semaine.

*Facilité de prêt marginal : C’est le taux d’intérêt que les banques commerciales paient lorsqu’elles empruntent auprès de la banque centrale (Obtention de liquidité pour 24 heures)

* Facilité de dépôt : C’est le taux de rémunération des dépôts fixé par la banque centrale, auquel sont rémunérés les dépôts que placent les banques et autres établissements financiers auprès de la Banque centrale.

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