Jamal Khashoggi, journaliste saoudien de renom et trublion
Jamal Khashoggi, porté disparu depuis mardi, est un journaliste saoudien de renom, connu pour son franc-parler, qui s’est exilé aux Etats-Unis en 2017 après être tombé en disgrâce à la cour du prince héritier Mohammed ben Salmane.
M. Khashoggi, notamment rédacteur d’articles d’opinion pour le Washington Post, n’a plus été vu depuis qu’il est entré au consulat saoudien à Istanbul, selon sa fiancée.
La Turquie a affirmé en soirée qu’il se trouvait dans ce consulat, soulignant que des contacts à son sujet étaient en cours avec des responsables saoudiens. Aucune information n’a pu être obtenue par l’AFP auprès des autorités saoudiennes.
Brillant intellectuel qui aura 60 ans le 13 octobre, Jamal Khashoggi n’a jamais mâché ses mots que ce soit lorsqu’il a dirigé des rédactions dans son pays ou quand il a pris la plume depuis l’Occident pour critiquer le royaume saoudien à l’ère du puissant prince Mohammed, surnommé « MBS ».
Le 6 mars, il écrivait ainsi dans un éditorial cosigné avec Robert Lacey dans le quotidien britannique The Guardian: « Pour son programme de réformes intérieures, le prince héritier mérite des éloges. Mais ce jeune et impétueux innovateur n’a ni encouragé ni permis le moindre débat en Arabie saoudite sur la nature de ses nombreux changements ».
MBS « semble faire bouger le pays d’un extrémisme religieux d’une autre époque vers son propre extrémisme +Vous devez accepter mes réformes+, sans aucune consultation et avec des arrestations et des disparitions de ses détracteurs. Son programme ignore-t-il la plus importante des réformes, la démocratie? », interrogeait le journaliste.
M. Khashoggi a quitté son pays après une campagne d’arrestations de dissidents, dont des prédicateurs et des intellectuels, en septembre 2017.
A l’époque, il avait annoncé avoir été interdit de s’exprimer dans le quotidien panarabe Al-Hayat, propriété du prince saoudien Khaled ben Sultan al-Saoud, pour avoir défendu la confrérie islamiste des Frères musulmans, classée « terroriste » par Ryad.
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Dès septembre 2017, dans une tribune publiée par le Washington Post, M. Khashoggi écrivait: « Quand je parle de peur, d’intimidation, d’arrestations et d’humiliations publiques d’intellectuels et de dirigeants religieux et que je vous dis que je suis d’Arabie saoudite, êtes-vous surpris? ».
Jamal Khashoggi a aussi critiqué la politique saoudienne à l’égard du Yémen et du Qatar. Au Yémen, Ryad mène une guerre contre des rebelles soutenus par l’Iran et le Qatar fait l’objet d’un embargo saoudien pour ses liens présumés avec les Frères musulmans.
Homme grand de taille, portant des lunettes, une moustache et un bouc grisonnant, M. Khashoggi est né à Médine (ouest).
Proche de l’islamisme radical dans sa jeunesse, il a ensuite embrassé des idées libérales. Il a commencé sa carrière de journaliste dans les années 1980, collaborant notamment à Saudi Gazette, Okaz et Asharq al-Awsat. Jamal Khashoggi a couvert des conflits et a interviewé à plusieurs reprises en Afghanistan et au Soudan l’ancien chef d’Al-Qaïda, feu Oussama ben Laden.
Jugé trop progressiste, il avait été contraint à la démission en 2003 du poste de rédacteur-en-chef du quotidien saoudien Al-Watan. Il y était revenu en 2007, mais était reparti en 2010 après un éditorial jugé offensant pour les salafistes, courant rigoriste de l’islam qui prône une obéissance totale au gouvernant.
M. Khashoggi a longtemps entretenu des rapports ambigus avec le pouvoir saoudien, ayant occupé des postes de conseiller, notamment auprès d’un ancien ambassadeur à Washington, le prince Turki al-Fayçal, qui a aussi dirigé les Renseignements saoudiens.
Un autre prince, le milliardaire Al-Walid ben Talal, lui avait confié la direction d’une grande chaîne panarabe d’information en continu, « Alarab ». Mais ce projet, qui devait être lancé en 2015, n’a jamais vu le jour après une interdiction des autorités de Manama, proches de Ryad.
Le prince Al-Walid a lui-même été détenu entre novembre 2017 et janvier 2018 à l’hôtel Ritz-Carlton de Ryad avec des dizaines de personnalités accusées de « corruption ». Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York, s’est dit « très inquiet » du sort du journaliste, exhortant les autorités saoudiennes à « révéler immédiatement où il se trouve ».
Reporters sans frontières (RSF) a parlé aussi d’une « disparition extrêmement inquiétante ». « Nous demandons aux autorités saoudiennes mais aussi turques de (…) tout mettre en oeuvre pour que le journaliste réapparaisse au plus vite, libre », indique l’ONG basée à Paris.
L’Arabie saoudite occupe la 169e place sur 180 au Classement mondial 2018 de la liberté de la presse établi par RSF.
Avec l’AFP