La réforme de la protection sociale : le temps des interrogations .1.(Avec Saad Taoujni)

M.D : Est-ce que le projet de Loi-Cadre relatif à la Protection sociale répond aux orientations royales contenues dans les discours du Trône et celui prononcé à l’occasion de la dernière rentrée parlementaire ? Qu’en est-il notamment de la concertation avec les partenaires sociaux, de l’application des principes d’universalité et de solidarité et du respect des engagements internationaux du Maroc ?

Saad TAOUJNI : Après un diagnostic sans appel au sujet du dispositif actuel de protection sociale, marqué par un éparpillement des interventions et un faible taux de couverture (22 millions de Marocains sans couverture médicale) et d’efficacité, le Roi a insisté, dans ses deux discours, sur la nécessité d’une concertation avec les partenaires sociaux et un dialogue social constructif pour l’élaboration d’une vision pragmatique globale, incluant le planning, le cadre légal ainsi que les options de financement.

Huit mois plus tard, force est de constater qu’il n’y a pas eu de concertation ni de débat élargi à la société civile et au grand public. Ce n’est que le 9 février, que la version en langue arabe du projet de Loi-Cadre a commencé à circuler dans un cercle restreint. Il a été présenté le lundi 22 février à la Commission des Finances de la Chambre des Conseillers. Il s’agit là d’une première dans les annales de cette institution. Pourquoi la Commission sociale compétente en la matière et où siègent des représentants des syndicats et du patronat en a-t-elle été écartée ? Les « discussions » ont eu lieu deux jours après, ne laissant même pas aux groupes parlementaires la possibilité d’organiser une journée d’études pour comprendre les tenants et les aboutissants d’un domaine fort complexe et pour proposer quelques amendements. La Loi-Cadre a été adoptée le 9 mars par la Chambre des Conseillers et le 15 par la Chambre des Représentants. Un vrai rallye. D’ailleurs, les membres des deux institutions étaient trop occupés par les modifications des lois électorales et plus particulièrement par le quotient électoral. Le dialogue social effectif réclamé par la Convention 102 de l’Organisation Internationale du travail (OIT) n’aura pas lieu, pas plus que l’implication de la société civile qui n’a pas encore réagi et qui sera mise devant le fait accompli.

Mais ce qui interpelle, c’est que la Loi-cadre a été approuvée sans aucun amendement d’aucun parti ou syndicat. C’est comme s’il s’agissait d’un texte nécessitant l’unanimité absolue de tous les élus.  Pourtant, il contient de nombreuses dispositions questionnables d’un point de vue académique et dont certaines ne répondent pas aux normes recommandées par l’ONU, l’OIT, l’OMS, la Banque Mondiale et même le FMI en matière de généralisation de la Protection Sociale, de réformes du système de santé, de la fiscalité, de la Caisse de Compensation ou du secteur informel. Les données financières avancées par le Ministre des Finances dans sa présentation devant la Chambre des Conseillers ne sont pas conformes aux modèles connus. Les Allocations familiales représentent 39% du total, bien plus que les retraites ou l’AMO, etc.

Le plan de financement confond les recettes et les dépenses. Ainsi, les chiffres relatifs à la retraite relèvent de la première catégorie et ceux des allocations familiales de la seconde.  Le plan de financement qui ne différencie pas clairement les deux, n’est pas détaillé pour l’ensemble des régimes et des branches. Le fait de figer le financement à 51 milliards de DH par an, sans aucune variation, et de maintenir inchangée la population cible durant les cinq prochaines années, est déroutant pour tous ceux qui ont l’habitude d’élaborer un business-plan. Si la population assurée reste la même durant cinq ans, c’est que l’amélioration annoncée du ciblage serait inefficace.

D’autre part, personne n’a entendu parler d’une quelconque étude stratégique préalable, contenant des données économiques, démographiques, sociales, juridiques, sanitaires récentes. Les scénarios d’amélioration de la gouvernance institutionnelle, fondés sur des benchmarks et un planning détaillé, ne sont pas connus. S’agissant du cadre légal exigé par le Roi, aucun projet de loi n’a encore été présenté au Conseil du gouvernement ni a fortiori aux Conseils d’Administration des organismes gestionnaires de la protection sociale.

Mais ce qui est plus inquiétant, c’est qu’en choisissant de légiférer par le biais de la loi-Cadre, le Gouvernement se donne les moyens par les articles 18 et 19 de modifier, sans dialogue social et par voie règlementaire toutes les lois régissant les régimes existants y compris celui des travailleurs salariés et non-salariés alors que la réforme est destinée d’abord aux démunis et à l’informel. Le Gouvernement a verrouillé ainsi toute possibilité même d’un débat futur sur ces lois. L’exemple de la loi Cadre de l’Education n’est pas de nature à rassurer les partenaires sociaux.

Le Gouvernement ne devrait pas confondre vitesse et précipitation et réduire le Parlement à une simple chambre d’enregistrement et de figuration, et ce d’autant plus que, selon le planning présenté, l’année 2021 ne connaîtra que le démarrage de l’AMO des indépendants et des travailleurs non-salariés, laquelle, pour rappel, est déjà régie par la Loi 98-15 et n’exige plus que la conclusion d’accords avec les représentants des différentes catégories pour déterminer le revenu forfaitaire. D’ailleurs, le planning suscite d’autres remarques au sujet notamment de l’entrée en vigueur de l’IPE qu’à l’horizon 2025 et l’absence d’estimation de la population cible.

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