L’Afrique et l’effet des dominos

POST SCRIPTUM

Par Hassan Alaoui

Nous condamnons fermement le pronunciamiento dont le Gabon vient d’être la victime ce mercredi 30 août, et de la prise du pouvoir par une dizaine de militaires en violation de la Constitution et de la démocratie dans ce pays. Aucune justification ne saurait cautionner cette illégalité flagrante qui, désormais, s’instaure comme un recours au mépris des peuples et des institutions déjà fragilisées. Le coup d’Etat ne résout aucunement les problèmes des nations frappées par ce fléau devenu endémique.

Entre le 26 juillet dernier et le mercredi 30 août, il s’est passé quelque 24 jours, pendant lesquels une imprévisible bourrasque a traversé et bouleversé l’Afrique. Entre le coup d’Etat militaire qui a renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum et celui qui vient de faire tomber Ali Bongo au Gabon au matin du mercredi 30 août, la similitude est on ne peut plus frappante : un quarteron d’officiers galonnés – souvent de très proches du chef de l’Etat – s’empare des instruments de communication officiels , investit les moyens de la radio et de la télévision, et se proclament nouveaux détenteurs de l’autorité publique, au mieux « libérateurs de la nation et du peuple », au pire autoritaires et dictateurs, en appellent au soutien du peuple dont on soupçonne en effet qu’il n’est jamais, hormis le joutes verbales, associé aux projets de coups d’Etat.

En moins de quatre ans, ce sont désormais pas moins de cinq coups de force qui renvoient des pouvoirs installés dans les cordes. Cela devient un cas d’école, une manière de tragédie et bien entendu la rhétorique anti-coloniale – ici antifrançaise en l’occurrence – aura beau être invoquée, en l’occurrence contre la France, elle ne justifie nullement les procédures par lesquelles des militaires chamarrées, détenteurs des armes et de la force, s’en prennent illégalement du pouvoir, enferment les chefs d’Etat et leurs familles respectives, et dictent ainsi leurs conditions aux peuples respectifs.

Quels que soient les motifs ayant poussé les militaires gabonais – tout comme leurs homologues du Niger – à prendre le pouvoir sur une simple proclamation solennelle lancée à travers les chaines de radio et de télévision, rien ne les autorise à violer les institutions et à s’en prendre à un président avec cette violence qui caractérise désormais la politique de cette partie de l’Afrique, soumise de plus en plus aux caprices de juntes d’officiers aveuglés par la propagande wagnérienne qui souffle depuis quelques années sur les pouvoirs légitimes, fragilisés certes par la crise économique et sociale, livrés à des pressions extérieures, objets de prédation et de pressions, victimes de corruption endémique, enfin « largués » au machiavélisme des puissances. La question est aujourd’hui celle de savoir si cette cascade de coups d’Etat devient-elle un cas d’école, autrement dit s’institutionnalise-t-elle ou constitue-t-elle une fièvre passagère ? Beaucoup sont en effet tentés de s’interroger ainsi : à qui le tour ? Et de se tourner bien entendu vers ces « démocraties » fragiles qui ne sont pas, ou peu ou prou dans le viseur d’autres juntes militaires ? Certaines d’entre celles-ci semblent non seulement tentées mais rongent leurs freins non sans impatience, séduites par l’effet de contagion, victimes notamment de ce courant de s’en prendre à la France rendue à tort ou à raison responsable de leurs malheurs, alors qu’en tout état de cause elle s’est portée « garante » de leur sécurité, de leur protection face aux jihadistes, à al-Qaïda, Aqmi et autres mouvements terroristes implantés dans cette « zone grise » sahélo-saharienne…

Dans l’exercice de la politique, il y a les valeurs et la Realpolitik, l’une et l’autre ne sont jamais compatibles. Elles peuvent être même en opposition tant il est vrai que, confrontés au pouvoir, les responsables n’ont aucun autre choix tangible que de s’y accrocher, ensuite souvent la Realpolitik devient synonyme de cynisme, sacrifiant en effet les valeurs qui sont le tropisme inaccessible. Les militaires qui ont le 26 août dernier renversé le chef de l’Etat du Niger Mohamed Bazoum, ceux qui ont fait tomber Ali Bongo ce mercredi 30 août tout comme ceux du Mali, de Centrafrique, du Burkina Faso et de la Guinée voire au Soudan se sont tous engagés, chacun à sa manière, à restaurer l’ordre constitutionnel, jurant leurs dieux la main sur le cœur, semblent résolument accrochés aux délices du pouvoir et de la force, peaufinent désormais une carte géopolitique inédite, qui nous rappellent les années soixante-dix : autrement dit des violations anti-démocratiques avec leur cortège de déstabilisations, de politiques claniques voire mafieuses, de dictatures tout simplement instaurées ou restaurées à l’ombre de potences…

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