L’Algérie déchante : Chronique d’une déroute maquillée
CE QUE JE PENSE

C’est un communiqué qui se voulait sobre, presque administratif. Mais derrière les lignes feutrées d’un accord de réconciliation entre Paris et Alger, se cache un fracas diplomatique. Une capitulation sans tambour, une reddition sans panache, un effondrement sous anesthésie médiatique. Alger vient de plier sans condition, sans gloire, sans même l’illusion d’une contrepartie.
Une déroute savamment empaquetée, un revers brutal déguisé en « relance de partenariat ». L’Algérie n’a pas négocié : elle s’est inclinée. Et l’on ne redescend pas de son piédestal sans bruit, surtout quand on y est monté à coups de grandes déclarations et de postures rigides. Si le régime tente de camoufler cette gifle diplomatique dans les plis d’un communiqué aseptisé, personne n’est dupe. La France a parlé, Tebboune a obéi. Rideau. La scène a tout d’une tragédie moderne. D’un côté, Emmanuel Macron, froid, méthodique, stratège. De l’autre, Abdelmadjid Tebboune, affaibli, à court de souffle, contraint d’avaler l’amertume de ses propres rodomontades. Huit mois plus tôt, il s’enflammait, la main sur le cœur et le poing levé, pour fustiger la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Aujourd’hui, le même revient à la table, la tête basse, les poches vides et les illusions trouées.
Ainsi le 31 mars restera comme une date funeste pour les stratèges d’Al Mouradia. Ce qui aurait pu passer pour un banal exercice de réchauffement diplomatique s’est mué en pièce à charge. Dix points sont énumérés – dans un communiqué conjoint franco-algérien- pour relancer la machine bilatérale, dix lignes pour réinitialiser les circuits de coopération… et pas une seule mention du Sahara, pourtant érigé depuis des décennies en obsession centrale de la diplomatie algérienne. Évaporé. Volatilisé. Rayé de la carte. L’omission est trop criante pour être fortuite : c’est un enterrement diplomatique de première classe. Par ce fait, Tebboune, qui jurait que le Sahara était la « ligne rouge » à ne jamais franchir, enterre lui-même, sans cérémonie, sa doctrine favorite. Sans fleurs, sans couronnes, sans la moindre déclaration fière. Sa logorrhée habituelle, cette mécanique bien huilée qu’il déroule devant une presse docile, a soudain cédé la place à un silence penaud. C’est que la chute est rude. Humiliante même.
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Et c’est là que tout s’éclaire : rien, absolument rien, dans cet accord ne mentionne le Sahara. Ce même Sahara que les généraux algériens avaient érigé en point cardinal de leur politique étrangère, en dogme inébranlable, en ligne de front idéologique. Gommé. Éclipsé. Comme s’il n’avait jamais existé. Ce silence, plus lourd que mille discours, vaut aveu. Il signe une capitulation en rase campagne. Car ne nous y trompons pas : ce n’est pas une accalmie, c’est un désarmement. Et Paris, fin stratège, a remporté la mise sans céder d’un pouce. La marocanité du Sahara, reconnue et actée, reste. Inébranlable. C’est l’Algérie qui s’efface. C’est Alger qui avale ses lignes rouges, délavées à l’encre pâle des désillusions.
La diplomatie algérienne, si prompte à dégainer ses indignations à la demande, encaisse cette fois sans broncher. Et Tebboune, dans son numéro bien rodé face à une presse domestiquée, avait déjà préparé le terrain. Un verbiage vide, des phrases qui tournent à vide, une langue de bois si compacte qu’elle en devient presque performative. Il savait ce qui s’en venait : une reculade, une déglutition douloureuse de l’orgueil, enveloppée dans les apparences d’une pseudo-relance. Pire encore : cette débâcle diplomatique se consomme sans même un os à ronger. Le fameux accord d’association avec l’Union européenne ? Un vœu pieux. Un hochet diplomatique agité comme pour donner le change. Pendant ce temps, Paris rafle tout : la coopération sécuritaire, la relance économique, le dialogue migratoire, le dossier mémoriel. Un véritable marché à sens unique. Le supposé « retour à la normale » ressemble à un diktat élégamment signé. Et Tebboune, feignant la victoire, paraphe un acte de reddition dont il tente de masquer les contours par une posture de dignité retrouvée.
Et la France, pendant ce temps ? Elle, n’a même pas eu besoin de hausser le ton. Elle impose. Elle obtient. La liste de ses acquis est éloquente et la balance est déséquilibrée. Pendant que Paris empile les gains, Alger fait de la figuration. Que reste-t-il à l’Algérie ? Quelques miettes diplomatiques, une vague promesse de révision d’un accord européen, comme une aumône lancée à une puissance régionale déclassée. Rien de plus. Et pour que l’humiliation soit totale, le nom de Boualem Sansal surgit, tel un miroir tendu au régime. Écrivain libre, octogénaire atteint de cancer, condamné pour avoir rappelé une vérité historique connue de tous : l’amputation coloniale du territoire marocain. Sa possible libération – envisagée « pour des raisons de santé » – devient le seul geste humanitaire que le régime puisse encore offrir. Non pas par grandeur, mais par nécessité. Car la grandeur, elle, s’est enfuie depuis longtemps. C’est peut-être là que la gifle devient la plus cinglante : sur le plan symbolique. Ce que révèle le traitement du cas Sansal, c’est l’enlisement d’un système incapable de s’extraire de ses archaïsmes. Une diplomatie figée dans ses obsessions, incapable de voir que le monde a changé de cap.
Cette séquence dépasse le cadre d’une relation bilatérale entre Paris et Alger. C’est une reconfiguration profonde de l’équation géopolitique maghrébine. Le message est limpide : Alger a perdu la main. Le Sahara, jadis colonne vertébrale de sa diplomatie, est devenu un embarras, un fardeau qu’on évite désormais de nommer et qu’on jette discrètement par-dessus bord. Ce qui fut hier un totem est aujourd’hui un tabou. Faut-il rappeler que Madrid avait déjà assené une première gifle à l’ego algérien ? Aujourd’hui, Paris vient d’enfoncer le clou. Deux puissances européennes qui, de façon claire ou implicite, reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Et l’Algérie ? Elle vocifère en coulisses, mais se garde désormais de remettre en péril ses intérêts stratégiques. L’ère des diatribes tapageuses est révolue ; voici venue l’époque des compromis honteux.
Le message adressé aux capitales du monde est sans détour : le Maroc trace sa route, le monde suit. L’Algérie, elle, s’épuise à courir après ses propres mirages, piégée dans ses contradictions, engluée dans une hostilité aussi stérile qu’obsessionnelle envers Rabat. Elle doit désormais composer avec une réalité qu’elle ne maîtrise plus. Car pendant qu’Alger collectionne les humiliations, Rabat avance. Calme, méthodique, sûr de sa vision, le Maroc convainc, fédère, solidifie ses alliances avec constance. Il n’a pas eu besoin de crier pour être entendu. Il a exposé des faits, bâti des ponts, consolidé ses positions. Et cela suffit. C’est là donc toute la différence : quand l’un tempête pour exister, l’autre construit pour durer. Quand l’un s’enferme dans des postures idéologiques surannées, l’autre ouvre les portes d’un avenir structuré, moderne, cohérent.
C’est dire qu’en diplomatie, le silence peut résonner plus fort qu’un coup de canon. Celui du 31 mars a tonné à Alger. Et sa résonance sera durable. Ce 31 mars ne marque pas une simple reprise diplomatique, il consacre la faillite d’un régime à bout de souffle, qui croyait encore pouvoir jouer les gendarmes du Maghreb, et se retrouve relégué au rang de figurant sans script. À ses dépens, à force de vouloir imposer sa vérité par le vacarme, l’Algérie découvre que le monde préfère désormais le langage des faits.
Et tandis qu’Alger s’embourbe dans ses renoncements, le Maroc avance. Calme. Sûr. Souverain.