Laura Palatini : « L’intégration socio-économique des migrants au Maroc, un défi à relever »

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

La politique migratoire du Maroc est un exemple à suivre pour le monde entier, a déclaré en novembre 2022 à Fès le directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), António Vitorino. Cette déclaration intervenait à un an de la célébration des 10 ans de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA).

Selon le Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies (2020), il y a près de 103.000 migrants internationaux au Maroc incluant des migrants en situation irrégulière et régulière, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ce nombre de migrants présents sur le sol marocain, Laura Palatini – Cheffe Mission de l’OIM Maroc, estime que « cette richesse et complexité, bénéfique certes, laisse lieu à un certain nombre de défis à relever, notamment pour l’intégration socio-économique des migrants. »

Dans ce contexte, l’OIM relève que les différents projets, mis en œuvre avec ses partenaires, dans chacun de ces axes thématiques visent dans leur ensemble à améliorer les conditions de la population migrante, à promouvoir l’inclusion socioéconomique ainsi qu’à mettre en place des initiatives interculturelles et de vivre ensemble destinées aux migrants, aux membres de leur famille et aux communautés d’accueil.

l L’Organisation Internationale pour les migrations (OIM) a ouvert sa mission à Rabat en 2007, comment cela a impacté sur la politique de l’OIM en termes préventions et de gestion des flux migratoires en Afrique du Nord ?

– En effet, depuis l’ouverture de son Bureau à Rabat en 2007, l’Organisation internationale pour les migrations concentre ses activités, à l’échelle nationale, autour de trois axes thématiques principaux à savoir l’axe protection et résilience, l’axe migration, gouvernance et développement et, enfin, l’axe d’appui à la jeunesse. Les différents projets, mis en œuvre par l’OIM et ses partenaires, dans chacun de ces axes thématiques visent dans leur ensemble à améliorer les conditions de la population migrante, à promouvoir l’inclusion socioéconomique ainsi qu’à mettre en place des initiatives interculturelles et de vivre ensemble destinées aux migrants, aux membres de leur famille et aux communautés d’accueil. Ainsi, depuis l’ouverture du Bureau à Rabat, l’OIM fournie un appui au Gouvernement Marocain pour renforcer une bonne gouvernance des politiques migratoires et collabore avec un large éventail de partenaires pour la promotion d’une migration sûre, ordonnée et régulière.  L’approche suivie par l’OIM consiste plutôt à promouvoir le potentiel qu’offre la migration pour obtenir des résultats en matière de développement durable prenant en considération les droits des migrants. L’OIM reconnaît que, lorsqu’elle est bien gérée, la migration peut être tout à la fois une stratégie en faveur du développement et un résultat de développement. C’est dans cette perspective que nous promouvons les canaux de la migration régulière et nous saluons toute initiative dans ce sens.

 l Aujourd’hui pays de départ, de transit et d’accueil de migrants, comment décririez-vous la situation de la migration au Maroc ?

– De par sa position géographique particulière, à la jonction entre les continents européen et africain, le Maroc a toujours été un territoire de brassage et de cohabitation.  Il s’est néanmoins érigé durant ses vingt dernières années en carrefour de différentes formes de migrations et, plus récemment, en pays d’accueil. Cette richesse et complexité, bénéfique certes, laisse lieu à un certain nombre de défis à relever, notamment pour l’intégration socio-économique des migrants.

A travers sa politique migratoire, notamment la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA), le Maroc a fait preuve de son ambition d’assurer une meilleure gestion des flux migratoires. Depuis l’adoption de cette Stratégie nationale, qui place l’intégration des migrants comme un de ses objectifs, plusieurs initiatives ont été mises en place. Ces initiatives, dont nous citons sans nous y limier les campagnes de régularisation de 2014 et 2017, ont permis si je puis dire la matérialisation de certains aspects de la SNIA et le renforcement de la protection des droits fondamentaux des migrants. En 2023 nous célébrons les 10 années de la SNIA en souhaitant des pas additionnels vers son opérationnalisation concrète et complète.

Selon le Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies (2020), il y a près de 103.000 migrants internationaux au Maroc incluant des migrants en situation irrégulière et régulière, des réfugiés et des demandeurs d’asile. En considérant uniquement les migrants Africains présents sur le territoire Marocain, ceux-ci sont originaires principalement de Guinée, du Nigéria, du Mali, de Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun et récemment aussi du Soudan et du Yémen.

l Le Maroc se trouve confronté à une situation complexe et doit relever le défi d’élaborer une politique globale en matière de migration, comment définiriez-vous votre stratégie ?

– Grâce à l’engagement de différents acteurs institutionnels (nationaux, régionaux et locaux) et de la société civile, l’OIM soutient la mise en place de 11 principaux programmes d’actions sectoriels et transverses (notamment portés sur l’éducation, la santé, le logement, la protection sociale, l’emploi, la traite des êtres humains, la coopération internationale, la gouvernance, etc.) visant à assurer l’atteinte des objectifs de la SNIA qui s’alignent avec les besoins essentiels des migrants.  La complexité de la situation migratoire au Maroc fait que nous œuvrons à mettre en place différents partenariats et initiatives pour répondre aux besoins exprimés par les migrants tout en assurant une approche commune et unifiée.

Par ailleurs, le Maroc a lancé en 2015 la régionalisation avancée qui vise à donner plus de pouvoirs et d’autonomie aux collectivités territoriales en donnant un rôle plus important qu’avant aux régions. A cet égard, l’OIM en étroite collaboration avec ses partenaires, soutien et accompagne les collectivités territoriales afin d’intégrer la migration dans le plan de développement régional et les plan de développement local. Nous œuvrons également à renforcer les capacités des acteurs locaux en matière de la bonne gouvernance de la migration et encourager les échanges structurés et le partage des bonnes pratiques entre les différents partenaires à l’échelle locale, nationale et internationale.

Il convient également de noter que l’OIM Maroc met en œuvre des programmes et des initiatives en étroite collaboration avec les pays de la région Moyen-Orient & Afrique du Nord afin de faciliter les échanges, les leçons apprises et de mieux trouver des solutions durables pour une meilleure protection et intégration des personnes en situation de vulnérabilité, notamment les migrants dans les pays d’origine de transit et d’accueil.

l Migrations économiques, mouvements de réfugiés et de demandeurs d’asile, migrations irrégulières, traite des personnes, migrations internes, migrations environnementales, rares sont les dynamiques migratoires qui ne sont pas présentes sur le territoire. A ce jour, lequel de ces flux migratoires est plus présents au Maroc voire le Maghreb ? Quelles dimensions représentent vos priorités ?

– L’ensemble des dimensions représentent une priorité pour l’OIM.  Cependant, au Maroc, nous avons ce que l’on appelle le flux migration mixtes (1)  et c’est pour cette raison que nous travaillons de façon très coordonnée et concertée avec le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR). Dans ce contexte l’OIM en partenariat avec les acteurs institutionnels et associatifs au niveau national et local, fournit une assistance en temps opportun aux migrants en situation des vulnérabilités, notamment les femmes, les enfants non accompagnés et séparés, les personnes âgées, en leur offrant une assistance humanitaire, sanitaire et psychosociale ainsi qu’une assistance au retour volontaire et à la réintégration au pays d’origine pour ceux et celles qui le souhaitent.  Etant un Pays d’accueil également, en parallèle à ce que j’ai présenté à l’instant, l’OIM a met en place des initiatives afin de promouvoir l’inclusion sociale par l’insertion professionnelle des jeunes migrants en situation administrative régulière installés au Maroc. Ceci est un aspect essentiel pour assurer leur protection et leur contribution aux efforts de développement de leur société Marocaine.

l Adopté en 2018, la mise en œuvre prévue du Pacte mondial pour des migrations n’est-elle pas retardée par les questions de souveraineté nationale des Etats ? Fait-il face à l’insuffisance actuelle du droit international des migrations pour assurer la protection effective des migrants ?

– Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières constitue certes une feuille de route mise à la disposition des Etats pour une gestion effective des migrations sous l’ensemble de leurs dimensions, mais n’oublions pas que sa mise en œuvre reste spécifique au contexte, stratégies, priorités et capacités de chaque pays. Les objectifs présentés par le Pacte dressent les lignes directrices d’une gouvernance des migrations internationales dans le respect des droits de humains de tous les migrants, leurs atteintes quant à elles différent d’un Etat à un autre. C’est pour cela que le pacte souligne l’important d’une coopération internationale renforcée afin de relever les défis les plus complexes et d’optimiser les avantages généraux de la migration pour tous.

Le Maroc est parmi les pays champions dans la mise en place des 23 objectifs du pacte mondial, notamment dans la promotion et le partage des bonnes pratiques dans le cadre de la coopération sud-sud, la promotion des canaux de migration régulière, en offrant des possibilités de travail et de formation, le renforcement de la coopération internationale et les partenariats mondiaux pour une migration sûre, ordonnée et Régulière, ainsi que d’assurer le lien avec les objectifs liés aux  objectifs du développement durable.

Le Pacte mondial pour les migrations est juridiquement un document non contraignant, que nous considérons comme la référence primaire en matière de protection des droits des migrants actuellement est en lui-même fondé sur le droit international.

Il faut également souligner que le Royaume du Maroc est présent activement dans tous les forums régionaux et processus consultatifs pertinents sur la migration, que ce soit en Méditerranée occidentale (Dialogue 5 + 5) ou plus largement dans le cadre du Processus de Rabat. De même, le Maroc en étroite coordination avec l’OIM a organisé plusieurs forum régionaux et mondiaux sur Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Il est aussi un acteur actif dans le cadre du système des Nations unies, pour défendre les droits des migrants et promouvoir la mobilité, comme en témoigne par exemple la contribution du Royaume aux travaux du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

l Le Pacte de Marrakech fait-il face au risque d’une mise en œuvre limitant son influence sur la gouvernance mondiale des migrations ?

– Plusieurs pays, dont le Maroc, se sont érigés en pays champions du pacte de Marrakech grâce à leur appropriation de ses objectifs et à un avancement remarqué de sa mise en œuvre. Cela prouve que la mise en œuvre relève dans un premier temps d’une appropriation des objectifs par chaque état, s’ensuit leur mise en œuvre en adéquation avec les différents contextes et priorités propre à chaque pays. Une gouvernance mondiale des migrations repose quant à elle sur une coopération internationale, déjà existante certes, mais que nous devons œuvrer à renforcer encore plus. Il faut aussi noter le premier Forum d’examen des migrations internationales qui a eu lieu au siège des Nations Unies à New York du 17 au 20 mai 2022 a eu pour objectif principal d’examiner les progrès accomplis aux niveaux local, national, régional et mondial dans la mise en œuvre du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Il est aussi à signaler que le Royaume du Maroc a organisé plusieurs événements de dialogue mondiaux et régionaux pour discuter les opportunités et les défis rencontrés dans la mise en place de pacte mondial. C’est dans cette optique que s’est tenue le dialogue informel des pays champion du Pacte les 26 et 27 janvier 2023 à Rabat. Ce dialogue interrégional organisé par le Royaume du Maroc et l’OIM présentait l’opportunité de réunir les représentants de 16 pays autour d’une discussion ouverte qui vise à encourager les initiatives d’apprentissage par les pairs et identifier des synergies pour renforcer la coopération interrégionale, et se préparer pour le prochain cycle d’examens régionaux du Pacte. Les discussions se sont concentrées sur certains thèmes spécifiques comme les données migratoires, entre autres, et ils ont sortis des recommandations qui seront partagées brièvement.

l Un traitement complémentaire et conjoint de la question migratoire entre toutes les parties prenantes (gouvernements, société civile, agence des nations unies et migrants) est indispensable, quels sont vos angles d’attaques pour permettre une meilleure mise en œuvre de votre politique ?

– Réunir l’ensemble des parties prenantes autour d’un objectif commun, l’intérêt et les droits des migrants, reste notre angle d’attaque principal. L’ensemble des initiatives mises en place par l’OIM veillent à assurer une approche participative et inclusive. A cet égard, nous soutenons les efforts du Gouvernement pour intégrer la migration aux niveaux sectoriels à l’échelle nationale et locale, afin que La migration soit reconnue comme un vecteur de développement durable. Ce travail est en ligne avec la Stratégie Nationale de l’Immigration et de l’Asile (SNIA) ainsi que la stratégie nationale en faveur des Marocains Résidents à l’Etranger. Nous veillons également à assurer une coordination et une synergie parfaite avec nos différents partenaires institutionnels, de la société civile ou Onusiens, notamment dans le cadre du Plan-cadre des Nations Unies d’aide au développement, afin de s’assurer de mettre en place un mécanisme de réponse aux besoins des migrants effectif et pratique.

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