Le journalisme et ses ADN

D’un site électronique l’autre, d’une « feuille de chou » à des magazines de luxe au papier glacé et aux images rutilantes, la presse marocaine donne l’illusion d’une prospérité homérique ! Pourtant, l’arbre ne peut cacher la forêt, tant il est vrai que cette floraison de titres et de signatures ne doit guère nous tromper, elle participe d’une fausse abondance, à la limite d’une régression qui est à présent la caractéristique essentielle de ce journalisme qui n’en a que le nom. De ce journalisme racoleur, véreux même qui nous vampirise.

Le ministère de la Communication – en voilà encore une aberration dans un pays qui se dit démocratique et libéré des dogmes ! – recense, semble-t-il, pas moins de 600 sites actifs « d’information », les uns aussi sensationnalistes que les autres. De ceux qui prétendent posséder la technologie, la maîtrise du traitement de l’information et le langage compulsif – numérique mais écrit – à ceux qui incarnent l’information roturière, perdus dans le maquis des innombrables titres et genres, le champ de la presse nationale est désormais brouillé.

C’est à qui mieux, mieux d’annoncer la nouvelle – on  disait autrefois le scoop -, sur la fortune du Roi, les scandales répétitifs qui font le miel de quelques feuilles de chou, enfin…un trémolo médiocrement inspiré et imprégné de la technique de la presse racoleuse et scandaleuse, mais dérisoire et pour cause !

Plus les personnalités mises en cause sont «importantes et élevées  » dans la hiérarchie sociale, politique, financière ou même militaire, plus on croit en faire ses choux gras, avec une catastrophique boulimie de les mettre en joue, voire dans le viseur. Sauf que l’information racoleuse, souvent non vérifiée, je veux dire non recoupée, devient fugace et relève de ce qu’on appelle aujourd’hui « Lügenpresse » ( presse mensongère ). Son existence dans le temps ? Une heure, un peu moins, une minute même, le temps que d’autres s’en emparent et la triturent à leur manière, la soumettent au moule. Ce qui diminue son originalité, on dit son exclusivité…C’est le principe qu’une information qui avait pour objectif de captiver est à présent dépassée une minute après sa diffusion. On disait autrefois que l’information, ce n’est pas lorsqu’un chien mord un curé, mais, originalité oblige,  lorsqu’un curé mord un chien…Autrement dit l’insolite…

Il n’y a plus de scoop, parce que la durée de celui-ci est altérée ! Il ne reste que le commentaire, l’analyse, la critique, la mise en perspective de l’information avec la vigilance qui sied à une presse responsable qui respecte ses lecteurs et ne les prend pas en otage…Ne faut-il donc pas, d’ores et déjà, commencer à réfléchir à cette nouvelle presse ? A réinventer un néo-journalisme, celui des dossiers et des synthèses, de la pertinente perspective et de la conviction que l’écrit, et seul l’écrit nous permet de mettre en œuvre. Non que l’on soit opposé au numérique – bien au contraire – , mais ce dernier devrait sortir de l’ornière qui le menace : tuer l’analyse, au nom de la rapidité, et habituer les lecteurs à la paresse intellectuelle. C’est peu dire en effet que la presse devrait revoir son code génétique pour retourner à sa mission originelle, qui est d’abord expliquer et non conditionner, non fourvoyer.

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