L’écologie politique, réalisme scientifique ou utopie révolutionnaire ?
«Notre biosphère est sacrifiée pour que les riches des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. Ce sont les souffrances du plus grand nombre qui paient pour le luxe du plus petit nombre. Et si les solutions au sein du système sont impossibles à trouver, nous devrions peut-être changer le système lui-même». C’est en ces termes qu’une Suédoise de 15 ans s’est exprimée à la tribune des Nations unies devant un parterre de chefs d’Etat auxquels elle a, sans complexes, volé la vedette. Un discours radical qui séduit la jeunesse, impressionne les masses, et fait trembler les grands de ce monde au point de faire de la jeune activiste la personnalité de l’année 2019.
Malgré sa fascination médiatique, le discours écologiste sonne pourtant comme un appel à la révolution, la vraie, celle qui veut non seulement changer des dirigeants ayant échoué mais changer la société elle même. Face à ces accents révolutionnaires, le conservatisme peine à se faire entendre, si ce n’est par la voix d’un Donald Trump, fustigeant au sommet de Davos les «prophètes de l’apocalypse» en réponse à «la maison brûle» de la jeune activiste.
Deux camps irréconciliables se dessinent et s’organisent sur la scène politique internationale, avec un clivage aussi net que jadis entre marxisme et capitalisme. L’écologie serait-elle ainsi devenue la nouvelle révolution ?
Le fondement scientifique
Avant d’être un courant politique, l’écologie était une branche des sciences naturelles, dont l’objet est d’étudier le rapport entre les êtres vivants et leur milieu. Appliquée à l’homme, elle a montré une tendance autodestructrice des activités humaines comme au XVIIIème siècle la déforestation, puis à partir de la Révolution industrielle, le pillage des énergies fossiles. Mais c’est surtout l’atome, à partir de 1945, qui a transformé l’écologie en courant politique, lorsque la théorie des jeux a montré une inévitable course aux armements dont l’utilisation ne laisserait aucun survivant. Ce n’est que depuis les années 70, que les écologistes se sont emparés du climat, lorsque les progrès de la statistique ont fait de la météorologie une science à peu près fiable. Des décennies de relevés climatiques introduits dans des ordinateurs capables de les traiter ont alors prédit le réchauffement à moyen terme d’une planète en danger, sans autre solution, à ce jour, que la remise en cause pure et simple du progrès industriel.
Le péché originel
C’est donc un modèle mathématique qui prédit l’apocalypse climatique, dans une tragédie où l’homme s’autodétruit, dans sa recherche de survie. Il rappelle, néanmoins, étrangement le concept religieux du péché originel, où l’humanité court à sa perte en tentant de revenir sur le mauvais chemin où elle s’est égarée. L’écologie devient ainsi une philosophie.
Les premiers écologistes ont, d’ailleurs, eu une grande influence sur la pensée de Jean- Jacques Rousseau, qui oppose un état social instable et destructeur de l’humanité à l’état de nature idéalisé comme une harmonie pérenne entre les êtres. L’idée rousseauiste fait ainsi le lien entre nature et société, rapprochant la protection de l’environnement et la lutte sociale. Et s’ils ne citent que rarement la philosophie des Lumières, les nouveaux écologistes s’inscrivent, sans doute, sans le savoir, dans cette tradition rousseauiste d’un pacte social méphistophélique que l’on retrouve dans les discours de Greta Thunberg.
Le besoin d’un contre modèle
En proposant de revenir à un état de nature où l’homme vit en harmonie non seulement avec son environnement mais avec la nature humaine elle-même, l’écologie politique propose, ni plus ni moins, qu’un contre modèle de société. Les sciences sociales le lui fournissent sous le nom de «décroissance». Ce concept trouve sa source dans les travaux de John Meadow, qui en 1972, dans un rapport commandité par le MIT, s’interrogeait sur la possibilité, à partir des mêmes modèles statistiques complexes que permettaient les nouveaux ordinateurs, de décrire différents états futurs de l’humanité en extrapolant les indicateurs économiques et démographiques. Il s’est notamment posé la question de savoir jusqu’où pouvait aller la croissance économique, sur le long terme, et a conclu, comme la théorie écologiste, à un épuisement des ressources d’une humanité, de plus en plus, nombreuse et vorace. A l’époque où les statistiques ont commencé à prédire le réchauffement climatique, des travaux similaires appliqués à l’économie ont aussi modélisé l’effondrement du système capitaliste, d’où la convergence méthodologique et idéologique entre écologie et socialisme Dans la foulée du rapport Meadow, des économistes de gauche, dont certains se retrouvent dans les mouvements écologistes, ont remis en cause la notion de croissance comme principal objectif économique. Ils se sont demandés si le partage des richesses existantes plutôt que leur augmentation pouvait non seulement sauver l’humanité, mais également la rendre plus heureuse.
Entre réalisme et utopie, les écologistes restent les idiots utiles de l’enjeu climatique.
La dérive totalitaire
La décroissance offre une doctrine au discours écologiste dont la principale faiblesse est de ne pas pouvoir, à ce jour, proposer d’alternative technique à la pollution, tant les énergies renouvelables sont loin de produire la quantité d’énergie nécessaire à l’économie décarbonnée. Ce discours implique un renoncement au bien-être tel que notre société le conçoit, c’est-à-dire le confort matériel. Comme jadis le marxisme, l’écologie devient ainsi punitive et moralisatrice, avec un name and shame permanent, qui vient entraver la tranquillité des sociétés capitalistes, comme le rêve de celles qui cherchent à le devenir. Elle s’impose non seulement à la sphère publique et sociale mais à l’individu lui-même jusque dans son intimité. Elle devient totalitaire dans sa quête d’un homme nouveau, indifférent au confort mais doté d’un sens moral. Elle peut alors citer Karl Marx et son : «besoin pratique, égoïsme, voilà le principe de la société bourgeoise.»
Les limites des modèles prédictifs
Si la science donne à l’écologie sa légitimité et lui offre un argument d’autorité, elle est également sa faiblesse. Le marxisme, en son temps, se voulait aussi scientifique lorsqu’il prédisait la dictature du prolétariat, ce qui ne l’a pas empêché d’être invalidé par l’histoire. Tout raisonnement scientifique est, en effet, une extrapolation de situations observées par le passé, desquelles on a voulu tirer des lois universelles. La statistique l’est plus que tout autre, puisqu’elle repose sur l’identification d’algorithmes reliant mathématiquement des séries de données observées sur des réalités, sans rapport apparent pour en faire une causalité. Si ce procédé prédictif fonctionne assez bien en circuit fermé, il est, en revanche, incapable de prédire les cygnes noirs, un concept inventé par un ancien trader libano- américain pour décrire les événements imprévisibles à l’impact considérable. Or de l’invention de la roue à l’atome, en passant par le 11 septembre ou Internet, le progrès humain n’est qu’une série de cygnes noirs qui ont bouleversé l’organisation politique, le niveau de vie, le cadre intellectuel, ou la vision du monde. Si nul ne peut prétendre détenir l’avenir, on peut, raisonnablement, parier qu’un prochain cygne noir viendra soit résoudre la crise climatique, soit la rendre obsolète. Innovation technologique ou bouleversement des modes de vie, l’humanité s’est en effet toujours sauvée de ses propres démons pour créer un monde meilleur. Et n’en déplaise aux chantres de la décroissance, le meilleur se traduit en économie par plus de valeur, et donc de croissance.
L’innovation politique
Mais si Greta Thunberg a tort dans son raisonnement apocalyptique, cela ne donne pas pour autant raison à Donald Trump dans son conservatisme acharné. Le président américain nie le problème climatique pour ne rien changer au système qui fait sa fortune. Tous deux ont faux, le premier parce qu’il rejette le progrès pour sauver la rente, la seconde parce qu’elle cherche à détruire le système capable de résoudre le problème qu’elle dénonce. La pression écologiste sert certainement les intérêts politiques d’une minorité frustrée de sa position sociale. Mais elle a ce mérite, c’est qu’en rendant impossible la vie des gens à coups d’interdits et de réglementations, elle les contraint à l’innovation, jusqu’au jour où l’un d’entre eux trouvera la solution. D’ici là, entre réalisme et utopie, les écologistes restent les idiots utiles de l’enjeu climatique.
Par Nabil Bayahya