L’émergence du Sud global : Aspirations africaines pour une géopolitique équilibrée
Par Mouhamet Ndiongue
Ce concept de Sud global, en tant que mouvement de contestation et de refus du paradigme dualiste Est-Ouest, trouve ses racines historiques dans le mouvement des Non-alignés, qui a émergé à Bandoum et qui témoignait de la volonté des pays du Sud de tous les continents de se regrouper pour faire front commun.
Aujourd’hui, la configuration mondiale n’est pas si différente. On observe toujours une division entre le bloc occidental et le bloc non occidental, représenté notamment par la Russie et l’Iran. Les pays africains se trouvent pris au milieu de ces deux camps et sont confrontés à la pression de choisir un camp plutôt qu’un autre.
C’est dans ce contexte que la notion de Sud global a émergé. Elle reflète la volonté des pays du Sud, notamment ceux d’Afrique, de se dégager de l’emprise des puissances occidentales et de prendre leur destin en main. Cette volonté d’émancipation s’appuie également sur la résurgence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) depuis l’arrivée de Lula au pouvoir au Brésil. Ces pays émergents cherchent à redéfinir les équilibres géopolitiques mondiaux et à se positionner en dehors des blocs traditionnels.
La notion de Sud global soulève ainsi des questions cruciales comme la souveraineté stratégique, l’indépendance diplomatique et la quête d’un équilibre mondial plus juste. Elle met en lumière les aspirations des pays africains à se libérer des contraintes imposées par l’Occident et à trouver leur propre voie de développement.
Cependant, il est important de souligner que le chemin vers cette indépendance géopolitique est semé d’obstacles. Les pays africains doivent relever des défis économiques, sécuritaires et politiques pour pouvoir réellement s’émanciper. De plus, la notion de Sud global, bien qu’intéressante, reste pour le moment une notion plus théorique qu’une réalité tangible. Les instruments et les outils nécessaires pour parvenir à une réelle émancipation géopolitique doivent encore être développés et mis en place de manière inclusive et équilibrée.
C’est dans ce contexte que le Maroc se profile comme une figure de proue dans la dimension géopolitique africaine. Depuis sa réintégration dans l’Union africaine, le Maroc a adopté une politique africaine vigoureuse, cherchant à consolider son leadership diplomatique sur le continent. Son approche économique offensive, notamment à travers le développement de relations commerciales et bancaires solides, lui confère une influence régionale croissante. Cependant, il est essentiel de veiller à ce que cette influence ne soit pas une reproduction des anciennes dynamiques de domination économique, mais plutôt un levier pour permettre une réelle autonomie et un rééquilibrage des relations internationales.
Trouver des équilibres économiques
Au cours de la dernière décennie, l’Afrique est devenue l’une des économies à la croissance la plus rapide au monde. D’ici 2030, le continent abritera près de 1,7 milliard de personnes de plus en plus aisées. Les dépenses des consommateurs et des entreprises devraient atteindre 6 700 milliards de dollars, selon la Brookings Institution. Les entreprises se tourneront sans aucun doute vers l’Afrique pour trouver des opportunités.
Le nouvel ordre géopolitique et géoéconomique a une importance considérable pour les pays du Sud, tout comme les politiques de développement des acteurs occidentaux. La confrontation systémique entre la Chine et les États-Unis, la guerre entre la Russie et l’Ukraine et les coups d’État militaires au Niger illustrent clairement la difficulté accrue de l’environnement dans lequel les efforts de coopération mondiale doivent désormais s’inscrire.
Lire aussi : 2023, une année marquée par une géopolitique turbulente
Les acteurs des pays du Sud ne sont plus de simples observateurs en marge des conflits géopolitiques, mais ils jouent désormais un rôle de concepteurs. Ils sont fortement courtisés par les pays occidentaux ainsi que par la Russie. Parallèlement, la Chine et l’Inde en particulier cherchent à jouer un rôle de premier plan en tant que porte-parole du Sud. Certains points essentiels méritent d’être soulignés :
Les changements survenus dans le système international ont donné au Sud global, en tant que groupe, un nouvel élan identitaire, similaire à celui de l’Occident, malgré les importantes différences entre les acteurs de ce groupe. Il est important de noter que cette division Nord/Sud rend moins visibles d’autres similitudes éventuelles. Il convient donc d’adopter des approches visant à contrer les blocs bien ancrés et à créer des formats d’échange et de communication efficaces.
Du point de vue des acteurs du Sud, l’ordre international existant est un système profondément injuste qui protège avant tout les intérêts de l’Occident, et en particulier ceux des États-Unis. Les offres politiques de l’Occident qui ne conduisent pas réellement à des changements structurels ont donc peu de chances d’intéresser les pays du Sud et d’encourager des contre-propositions, qu’elles proviennent de la Chine, qui revendique le leadership du Sud, ou de la Russie.
La politique de développement des acteurs de l’OCDE a potentiellement un rôle majeur à jouer dans le remodelage des relations avec le Sud global. D’une part, elle témoigne de leur crédibilité internationale, y compris du respect de leurs obligations internationales, et d’autre part, elle constitue une approche qui peut contribuer à résoudre les problèmes internationaux.
Étant donné les tensions croissantes dans les régions en développement, la politique de développement occidentale sera probablement confrontée à de nouvelles situations difficiles, avec des risques d’escalade et d’échec, comme cela a été le cas au Niger et en Afghanistan. La politique de développement doit donc prendre en compte de manière plus consciente le contexte géopolitique dans sa stratégie et ses actions. Le contexte géopolitique dominant présente le risque de reléguer au second plan la mission initiale de la politique de développement, à savoir le développement durable des pays partenaires.
Dans l’ensemble, il est nécessaire de repenser la façon dont le partage international du fardeau des programmes de développement et du financement climatique est organisé. Il est important de prendre en compte à la fois les acteurs du Nord et ceux du Sud.
Le Maroc économique dans les échanges Sud-Sud
Dans les derniers rapports du World Economic Forum sur l’indice de compétitivité globale, le Maroc améliore son classement en passant du 73e au 70e rang mondial. Sur le continent africain, le Royaume se positionne comme étant le 3e pays le plus compétitif, derrière l’Afrique du Sud (52e) et le Rwanda (63e). Les rédacteurs du rapport consacré à l’Afrique rappellent que l’intégration régionale et le développement des échanges transfrontaliers ne peuvent qu’améliorer cette compétitivité et favoriser une meilleure répartition des effets de la croissance. Compte tenu de ce positionnement, il paraît donc évident que le Maroc a un rôle à jouer dans le développement économique d’un continent qui sera, d’ici 2050, la première puissance démographique dans le monde et, de manière plus large, dans ce nouvel ordre commercial qui verra la part des pays du Sud exploser d’ici 2050. Nous avons donc souhaité dans ce dossier interroger, questionner et analyser, les défis et les enjeux qui sont devant nous, lorsque le Maroc échange avec les autres pays du Sud, en Afrique, mais aussi en Amérique latine ou en Asie.
Dans un premier temps, nous avons cherché à dresser un état des lieux et surtout des tendances dans lesquelles les échanges du Maroc s’inscrivent : qu’il s’agisse des obstacles auxquels nous sommes confrontés, de la stratégie économique et politique mise en œuvre ou encore des réalisations avec l’Amérique du Sud ou l’Afrique.
Puis, dans un deuxième temps, nous nous sommes tournés vers ceux qui « font » les échanges : les entreprises. Une étude de terrain analyse globalement leurs pratiques à l’international. Puis, une entreprise (Bottu) et des secteurs d’activités (les médias et l’art) sont examinés afin de mieux comprendre ce qui est en jeu.