L’Engagement Panafricain : Assise des Relations entre le Maroc et le Sénégal

TRIBUNE

Cherkaoui Roudani

Évoquer le Sénégal sans mentionner l’un de ses pères fondateurs, connu par sagesse et son art d’apercevoir les défis de son pays, équivaudrait à une lacune éthique et morale. Léopold Sédar Senghor, homme politique éclairé et visionnaire, soulignait avec justesse que « le vrai politique est celui qui sait écouter les silences ». Ainsi, dans le tumulte de l’arène politique, où les discours résonnent comme des éclats de tonnerre et les débats font rage comme des tempêtes, il est aisé d’oublier l’importance des moments de silence. Cependant, par-delà les cris et les slogans, ce sont souvent les non-dits qui portent le plus de poids, détenant des vérités plus profondes que les mots eux-mêmes.

Les élections présidentielles au Sénégal ont provoqué un bouleversement politique majeur, marquant une transition radicale dans le paysage politique tant national que régional. L’accession au pouvoir d’un parti d’opposition, connu pour son opposition aux normes établies, représente une révolution politique significative, illustrant une transformation profonde de la scène politique sénégalaise. Ce tournant est symbolisé par l‘effondrement de l’ancienne classe politique, symbolisée par les trois principales figures qui se sont présentées à la course présidentielle à savoir l’ancien Premier ministre Amadou Ba, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, et l’ancien maire de Dakar et leader socialiste Khalifa Sall, ainsi que Karim Wade qui a été exclu de la liste des candidats. Néanmoins, ces élections ont également mis en évidence la robustesse de la démocratie dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Il convient de souligner que le comportement de la classe politique, toutes tendances confondues, témoigne de la sagesse et de la responsabilité politiques de l’establishment sénégalais.

Malgré sa libération de prison seulement dix jours avant le début de la campagne électorale, Bassirou Faye, avec le soutien de son mentor Sonko, a mené une campagne spectaculaire, adoptant une approche politique efficace et un style distinctif. Alors que plusieurs pays de la région ont été confrontés à des changements de régime inconstitutionnels, le Sénégal a choisi la voie politique et démocratique, renforçant ainsi son engagement envers les principes démocratiques et l’État de droit. Quoi qu’il en soit, ce changement représente indubitablement une rupture. Pour ce faire, le nouveau président prône une transformation totale avec les anciens régimes, mettant l’accent sur la reconstruction du système politique sénégalais. Dans la lecture de son programme électoral, le nouveau président prévoit de limiter les pouvoirs du président de la République et de renforcer l’indépendance des pouvoirs judiciaire et législatif. Bien qu’il ait tenté de rassurer les partenaires étrangers du Sénégal, sa démarche implique une révision des accords économiques avec les partenaires internationaux dans des secteurs vitaux à l’image de l’énergie, ainsi que l’établissement d’une souveraineté monétaire par la création d’une monnaie nationale et la sortie du système monétaire ouest-africain lié à la France.

Dans ce contexte et face à cette évolution politique, il est légitime de se questionner sur l’avenir des relations de ce pays à l’échelle régionale, africaine et internationale. Si l’étude de cette transformation d’un mouvement syndical contestataire en une force politique est essentielle, il est également crucial d’analyser ces développements dans le cadre plus large de la dimension cognitive des changements que connait la région et la sous-région et l’ensemble du continent africain. Dans cette étude, j’ai tenté d’explorer les relations entre le Maroc et le Sénégal. Indéniablement, ces liens trouvent leur fondement dans les relations anciennes entre l’Afrique noire et le Maghreb, caractérisées par une histoire foisonnante d’événements politiques, culturels, économiques et religieux.

Ces interactions ont profondément influencé les deux pays, façonnant leurs normes culturelles et sociales. À cet égard, la dimension religieuse a joué un rôle essentiel dans la formation des identités collectives et le renforcement des liens entre les deux peuples. En revenant à l’histoire des relations, personne ne peut nier qu’après leur indépendance, la coopération politique, économique et commerciale a consolidé ces liens. Bien que l’Afrique de l’Ouest soit fortement orientée vers l’Europe sur le plan commercial et s’ouvre de plus en plus au marché mondial et aux pays du Golfe persique, le Sénégal a conservé des liens historiques forts avec le Maroc. Depuis les années 70, les échanges culturels, commerciaux, financiers et immobiliers entre les deux pays se multiplient, témoignant de leur volonté mutuelle de revitaliser une relation séculaire. Dans ce sens, considéré comme le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest, le Maroc ambitionne de donner un fort élan au projet de la ZLECAF. Actuellement, seuls 16% des échanges commerciaux en Afrique sont des échanges intra-africains, ce qui représente un déficit significatif aux économies des pays africains. Cette situation avantage considérablement les pays européens et asiatiques. C’est pourquoi, Sa Majesté a ardemment plaidé pour la mise en place d’une stratégie de développement des infrastructures en Afrique afin de mieux valoriser les produits du continent.

Dans cette perspective, les liens profonds entre Rabat et Dakar reposent sur un dénominateur commun qui imprègne leurs actions, à savoir le panafricanisme de leur politique étrangère. En effet, l’intégration du continent demeure une préoccupation majeure et un sujet sur lequel les deux pays partagent des opinions et des approches similaires, visant à placer l’Afrique sur la voie de la paix, de la sécurité et du développement durable. Cette convergence d’objectifs renforce les  relations entre le Maroc et le Sénégal et témoigne de leur engagement commun envers le progrès et la stabilité de l’Afrique. De surcroît, les relations entre le Maroc et le Sénégal revêtent également une dimension stratégique importante, notamment en ce qui concerne la coopération dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme.

Ainsi, les deux pays ont travaillé ensemble pour renforcer la stabilité régionale en Afrique de l’Ouest et ont coopéré étroitement dans le cadre de l’initiative de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Il est essentiel de mettre en avant que l’un des éléments les plus décisifs dans le renforcement de cette relation bilatérale réside dans le lien de fraternité et d’amitié qui a constamment marqué les relations personnelles entre les dirigeants des deux pays. De fait, les échanges chaleureux entre les Rois du Maroc et les présidents sénégalais ont régulièrement contribué à renforcer les liens bilatéraux, tandis que les visites officielles, les rencontres diplomatiques et les échanges réguliers entre les dirigeants ont constamment renforcé les relations politiques entre les deux pays, même dans des contextes internationaux complexes. Cette dynamique est soutenue par des concertations profondes et des convergences sur plusieurs dossiers à l’échelle internationale entre le Maroc et le Sénégal. De fait, Dakar demeure l’un des fervents défenseurs de l’intégrité territoriale du Maroc. En outre, les deux nations ont régulièrement exprimé leur soutien mutuel sur la scène internationale, que ce soit au sein des Nations Unies, de l’Union africaine ou d’autres forums régionaux et internationaux.

Sur le plan culturel et religieux, le Maroc et le Sénégal entretiennent des liens profonds et anciens. Leurs traditions culturelles et religieuses se rejoignent, avec une forte empreinte de l’islam soufi à travers la Confrérie Tijania dans les deux pays. Cette confrérie a joué un rôle essentiel dans la propagation de l’islam en Afrique, tout en incarnant des valeurs de paix, de tolérance et de coexistence interreligieuse, tant sur le continent africain que dans le reste du monde. Cette affinité culturelle et religieuse a facilité les échanges entre les deux peuples, renforçant ainsi les liens séculaires entre les deux nations.

Face à ces évolutions, les relations entre le Maroc et le Sénégal se révèlent être d’une grande richesse, touchant de nombreux domaines, de la coopération stratégique à la dimension culturelle et religieuse, tout en incluant les liens humains qui se sont solidifiés au fil du temps entre les deux peuples. Cette dynamique relationnelle ne cesse de se renforcer, offrant des avantages mutuels aux deux nations et contribuant à la stabilité et au développement de la région et du continent africain.

À la lumière des défis et des enjeux émergents que connait le continent africains , cette relation bilatérale est appelée à se consolider et à s’inscrire dans une vision stratégique renouvelée, permettant aux deux pays de bénéficier encore davantage de leurs positionnement géographique en créant un axe moteur de développement économique dans un espace atlantique en pleine mutation

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