Les inégalités économiques, une menace inquiétante et grandissante sur les droits de l’Homme
Célébrée chaque année à la date du 10 décembre, la Journée internationale des droits de l’homme commémore l’adoption en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un document fondateur qui a proclamé les droits inaliénables de chaque individu en tant qu’être humain, sans distinction aucune.
Soixante-dix ans après l’adoption de cette Déclaration, considérée comme la première reconnaissance universelle des droits fondamentaux inhérents à tout être humain, plusieurs facteurs menacent la réalisation des droits humains, notamment les crises économiques, le changement climatique, les conflits religieux, les guerres, la pauvreté, le manque d’éducation et l’insécurité alimentaire et surtout la menace inquiétante des inégalités de revenus et de richesses.
Dans la note finale de sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), l’économiste britannique John Maynarde estimait déjà que la répartition des richesses et du revenu, « arbitraire et manquant d’équité », était, avec le chômage, « un des deux vices marquants du monde économique où nous vivons », a déclaré à la MAP, Siham Ikhmim, professeur agrégée des sciences économiques et juridiques.
Malgré l’avertissement précoce de l’économiste britannique, l’analyse économique est longtemps restée muette sur la juste répartition des richesses à opérer, a-t-elle ajouté, citant, à cet effet, l’ouvrage de l’économiste français Thomas Piketty, « Le Capital au 21è siècle », publié en 2013 et relayé ensuite par les « faiseurs d’opinion » aux États-Unis, comme Paul Krugman ou Joseph E. Stiglitz, qui a ravivé la controverse sur la dynamique des inégalités économiques au cœur du capitalisme contemporain.
« Au Maroc comme partout dans le monde, une vision a été fort usitée autrefois par les gens pour décrire la richesse et la pauvreté que l’on peut résumer ainsi: le riche a mérité sa richesse par son labeur et son effort; le pauvre, dans sa fainéantise et sa médiocrité, a mérité, quant à lui, sa pauvreté », a poursuivi l’enseignante-chercheuse à l’Université Hassan II de Mohammedia.
Force est de constater qu’il s’agit là d’une idéologie moribonde quand la mondialisation a favorisé l’enrichissement des fractions les plus aisées de la population mondiale, constate Mme Ikhmim, affirmant que cela s’est traduit par une intensification alarmante des inégalités de revenus et de richesses qui menacent d’une manière sérieuse et inquiétante la réalisation des droits humains.
De son avis, les ménages les plus riches bénéficient de plus d’avantages dans les domaines de la santé, de l’éducation et d’autres droits économiques et sociaux que les ménages les plus pauvres, un constat déterminant mais surtout qui montre une société de plus en plus inégalitaire, ce qui compromet les chances aux populations d’accéder au développement durable et d’accroître leur bien-être.
Relevant que les États sont tenus de respecter, protéger et garantir les droits, l’enseignante-chercheuse a souligné la nécessité d’une implication directe et sérieuse de tous les acteurs en vue de favoriser une répartition équitable des revenus et de réduire les disparités par le biais de politiques fiscales.
Cependant, Mme Ikhmim a mis en relief le dilemme central des économies capitalistes formulé en 1975 par l’économiste Arthur Okun dans son livre « Equality and Efficiency, the Big Trade Off », stipulant que l’efficacité d’une économie devait se payer d’une distribution relativement inégalitaire, et questionnant, dans le cadre du spectre de la « stagnation séculaire », le retour à des niveaux d’inégalités comparables à ceux que la plupart des pays avancés avaient laissé derrière eux depuis un siècle.
« Ces inégalités apparaissent, avec la mondialisation, comme la pathologie première qui menace la réalisation des droits humains constituant des incertitudes et des instabilités dans un cadre de tensions internationales et alimentant les fièvres identitaires et les poussées fondamentalistes », a-t-elle indiqué.
Par ailleurs, Mme Ikhmim a rappelé la citation célèbre de Jean-Jacques Rousseau sur laquelle s’ouvre le Contrat social (1762), « l’homme est né libre, et partout il est dans les fers », qui figure au début de toute méditation sur la situation actuelle des droits de tout être humain capable de choisir selon sa volonté.
Aujourd’hui, a-t-elle dit, l’être humain vit dans un monde sous une pression inégalitaire qui ressemble à celle qui fit peur aux bourgeoisies nationales européennes à la fin du 19è siècle, et son « éternelle soif de bonheur et de création » tant défendue par Rousseau.
Le cadre des droits humains contient l’obligation implicite, pour les États, de prendre en considération l’impact de cette menace inquiétante des inégalités sur les droits et d’opérer les arbitrages pertinents grâce aux différents instruments dont ils disposent, même si ces derniers restent discutés dans leurs effets.
En dépit des défis à relever, la Journée des droits de l’homme demeure une occasion pour promouvoir et consolider les droits de l’Homme sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
Par Zakaria BELABBES