L’évolution de la femme dans les sociétés du sud de la Méditerranée
Par Dr Zeina el Tibi
Lorsque l’on parle de la place de la femme dans les sociétés du sud de la Méditerranée, il est clair qu’il s’agit des pays arabes et musulmans. Une première constatation s’impose. La perception que l’Occident se fait du sud de la Méditerranée se confond souvent avec l’Islam, même s’il existe d’importantes minorités chrétiennes dans certains pays (Égypte, Palestine, Liban, Syrie, Irak).
Pour beaucoup c’est l’Islam qui serait la cause de tous les retards. Les clichés ne manquent pas. Ainsi, aux yeux de certains, l’Islam serait la religion qui opprime la femme qui serait dans une situation d’infériorité, dominée par l’homme et empêchée d’évoluer. C’est faire peu de cas du fait que l’Islam dans son essence et dans son enseignement fondamental – tiré du Coran et le la Sunna prophétique – n’a jamais été misogyne. Bien au contraire. Les prescriptions de l’Islam ont établi une égalité des droits entre l’homme et la femme dès le VIIe siècle.
Mais, il est tout aussi indéniable qu’un fossé sépare l’enseignement de l’Islam et les pratiques coutumières qui se sont constituées à l’encontre des textes sacrés. Il convient d’ajouter que, trop souvent, on attribue à l’Islam la responsabilité de blocages ou de conservatismes dus à de simples facteurs conjoncturels ou à des égarements. Il est donc indispensable de ne pas faire porter à la religion musulmane la responsabilité de déviances idéologiques ou à de situations géopolitiques désastreuses.
Sur ce dernier point, il est notable que beaucoup de pays arabes du sud de la Méditerranée connaissent des bouleversements importants depuis les prétendus printemps arabes de 2011 : Tunisie, Égypte, Libye, sans compter la guerre civile en Syrie. D’autres pays sont dans des situations d’attente, lourdes de toutes sortes de menaces: c’est le cas de l’Algérie qui reste une marmite qui bouillonne. Le Liban demeure prisonnier d’événements régionaux sur lesquels il n’a aucune influence. Et que dire de la Palestine dont le sort semble figé ?
Les évolutions concernent naturellement toute la société, mais plus particulièrement les femmes. La condition de la femme est l’un des enjeux de ces situations.
Aujourd’hui avec les changements, les révolutions et les chaos, certains se demandent s’il n’y a pas une menace de retour en arrière. Il faut constater que des discriminations persistent dans plusieurs pays de l’Euromed en ce qui concerne les codes du statut personnel, pénal, de nationalité, et dans la législation. Le respect des droits des femmes posé par des textes comme la Cedaw (Convention for the Elimination of all forms of Discrimination Against Women) rencontre encore des obstacles, souvent dus à l’existence de coutumes locales.
Certes, il y a quelques pays où l’évolution est positive. À cet égard, on peut prendre l’exemple du Maroc où les choses évoluent parce qu’il y a une volonté politique qui fixe un cap. En effet, le roi Mohammed VI a placé la question de la femme au coeur des enjeux fondamentaux de la modernisation. L’étape essentielle a été la réforme du Code de la famille, la Moudawana, le 3 février 2004. Parmi les points les plus importants, il faut signaler le relèvement de l’âge du mariage des filles de 15 à 18 ans, les obstacles mis à la polygamie (la rendant quasi impossible), le divorce judiciaire en lieu et place de la répudiation et le partage des biens en cas de divorce.
Mais dans les autres pays, la situation de la femme est plus préoccupante.
Je ne parlerai pas de la Syrie livrée à la guerre civile la plus horrible, ni de la Libye en proie à l’anarchie. Il y a aussi le cas de la Palestine où l’occupation sans fin paralyse toute évolution sociale. Comment serait-il possible de faire progresser des droits dans un pays occupés et humilié ?
Pour le reste le bilan est mitigé. En Égypte où la question sécuritaire l’emporte sur toutes les autres, la place faite aux femmes reste mineure. Le cas le plus typique du poids des coutumes sclérosées est le phénomène l’excision. Cette pratique est imitée de l’Afrique et totalement inconnue dans l’Islam et dans le christianisme. Les hautes autorités religieuses la condamnent unanimement. L’excision est interdite par la loi depuis 2008, mais demeure enracinée dans la société égyptienne. Ce fléau touche 90 % des Égyptiennes, musulmanes comme chrétiennes. Malgré la loi et les autorités religieuses musulmanes et coptes, ce sont encore les coutumes qui prédominent.
En Tunisie, la condition de la femme avait bien progressé sous Bourguiba. Dès1956, il a instauré le code du statut personnel, qui a toujours été considéré comme un exemple.
La Tunisie est l’un des pays arabes le plus avancé concernant les droits de la femme. Aujourd’hui, la question est celle de la stabilité du pays et de la possible remise en cause des principes modernes. Ce qui prévaut est la peur de l’avenir compte tenu de l’instabilité politique et de la crise économique et sociale.
En Algérie, tout le monde est en suspens en attendant la succession de Bouteflika. En outre, les paramètres sociaux restent très figés et la société est très conservatrice.
Au Liban, le contexte est celui d’un pays marqué, d’une part, par des dizaines d’années de guerre et de conflits, et, d’autre part, par l’emprise des différentes communautés religieuses.
C’est un pays contrasté. D’un côté l’image de la femme libanaise moderne, élégante, émancipée, ayant un bon niveau d’éducation et exerçant des métiers comme avocat, médecin, journaliste, banquier, chef d’entreprise, etc. De l’autre côté, une femme libanaise engoncée dans les conservatismes, prisonnières des habitudes archaïques. En fait, la ligne de partage n’est pas seulement religieuse même si cela pose problème dans un pays où il existe 18 communautés religieuses. La complication est encore plus grave en cas de mariage entre des personnes de communauté religieuse différentes. Avec une emprise parfois étouffante des dirigeants des communautés religieuses. Surtout il faut déplorer une véritable carence de l’État.
C’est particulièrement le cas pour les violences faites aux femmes. En vérité, les femmes libanaises sont mal protégées par les lois et l’administration en générale. En outre, les communautés religieuses ferment les yeux pour ne pas remettre en cause un certain « ordre » social. Les évolutions sociales se font grâce à des organisations de la société civile. Grâce à elle, les mentalités commencent à changer. On le voit dans les médias, Internet, la vie associative. Beaucoup de Libanaises ont la volonté de dépasser le confessionnalisme pour reconstruire un pays moderne, uni et pacifié.
Sur ce point il faut voir et revoir le beau film de Nadine Labaki « et maintenant on va ou ? »
En conclusion, il est possible d’affirmer que la condition de la femme dans les pays du sud de la Méditerranée est indissociable de la réalité politique complexe et des crises qui agitent cette partie du monde. Nous sommes dans des sociétés souvent marquées par des perturbations géopolitiques fortes.
Elles subissent aussi des contingences lourdes, en particulier la faiblesse des institutions la paralysie de la volonté politique, parfois hélas la corruption. Il en est de la condition féminine dans les pays arabes comme de l’ensemble des autres questions de société. L’action de l’État est essentielle. Il faut un État fort, légitime ; un État de droit faisant consensus.
Nous voyons bien que chaque fois qu’il y a eu une volonté d’évolution positive des choix courageux, des politiques ambitieuses, les progrès ont été réels et rapides.
Finalement, tout dépend des choix politiques qui sont faits. Or, il faut constater que, dans une majorité de pays, ces choix sont quasi inexistants car la vie publique est assoupie. Alors nous sommes conduits à poser la question : quand nous réveillerons nous ?
(Conférence prononcée au Parlement européen à Bruxelles, le 7 mars 2017)