L’Exécutif, les Marocains et la résilience

CE QUE JE PENSE

Pour satisfaire les demandes de la population, le Maroc va importer des moutons pour Aïd Al-Adha, pour la première fois de son histoire, Sachant que « l’offre en cheptel local dépasse largement la demande nationale« , nous dira-t-on.

À coup sûr, les prix seront plus élevés que ceux de l’année dernière, à cause du renchérissement des prix des aliments pour bétail, des carburants et donc des coûts du transport. Les citoyens déjà épuisés n’auront qu’à se ruer sur les banques pour « bénéficier » des offres de crédit confectionnées pour la circonstance.

Mais peut-on continuer à fermer les yeux sur la détresse et la misère que vivent certains citoyens depuis quelque temps, accentuée par la hausse des prix qui était devenue, de plus en plus, insurmontable, pendant le mois sacré du Ramadan ? Incertitudes, craintes, questionnements, colère, impuissance, c’est tout un ouragan de sentiments qui règnent dans la rue en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires écrasant toute fibre d’espoir que les classes moyennes et les démunis entretenaient, dans l’ignorance d’un gouvernement, hors sol, dépassé par les événements que traverse le pays. Faut-il rappeler qu’au premier trimestre 2023, les pressions inflationnistes avaient enregistré une hausse des prix à la consommation de 9,4%, au lieu de 8,3% au trimestre précédent et 4% un an plus tôt selon le HCP ? Les produits alimentaires ont affiché une hausse historique de 18,2% contre 3,7% pour les produits non alimentaires.

Si l’inflation sévit dans le monde entier, au Maroc c’est devenu le maître mot de tous les débats et discussions et la massue qui oppresse les citoyens. Pourtant, juste avant le Ramadan, le Chef de gouvernement a tenu à rassurer les Marocains sur un retour progressif à la normale des prix des produits alimentaires grâce aux mesures prises par le gouvernement.

Or si les prix des biens de consommation ont fortement augmenté, en février 2023, au long du dernier mois sacré, les prix sont passés du presque simple au double et la cherté de la vie continue ses beaux jours encore. Le problème est que si les citoyens esquivaient la hausse des prix en se ruant sur la tomate, l’oignon, les œufs et les pommes de terre, aujourd’hui, même ces produits de première nécessité sont devenus inaccessibles pour la majorité. les tables font davantage dans la sobriété et la modération, bien loin de l’opulence habituelle,  inflation oblige.

Bien entendu, loin de tout populisme, si l’une des études vient de sortir que le Maroc compte 5.800 millionnaires, 28 centimillionnaires et 4 milliardaires, la masse, elle, n’a pas le privilège de dépenser sans compter. Certes, les marchés du Royaume regorgent de produits frais de qualité, entre légumes variés, fruits et viandes, toutefois, les prix particulièrement élevés, pesant lourdement dans le panier des ménages, ont de quoi oppresser les appétits dont seuls « les gens d’en haut » peuvent jouir.

Bien entendu, des mesures gouvernementales ont été prises pour faire face à la hausse des prix des produits et consommables et préserver le pouvoir d’achat des citoyens. Tant s’en faut, le quotidien de la population traduit l’inefficacité de ces mesures prises jusqu’à présent. Le gouvernement, lui, qui d’habitude ne communique pas, brandit les budgets mobilisés afin de soutenir les produits subventionnés d’un côté et menacer de taper fort sur tous les intermédiaires et les spéculateurs. Or doit-on continuer à ignorer l’évidence qui est que les mesures prises par le gouvernement pour contenir la hausse des prix alimentaires dans le pays n’ont « pas atteint l’objectif souhaité » ?

Il faut dire que l’Exécutif est mal tombé. Il était prévisible qu’il fasse face à la pandémie, à la crise économique, à la dure sécheresse que le pays connaît depuis des années mais les conséquences de la guerre russo-ukrainienne et l’inflation à deux chiffres le mettent encore plus durement à l’épreuve et sous le feu des critiques. Tous les ingrédients sont là pour déstabiliser le plus homogène et le plus fort des gouvernements mais la mission reste de mise. Un gouvernement se doit de créer des solutions et non se limiter à les diagnostiquer et à les ignorer en attendant des jours meilleurs ou que les citoyens s’en sortent par la résignation et les dettes. Aussi se trouve-t-il confronté aux syndicats, à l’opposition parlementaire, à certains médias et surtout aux citoyens qui ne peuvent plus contenir leur ras-le-bol.

Aujourd’hui, on a l’impression que les gouvernants s’accommodent de cet état de faits et persistent à dire qu’ils font leur chemin, persuadés que c’est le gouvernement le plus « réformateur ». Bien sûr on ne peut nier que les réformes entamées donneront leurs effets à l’avenir mais les citoyens qui s’écroulent sous le lourd fardeau du quotidien ne veulent pas attendre le long terme, le quotidien les rattrapant par la nuque. En attendant des jours -et des prix- plus cléments, le malaise se fait de plus en plus sentir amèrement et le moral des ménages est au niveau le plus bas depuis 2008, d’après le HCP.

La flambée des prix a fortement impacté le pouvoir d’achat, la cherté de la vie change les habitudes les plus tenaces et les Marocains, dont les revenus ne couvrent plus les charges ne s’y retrouvent plus, et se doivent d’ajuster leur budget pour pouvoir faire face à la pression financière ou de s’endetter pour pouvoir finir le mois. Sans parler d’un système fiscal qui n’arrange pas les choses. Pourtant, c’est ce gouvernement même qui avait promis d’être celui de l’État social. À notre grand malheur, il se trouve que les disparités se sont creusées davantage portant en elles une crise sociale qui ne dit pas son nom.

Une chose est sûre, avec les prix des aliments qui ont bondi de 20%, depuis l’année dernière, les prix du carburant qui font un trou dans les budgets des familles, un mois de ramadan qui d’habitude était motif de générosité mais aussi de grandes dépenses, Aïd al-Adha qui se profile à l’horizon, des vacances qui deviennent de plus en plus exigées par les enfants et puis la rentrée scolaire avec ses charges écrasantes, les citoyens marocains n’ont plus le temps ni le privilège de s’intéresser aux politiques publiques ni à la gouvernance et c’est … tant mieux pour les gouvernants !

Le grand paradoxe

À l’heure où le Maroc met en place son Nouveau Modèle de Développement, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi, qui n’a de cesse de rappeler dans ses discours que la classe moyenne est le socle de l’économie nationale, « Aussi, réaffirmons-Nous Notre ferme volonté de veiller à ce que toutes les politiques publiques soient stratégiquement vouées à l’élargissement de la classe moyenne, pour qu’elle soit le socle de l’édifice social, la base de la stabilité, et un puissant catalyseur de la production et de la créativité. Nous sommes, donc, fermement déterminé à œuvrer pour que les classes moyennes constituent désormais l’épine dorsale de la société équilibrée que nous nous employons à construire.» avait souligné le Souverain dans son discours Royal adressé à la Nation, à l’occasion de la Fête du Trône de 2008. Dans le même esprit, le Discours Royal marquant l’ouverture du Parlement, le 12 octobre 2018, a aussi mis l’accent sur cela : « Notre finalité est de favoriser l’émergence d’une classe moyenne agricole, d’en consolider l’ossature pour qu’en définitive, elle puisse exercer sa double vocation de facteur d’équilibre et de levier pour le développement socio-économique, à l’image de la classe moyenne urbaine et du rôle clé qui lui est dévolu. ». Certes, le Maroc a vu, ces dernières années, une classe moyenne qui constitue un véritable levier de production et un vecteur de cohésion et de stabilité, en revanche, il est urgent de la préserver. Preuve en est le  Discours Royal adressé à la Nation, à l’occasion du 66e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le 20 août 2019 :  « Eu égard à la centralité de la classe moyenne dans le corps social, il convient d’en préserver les fondements et les ressources, en réunissant les conditions favorables à sa consolidation et à son élargissement, en ouvrant des perspectives de promotion à partir de- et vers elle.»

Aujourd’hui, malheureusement, au lieu de renforcer et d’ élargir cette classe moyenne, située au centre de l’échelle sociale, garante de stabilité socio-politique, moteur de développement économique, social et culturel du pays et vecteur de promotion sociale, on a tendance à l’épuiser par des dépenses qu’elle ne peut plus supporter, accentuées par une fiscalité des ménages des plus défavorables, à tel point que cette catégorie se trouve en déclassement social fulgurant, dû aux chocs exogènes des dernières années. Faut-il rappeler alors que tous les grands chantiers lancés par le Royaume pour le développement souhaité ne peuvent réussir sans une classe moyenne forte ? Hélas, tous les indicateurs sont au rouge et n’augurent rien de bon quand on sait que pour renforcer cette frange de la société, les conditions sine qua none sont la lutte contre la pauvreté, la réduction du chômage, le renforcement de la protection sociale, des services tels que la santé, l’éducation, etc … Ce n’est donc pas pour demain que la classe moyenne retrouvera son équilibre. Une vraie volonté et un engagement infaillible du gouvernement d’améliorer cet état de fait capital pour avancer sont nécessaires en attendant les grandes réformes qui donneront leurs fruits …ou pas, à long terme.

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