LF-2023: L’inefficience et l’iniquité du système fiscal bloquent la redistribution

Par Mohamadi El Yacoubi (*)

La loi de finance 2023 s’inscrit dans un contexte économique international soumis à de grandes contingences. À peine rétablie des conséquences de la crise pandémique, notre économie se retrouve aux prises d’un contexte géopolitique tendu, alimenté par la crise ukrainienne. L’accentuation des tensions entre la Russie et l’Ukraine, deux grands acteurs du marché mondial des matières premières, a engendré des perturbations profondes au niveau des chaînes logistiques, entraînant dans leur sillage un renchérissement des cours des produits alimentaires et énergétiques et, par ricochet, une recrudescence du risque inflationniste.

Ces tensions réduisent les marges de manœuvre de notre pays, déjà affaibli par la crise pandémique, et contribuent à brider les perspectives de croissance de notre économie. Le risque de basculement vers une situation de stagflation demeure dès lors entier, avec des impacts forts sur l’activité économique et sur la préservation des avancées enregistrés en termes de lutte contre les inégalités et la pauvreté.

La reprise économique enclenchée en 2021 semble avoir perdu de sa vigueur du fait du changement conjoncturel induit par la crise russo-ukrainienne. L’exposition de l’économie marocaine aux évolutions irrégulières des cours des matières premières, l’essoufflement de la demande extérieure émanant des principaux partenaires de notre pays, conjugués à une campagne agricole peu favorable, constituent autant de facteurs qui mettent à dure épreuve les capacités de résilience de notre économie. De ce fait, le Maroc n’est pas à l’abri des ondes de choc économique induites par la crise russo-ukrainienne. Outre les échanges extérieurs, cette crise a eu un impact sur l’économie nationale, d’abord, à travers les prix des produits importés, (carburants, huile de table, etc.), mais également par le biais du taux de change et du niveau général des prix à la consommation. 

Si les réformes menées par le passé ont permis, jusqu’à une certaine mesure, d’améliorer la capacité d’absorption de l’économie nationale eu égard aux chocs exogènes, il n’en demeure pas moins que la survenance de crises systémiques fréquentes laisse suggérer que des efforts additionnels mériteraient d’être engagés pour asseoir les jalons d’une économie compétitive, diversifiée et résiliente.

La LF 2023 semble accorder plus d’importances à des mesures fiscales et douanières qui impactent le niveau de collecte des recettes fiscales (impôts directs et indirects,). Elles s’inscrivent dans le cadre classique des efforts déployés par le gouvernement en vue de relancer l’économie nationale, renforcer le recouvrement des recettes publiques. Néanmoins, la mouture finale de cette LF comporte peu de mesures touchant la réforme de l’impôt sur le revenu, la TVA ou encore des mesures visant l’élargissement de l’assiette fiscale. Sur le plan de l’I.S, le gouvernement a mis en place une mesure visant l’homogénéisation des taux de l’I.S et prévoit d’amener progressivement sur 4 ans l’impôt sur les sociétés à 20% ou 35% selon le bénéfice net réalisé. Néanmoins, le relèvement du taux de l’I.S de 10% à 20% pour les entreprises réalisant un bénéfice inférieur à 300.000 DH pénalise grandement les TPE. Par ailleurs, les modifications fréquentes apportées à l’I.S sur les dernières années créent un climat d’instabilité fiscale qui peut être préjudiciable à l’investissement. En somme, les mesures prévues par cette loi de finance restent insuffisantes pour impulser le régime de croissance de l’économie marocaine et pour relever son inclusivité sociale.

Malgré les avancées réalisées, l’analyse de notre système fiscal actuel laisse apparaître la persistance de plusieurs inefficiences et iniquités qui l’empêche d’atteindre ses objectifs d’incitation et de redistribution. Sur le plan économique et social, le système fiscal devrait être mis à contribution, pour dépasser les faiblesses avérées de notre modèle de développement, à savoir le chômage des jeunes et des diplômés et l’aggravation des inégalités, deux phénomènes structurels amplifiés par la faiblesse et l’irrégularité de la croissance. La nécessité de promouvoir les investissements productifs, créateurs d’emplois en nombre suffisant, passe, dans ces conditions, par la construction d’un système basé sur l’équité, permettant de rehausser la qualité et de maintenir la régularité de la croissance, une croissance plus inclusive, tournée vers l’industrie. La stratégie à laquelle aspire notre pays, en lien avec l’implémentation du Nouveau Modèle de Développement, demeure tributaire du relèvement substantiel de la qualité du capital humain, levier par excellence de différenciation, de construction d’avantages compétitifs durables et socle de création de la richesse. Ce capital humain s’avère, de toute évidence, être le pivot de toute stratégie de développement consacrant la souveraineté dans des domaines prioritaires, se rapportant à la sécurité sanitaire, alimentaire, énergétique et technologique. 

(*)Président du Cercles des Fiscalistes du Maroc

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