Maroc-Espagne : « Pour une Paix constante et perpétuelle sur mer et sur terre »
Farida Moha
En ces temps d’accélération des évènements politiques en Espagne et de résurgence des mémoires de part et d’autre de la Méditerranée, sans doute serait-il intéressant de décrypter et d’analyser les différentes contributions du récent colloque (24-26Mai) organisé par l’Institut Royal pour la recherche sur l’Histoire du Maroc sur le thème : « le Maroc et l’Espagne : un voisinage ancré dans l’histoire ouvert sur le présent et l’avenir ».
Un colloque que l’on pourrait placer sous le sceau du Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah, signataire du Traité de paix et de commerce conclu avec le Roi d’Espagne Carlos III à Marrakech le 28 Mai 1767, et dont le premier article stipule « La paix sera constante et perpétuelle sur mer et sur terre avec l’amitié la plus réciproque et la plus franche entre les deux souverains et leurs sujets respectifs ». Un vœu plus que jamais souhaité en ces temps de conflits et de turbulences qui n’épargnent aucune région.
Les communications d’historiens confirmés, défricheurs de l’histoire complétées par le regard de linguistes, d’anthropologues et de politologues ont porté sur la problématique de l’écriture et la réécriture de l’histoire commune pour approfondir la connaissance, quelles que soient les vicissitudes de l’histoire, déclare Mohamed Kenbib directeur de l’Institut Royal. Ce regard sur le temps long prisé par Fernand Braudel et décliné à travers les siècles permet de dépasser les perceptions souvent antagonistes et le temps de l’évènement politique en prenant en compte les différentes dimensions géographiques sociales politiques du temps de l’histoire. Ce nouveau regard éclaire les soubresauts de l’actualité mais surtout détricote le tissu profond de l’histoire au-delà de l’évènementiel et permet d’appréhender l’actualité. Une actualité, qui aujourd’hui, promet des changements voire des basculements dans l’arène politique. Après la déroute électorale du parti socialiste qui a subi une lourde défaite dimanche 28 mai, l’annonce de la dissolution du Parlement espagnol et des élections législatives anticipées au 23 Juillet prochain a en effet créé la surprise. Les législatives qui devaient se tenir à la fin de l’année auront lieu durant le semestre de présidence espagnole du Conseil européen qui prend le relais de la Suède le premier juillet prochain. Nombre d’analystes et observateurs prévoient l’arrivée du Parti Populaire (PP)qui a raflé plusieurs villes et régions au PSOE et dont le chef Alberto Nunez Feijoo a déjà annoncé « un nouveau cycle politique ». Avec le parti Vox d’extrême droite autre grand vainqueur, ces élections témoignent en fait d’une inflexion profonde de droitisation des paysages politiques constatée dans toute l’Europe. Elles posent la question des conséquences d’une probable radicalisation des forces politiques espagnoles à l’œuvre sur les relations entre Madrid et Rabat. Comment alors dépasser les contentieux, les malentendus qui empêchent tout rapprochement ?
« Un passé qui éclaire le futur »
L’étude de l’histoire « composante essentielle du socle multiséculaire de nos relations », histoire sur le temps long et l’apport de la coopération culturelle maroco-espagnole peut nous éclairer sur les possibilités d’éviter les crispations et les conflits ainsi que sur les voies et moyens de renforcer le dialogue entre les peuples et les Etats des deux pays, que l’on souhaiterait unis par une communauté de destin. Au-delà des déclarations sur le voisinage et le partenariat stratégique du Maroc pour l’Espagne, le Maroc reste selon le mot du ministre espagnol des affaires étrangères « fondamental pour l’Espagne et l’Espagne pour le Maroc ». C’est un constat partagé par tout. De toutes les dimensions de partenariat, la coopération culturelle reste un vecteur de rapprochement des sociétés qui permet parfois d’analyser les causes de tensions, de les transcender et de tisser un réseau de relations d’intérêts croisés et convergents, propices au dialogue et aux échanges.
Plus que jamais nos deux sociétés ont tout à gagner en intensifiant les relations économiques et culturelles, en renforçant les liens avec les sociétés civiles, avec la communauté marocaine vivant en Espagne , en marginalisant les capacités de nuisance de part et d’autre, pour renforcer le fameux « matelas d’intérêt » évoqué lors du récent Forum économique Maroc-Espagne qui s’est tenu tout récemment à Madrid et contenir les menaces communes. En somme, promouvoir la compréhension mutuelle entre les deux pays comme cela a été le cas durant cette dernière décennie des rencontres organisées par la Fondation des 3 cultures méditerranéennes et comme cela a été le cas, dans une moindre dimension, de ces trois journées de rencontres et d’échanges entre les historiens d’Espagne et du Maroc. Le colloque a été en effet l’occasion de jeter des ponts pour une coopération marquante, grâce aux contacts directs et aux projets de partenariat avec des institutions telles que la Casa Arabeles, universités de Salamanca , la Autonoma de Madrid, de Jaen, de Las Palmas (Canaries) de la Fondation de la Culture islamique de Tolède. Les chercheurs marocains affiliés aux universités de Rabat, d’Agadir ainsi que le président du CCME ont enrichi de leur connaissances les interventions et les débats. Cette session sur « le Maroc et l’Espagne : un voisinage ancré dans l’histoire ouvert sur le présent et l’avenir » avait été précédée par l’exposé à l’Académie royale du Maroc de l’historien Abdelouahed Akmir, professeur d’histoire contemporaine d’Espagne et d’Amérique latine et directeur du centre des études andalouses et dialogues des civilisations de Rabat.Un cycle qui trace « l’esquisse de perspective d’avenir » et qui permet en intelligence collective, de partager idées et propositions afin de renforcer le réseau relationnel. Une atmosphère propice à la paix qui rappelle, comme le souligne Mohamed Kenbib, l’esprit et la lettre du traité de paix et de commerce conclu, il y a des siècles déjà, entre le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah et le Roi d’Espagne Carlos III à Marrakech le 28 Mai 1767. Un testament à prendre en compte et à méditer par les futurs locataires du Palais de la Moncloa.